Une nouvelle tragédie s’est produite mercredi 24 novembre en fin d’après-midi dans la Manche. Au moins 27 personnes ont perdu la vie dans le naufrage de leur embarcation qui tentait de rejoindre l’Angleterre depuis les côtes françaises. Parmi elles une fillette qui a payé de sa vie une politique migratoire et d’accueil française et européenne qui veut nous habituer à ces catastrophes.

Nous y revoilà. Le cœur serré devant les informations. Des chiffres mortifères qui, une fois dépassé l’anecdotique, nous rappellent l’enfer glacial de l’exil. Celui de Calais, celui de la France surtout, de l’Union Européenne évidemment. Alors qu’une crise humanitaire se joue dans les forêts frontalières entre la Pologne et la Biélorussie où l’on rapportait la semaine dernière le décès d’un bébé syrien d’un an après un mois dans les bois, voilà qu’un nouveau drame surgit de l’indifférence collective à l’égard du traitement des exilés entre la France et le Royaume-Uni.

Je n’oublie pas que mon pays et son gouvernement ont leur part de responsabilité dans ce drame.

Moi qui avais cru naïvement qu’en 2015 tout changerait après l’arrivée conséquente d’exilés principalement syriens, désireux de trouver chez nous, Français et Européens, un refuge, loin d’un chef d’Etat syrien imposant son autorité par l’emploi d’armes chimiques. Moi qui pensais candidement qu’en voyant Aylan Kurdi, le 2 septembre 2015, étendu sur cette plage turque de Bodrum, on se déciderait à tout mettre en œuvre pour que d’autres enfants n’aient plus à connaître le même sort. Aujourd’hui je suis en rage et l’heure est venue d’engager la responsabilité de la politique migratoire et d’asile dysfonctionnelle, lâche et assassine.

Car je n’oublie pas que mon pays et son gouvernement ont leur part de responsabilité dans ce drame. Ce gouvernement où Gérald Darmanin « premier flic de France » ne voit aucun inconvénient à la répression outrageuse qu’exerce sa police sur les exilés, leurs tentes, leur accès à l’eau, à ceux qui les aident aussi.

C’est également cette police qui a violemment évacué la Place de la République occupée par 500 exilés il y a presque un an jour pour jour. Depuis, rien, voire pire. Des mois, des années, que les responsables associatifs présents à Calais alertent sur l’impossibilité d’apporter une assistance digne de ce nom à Calais, ville qui symbolise à elle seule l’échec de la politique migratoire. À défaut d’accueillir, on traque mieux.

Ma France s’est peu à peu, tranquillement, dans l’indifférence générale, passée de terre d’accueil à zone de transit.

On parle de Calais, mais surtout de ma France qui est peu à peu, tranquillement, dans l’indifférence générale, passée de terre d’accueil à zone de transit. On recense 31 500 personnes qui ont traversé la Manche depuis la France pour rejoindre le Royaume-Uni en 2021. Parmi eux, 7800 exilés ont été secourus face au danger meurtrier de la traversée, selon les données fournies par la préfecture maritime de la Manche et de la Mer du Nord. Avant le naufrage de ce mercredi, on comptait déjà trois morts et quatre disparus.

Et les réactions des représentants politiques qui semblent remplacer la fermeté par l’émotion le temps d’un instant, cachent mal une crise migratoire, politique, morale qui se joue devant nos yeux depuis 2015. « La France ne laissera pas la Manche devenir un cimetière », a déclaré ce jeudi le Président Macron, en demandant des moyens supplémentaires de l’agence Frontex pour la surveillance des frontières extérieures de l’Union Europenne, ainsi qu’une réunion des ministres concernés par ce « défi migratoire ». « Tout sera mis en œuvre pour retrouver et condamner les responsables ». Les passeurs donc, au centre de toutes les responsabilités, jamais les logiques politiques françaises qui poussent les exilés à fuir mon pays ou même les mineurs isolés sont enfermés pour des histoires d’âge.

Alors certes en marge de la « crise migratoire » de 2015, l’ensemble des Etats qui composent l’Union européenne auront simulé un semblant d’unité en adoptant des mécanismes d’urgence de relocalisations d’exilés Syriens et Afghans depuis la Grèce et l’Italie vers d’autres Etats de l’Union européenne disposés à les accueillir.

Me voici à 25 ans être témoin d’une nouvelle crise humanitaire à ma porte sans que cela ne provoque l’onde de choc et des choix politiques escomptés.

