Même la carte, ce soir-là, s’est mise aux couleurs de la Coupe du monde féminine. Installés tranquillement en terrasse, Marie et Catherine croquent dans leurs sandwichs, confectionnés spécialement pour l’occasion. Les deux amies avaient le choix entre le sandwich français, une préparation à base de pain tradition et de fromage de chèvre aux herbes, et le sandwich américain,  fait à base de cheddar grillé.

Nous sommes à Collective, un café culturel et associatif pas comme les autres. Ici, c’est le client qui décide du prix. En tout cas pour le café. C’est affiché sur un grand tableau noir au-dessus du bar : le café est à prix libre. Vous pouvez donner 5 centimes, 50 centimes, 1 euro, 10 euros, ce que vous voulez ou pouvez en fait ! Situé à Aubervilliers, à deux pas de la mairie, ce lieu alternatif a ouvert ces portes il y a tout juste un mois et demi sous l’impulsion de huit personnes. « L’idée, c’était vraiment de s’installer dans un quartier populaire pour répondre à un besoin possible et réel de la population », affirme Pierre.

Et, pour faire vivre le lieu en ce début d’été, les patrons ont choisi de mettre le paquet sur la Coupe du monde féminine. Ce vendredi, c’est le gros match, celui que tous les fans de football féminin attendaient : le quart de finale entre la France, pays-hôte, et les Etats-Unis, championnats du monde en titre. Comme à chaque fois que les Bleues jouent depuis le début de la compétition, Collective a fait du match un événement. L’idée, pour Pierre, 34 ans, gérant de l’association et barman, « c’est notamment de sensibiliser les clients au sport féminin, de promouvoir l’égalité homme-femme et d’attirer un maximum de monde  ».

Les Américaines douchent les espoirs bleus

Ils sont une vingtaine, au début du match, parmi lesquels Anthony Daguet, premier adjoint à la maire de la ville. La dernière fois, le lieu avait été ouvert aux footeuses de la ville, plus exactement à l’équipe des moins de seize ans du FCMA, le club de foot local. Cette fois, le public est composé de curieuses et curieux, néanmoins très attentives au coup d’envoi de la rencontre. Autant de fans douchés dès la cinquième minute de jeu, lorsque l’Américaine Megan Rapinoe ouvre le score sur coup-franc.

Pour Sylvie, cliente de 33 ans, attablée avec deux pintes devant elle, ce but est  juste  « merveilleux ! ». Pas très chauvine, Sylvie. Malgré ce but encaissé, le bar ne désemplit pas et continue d’accueillir du monde. En entrant, on comprend tout de suite que ce bar ne fonctionne pas comme ailleurs. Quel est le modèle économique ? Tout semble en travaux, comme dans un chantier inachevé. Pierre sous-titre : «  Cette déco est volontaire car l’idée du bar associatif c’est d’avoir un lieu en cours de construction, qui se construit dans la discussion et qui soit accessible à tous ».

Revenons quelques instants au match. Malgré une vraie domination et une possession bleue, les Françaises n’arrivent pas à cadrer leurs frappes. Leïla et son mari Thomas sont installés sur une des banquettes face à l’écran. Nous sommes à la 60ème minute. Malgré un soutien réel et sincère des supporters du bar, les Bleues n’arrivent pas à planter ! Et ce qui devait arriver arriva…  Un contre assassin. Megan Rapinoe se retrouve seule. Le ballon finit au fond des filets. 2-0.

Pierre et sa collègue continuent, eux, de vendre leurs produits. Les prix sont abordables, les produits de qualité. Une brochette de bouteilles de sirop trône derrière le bar. On nous propose un sirop jamais goûté, à base de verveine, fait maison. Je m’attends à payer 4 ou 5 euros, comme dans un bar parisien. L’addition arrive : un euro. La nourriture, elle, est préparée par une des membres de l’association. Les produits vendus ici proviennent tous de circuits courts. L’idée, « c’est vraiment d’attirer des gens qui n’ont pas forcément les moyens ».

Cibler les jeunes de la ville

A y regarder de plus près, on ne peut pas dire que l’objectif soit encore pleinement atteint. C’est un certain Aubervilliers qui vient à Collective, dans ce café situé en plein centre-ville et voisin de la librairie locale, Les Mots passants. Pour avoir une vue plus représentative d’Aubervilliers, avec ses âges et ses couleurs, il faudra poursuivre un peu la balade dans le centre-ville, autour de la place de la mairie par exemple.

Pierre, le gérant, est conscient de ces difficultés et tente de nouer le lien. La dernière fois, une rencontre sur la vie de femme sportive avait lieu en présence de Télénie Sissoko, une jeune femme d’Aubervilliers qui joue aujourd’hui en première division nationale, à Fleury (et dont le BB a fait le portrait ici). « Avec notre carte accessible, on veut vraiment attirer les jeunes des quartiers, ajoute le trentenaire. Mais pour eux, il faut un réel travail de fond en collaboration avec d’autres organismes. C’est ce qu’on cherche à faire ! ».

En attendant, les Bleues poussent. Wendie Renard réduit même le score d’une tête rageuse à dix minutes de la fin du match. Au bar, on recommence à y croire, ça pousse un peu. Mais ça ne suffira pas. Pour l’équipe de France comme pour Collectives, le café associatif d’Aubervilliers, c’est peut-être dans l’avenir que réside le meilleur.

Mohamed ERRAMI

Crédit photo : FFF

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