Au Piquet, le temps s’écoule lentement. Encore plus, en période de ramadan. Le Piquet est le nom donné au bidonville dans lequel les grévistes de l’agence Chronopost d’Alfortville (94) sont réduits à vivre.

« Cela m’a fait un choc la première fois que je suis venu ici », souffle Nayan, président de l’association Solidarité Asie France (SAF). Depuis le 7 décembre 2022, 200 personnes dorment dans ce décor surréaliste, à quelques kilomètres de Paris. Anciens intérimaires pour la filiale de La Poste et sans-papier, ces grévistes militent pour leur régularisation. À ce jour, l’agence Chronopost refuse de leur délivrer les documents attestant de leur activité. Des documents indispensables pour leur permettre d’obtenir un permis de séjour. En attendant, ils dorment par cinq ou dix, dans des cabanes installées près d’une piste cyclable.

Samedi 25 mars 2023, l’association SAF, qui vient habituellement en aide aux exilés originaires d’Asie, s’attèle au préparatif du repas de l’iftar [rupture du jeûne, NDLR]. « Nous nous réunissons chaque année pour fêter l’indépendance du Bangladesh », explique Nayan. « Cette fois, on a voulu le faire à un endroit où l’on pouvait se rendre utile. »

Depuis le 7 décembre 2022, 200 personnes vivent dans un bidonville qu’ils ont renommé « Le Piquet ».

« Carrefour, Franprix, Chronopost : c’est à nous ! C’est nous qui faisons tout »

« Ils ont travaillé pour obtenir leurs droits. C’est une guerre aussi. Sociale cette fois-ci », revendique le président de l’association. Autour de lui, une vingtaine de bénévoles s’active et remue à tour de rôle le taheai, un plat bangladais à base de riz.

Une autre association est venue prêter main forte aux apprentis cuisiniers. Zainab est membre du Ciasif (Centre d’Information d’Aide, Accompagnement, Social en Île-de-France), une association basée à Ris-Orangis et spécialisée dans l’aide administrative. « Ces hommes travaillent ici, ils payent les taxes et voilà comment on les remercie », fustige la jeune femme en balayant du regard le décor.

Les grévistes dorment face à l’agence Chronopost d’Alfortville / ©MélineEscrihuela

Ce samedi, le calme règne sur le Piquet, rendant l’atmosphère d’autant plus mortifère. Beaucoup sont partis à Paris pour manifester une fois de plus contre le projet de loi Asile et Immigration. Quelques hommes tentent de se réchauffer tant bien que mal devant des braises. D’autres prient sur des tapis posés entre deux cabanes, à même le sol. « Certaines personnes pensent que nous sommes fainéants. Ce n’est pas ça. On en a marre de l’exploitation », raconte Boulayé Diarra, un Malien de 26 ans.

Comme les autres, il a été employé par l’entreprise d’intérim Derichebourg pour le compte de Chronopost. « Carrefour, Franprix, Chronopost : c’est à nous ! C’est nous qui faisons tout », assène le jeune homme. « Nous occupons les postes que les Français ne veulent pas. »

Plus loin, Salouf Kanté brandit son téléphone. Il tient à montrer ses anciennes conditions de travail. « Tout ça, c’est des preuves! », souligne-t-il en faisant défiler des vidéos. Salouf Kanté a travaillé pendant deux ans à l’agence d’Alfortville. Chaque nuit, il chargeait les camions. « Nous travaillions de 3h30 à 7h30, mais il arrivait fréquemment que l’on finisse à 8h45 », se remémore-t-il. « Dans ce genre de travail », poursuit-il, « tu ne peux pas faire de pause. Même aller aux toilettes, tu ne peux pas ».

Après deux ans de bons et loyaux services, les missions d’intérim de Salouf ne sont pas reconduites suite à un contrôle de l’inspection du travail. Le jeune homme travaillait en situation irrégulière. Une situation que Chronopost connaissait d’après lui.

Salouf Kanté est l’un des portes paroles du mouvement des grévistes de Chronopost. Il a travaillé pendant deux ans au sein de l’agence d’Alfortville / ©MélineEscrihuela

La solidarité au défi de l’inflation

Vers 17 heures, le repas du soir semble encore loin. Une voiture s’arrête au Piquet. Deux femmes viennent apporter des repas aux grévistes. Une scène habituelle. « Tous les jours, des donateurs nous distribuent de la nourriture », explique Boulayé Diarra. « Je suis très gêné », confie-t-il. « Un jour, un vieil homme est arrivé avec des palettes entières de nourriture, alors que je sais que chacun a des problèmes en France. »

Macron a gâté le pays 

En période de ramadan, en effet, les dons provenant de simples citoyens ou d’associations sont encore plus nombreux que d’habitude au Piquet. Mais les effets de l’inflation se font ressentir. « L’année dernière, des gens venaient matin, midi et soir », assure Salouf Kanté.

Pour ces deux femmes, membres de l’association À manger et soutien pour tous de Choisy-le-Roi, le constat est partagé. Elles ont dû diviser par deux le nombre de repas distribués par jour et repenser leur stratégie. « C’est compliqué cette année, on se concentre sur les repas chauds alors qu’avant, nous avions assez pour distribuer des desserts par exemple », détaillent-elles. « Macron a gâté le pays », siffle Salouf.

Une heure plus tard, deux garçons s’avancent vers le Piquet. Ils font partie d’une autre association, La Pointe Charity. Cette fois-ci, il y a déjà assez de nourriture pour la soirée. Les jeunes hommes font demi-tour. Les repas serviront à coup sûr à d’autres personnes dans le besoin.

Méline Escrihuela

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