Chaque Etat membre s’était engagé auprès des institutions européennes, mais deux ans après l’adoption de ce mécanisme, aucun Etat ne sera parvenu à respecter ses objectifs. Le programme prévoyait de relocaliser 160 000 personnes dans toute l’Europe. En 2017, seules 46 000 personnes avaient été relocalisées. Pire encore, certains Etats dont la Hongrie et la Pologne n’auront accueilli aucun exilés sur leur sol alors même que le premier s’était engagé à recueillir 1294 demandeurs d’asile syriens et le second 1953 personnes. Seulement 29% de l’objectif initial avait été rempli. Pour rappel, l’Union Européenne compte 447 millions d’habitants.

La résultante de cet échec à faire appliquer ce mécanisme se retrouve dans des centres d’accueils pleins à ras bord dans un État hellénique meurtri par la crise économique, où on y constate notamment des violations de droits humains et des conditions de vie déplorables et détériorées depuis le début de la pandémie. Tout cela conduit à ce que le 6 septembre 2020 le camp de Moria situé à Lesbos soit détruit par un violent incendie provoqué par un soulèvement de demandeurs d’asile laissant 12 700 personnes dont 4000 mineurs sans aucun abri.

Alors comprenez ma colère et ma lassitude en apprenant la nouvelle tragédie d’hier soir. Je suis à bout de souffle. Parce que me voici à 25 ans être témoin d’une nouvelle crise humanitaire à ma porte sans que cela ne provoque l’onde de choc et des choix politiques escomptés. Rendez vous compte, depuis mon enfance j’ai été témoin de drames à Calais aux îles Canaries en 2006, les naufrages répétés en mer Méditerranée ainsi qu’à Lampedusa pour ne citer que ça. Les lieux changent mais l’issue de ces tragédies restent les mêmes.

Je crains que la France ne soit pas au rendez-vous que lui impose la situation cataclysmique qui se joue à ses frontières.

Je suis conscient que ceux qui s’autoproclament être les gardiens de notre histoire, persuadés d’être en guerre pour la préservation de la France et de l’Europe, viendront lâcher leur dégueulis verbal et doxa nauséabonde selon laquelle ces être humains dépourvus de droits et de libertés dans leur propre patrie seraient en mission dans le but de nous grand remplacer.

Qu’ils viennent. Je les réorienterai immédiatement vers le droit ainsi que l’histoire, car ces gens qui veulent à tout prix nous cerner de barbelés et de béton semblent oublier qu’aucun mur aussi grand et aussi protégé soit-il, n’a jamais freiné un flux migratoire, que ce soit à Berlin, à la frontière américano-mexicaine, ou à la frontière entre Pologne et Biélorussie. Tout cet attirail policier et de surveillance a au mieux ralenti sa progression, mais a surtout rendu la traversée des frontière beaucoup plus dangereuse, exposant les exilés à une mort certaine.

Il faut leur marteler que ceux qu’ils considèrent majoritairement comme des terroristes et des « violeurs », (d’après les mots du condamné Eric Zemmour) dont il faut se protéger, sont leurs semblables prêts à braver la mort plutôt que de rester là où aucune perspective de paix ne s’ouvre à eux. Il faut leur crier haut et fort que ces être humains qu’ils réduisent au nom « d’étranger » ou de « migrant » sont pour beaucoup en exil depuis de nombreuses années, parfois sans nouvelles de leurs proches. Certains ayant survécu à l’esclavage et autres traitements inhumains que nous sommes incapables d’imaginer.

Je pense à ceux qui aspiraient à une vie meilleure qui auront perdu la vie à proximité de notre pays.

Lorsque je vois la méconnaissance profonde, volontaire ou inconsciente, des enjeux et des problématiques du sujet de certains candidats qui briguent la présidence de mon pays et qui font de cette thématique la pierre angulaire de leur programme électorale, j’ai peur. J’ai peur que nous ayons à faire face à d’autres tragédies. Je crains que la France ne soit pas au rendez-vous que lui impose la situation cataclysmique qui se joue à ses frontières.

Je conclurai cette missive, en ayant évidemment une pensée émue à celles et ceux qui aspiraient à une vie meilleure et qui auront perdu la leur à proximité de notre pays. Je pense également à leur famille et proches qui sont sans doute sans nouvelle d’eux à l’heure actuelle.

Je tiens aussi à saluer ces valeureux membres d’associations qui œuvrent au quotidien pour offrir un accueil digne et humain à ces personnes cherchant refuge. Enfin je félicite l’abnégation des journalistes présents sur place, à l’image de Louis Witter et d’autres, qui chaque jour nous rapportent le calvaire qu’endurent ceux que la France a décidé d’ignorer. La France et l’Union européenne vous ont laissés vous noyer.

Félix Mubenga

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