Artin, Armin, Anita. Il y a fort à parier, que ces trois prénoms n’évoquent pas grand-chose à la majorité d’entre nous. Ils avaient respectivement 15 mois, 6 et 9 ans, et ont passé 15 jours dans la jungle de Grande-Synthe, dans le département du Nord, avant de tenter le voyage impossible avec leurs parents.

Leur père Rasoul Iran Nejad et leur mère Shiva Mohammed Panahi, âgés de 35 ans, avaient quitté la tension politique du Kurdistan iranien il y a un an, quelques mois après la naissance d’Artin, dans l’espoir d’un avenir meilleur en Europe.

Le 27 octobre, la famille tente de rejoindre la Grande-Bretagne par la mer. Après avoir été convaincus par un passeur, ils prennent le large, avec une quinzaine d’autres exilés, en pleine tempête.

La mort silencieuse d’une famille

Les chances d’aboutir sont minces, et les rêves immenses. Mais l’embarcation de fortune, un bateau de pêche promenade, fait face au mauvais temps, et finit par couler au large du littoral dunkerquois. Une quinzaine de personnes ont pu être secourues, mais les quatre membres de la famille Nejad-Panahi ne survivront pas au naufrage. Leur bébé de quinze mois sera porté disparu. Le journal La Croix évoquera “le pire drame migratoire recensé dans la Manche”, depuis le début des traversées clandestines vers la Grande-Bretagne.

Alors qu’une famille entière est décimée. La couverture médiatique dans l’hexagone (notamment à la télévision) est plutôt légère pour ne pas dire anecdotique. « On est bien loin de l’émotion et de l’indignation légitime internationale suscitée par la mort du petit Aylan sur les côtes turques et qui avait fait la Une des médias du monde entier. Pourquoi ? Parce qu’il n’y a pas d’images ? Parce que le corps d’Artin, n’a pas été retrouvé gisant sur une plage ? Ou parce que cela se passe en France et que c’est honteux à assumer dans la patrie des Droits de l’Homme ? », s’interroge Laurent Caffier, bénévole bien connu des exilés de Grande-Synthe, partagé entre colère et émotion. L’homme surnommé, le « Zorro de la jungle”, a connu la famille lors de ses derniers jours.

La répression et la responsabilité de la France

« Shiva m’avait contacté car elle avait besoin de bottes pour ses enfants. Dans la jungle, le sol est boueux et les conditions sanitaires déplorables. Le camp est démantelé de manière quasi quotidienne…», rappelle le lanceur d’alerte.

Les lacérations et la destruction des tentes de fortunes, les intimidations et violences des forces de l’ordre sont le lot journalier des exilés à Grande-Synthe. Des pratiques anciennes qui se perpétuent de gouvernement en gouvernement, et auxquelles ont dû faire face la petite famille kurde iranienne.

« Voilà ce qui les a poussés à tenter de rejoindre l’Angleterre aussi vite en prenant la mer au péril de leurs vies, et par mauvais temps », explique Laurent, qui ne décolère pas. « La France est responsable du traitement qu’elle inflige à ces pauvres gens ! Mais c’est plus facile de s’indigner quand cela se passe sur les côtes turques ! »

L’histoire d’Artin, Armin, et Anita et leurs parents ressemblent à celle de beaucoup d’autres. La petite famille est passée par la Grèce, puis l’Allemagne où se trouve la sœur de Shiva elle aussi demandeuse d’asile. Après cette étape, la famille avait gagné le Nord de la France avec l’objectif de rejoindre la Grande-Bretagne, miroitant une vie plus facile. « Alors qu’ils ne parlaient pas anglais et n’avaient pas de famille sur place », indique Laurent.

Au Kurdistan, Rasoul Iran Nejad était employé en tant qu’ouvrier, tandis que sa femme n’avait pas d’emploi. Une situation précaire que le couple et leurs enfants ont tenté de fuir en quittant le pays, malgré les risques du voyage et de l’épidémie déjà présente.

Dans le camp avec les enfants, c’est un peu comme dans le film La vie est belle de Roberto Benigni, on tente de faire croire que tout ça n’est qu’un jeu.

D’après un ami de la famille sur le camp interrogé par The Guardian, leur passeur aurait reçu entre 5000 et 6000 euros pour leur assurer une place sur l’embarcation. La famille et la belle-famille des parents aurait ainsi vendu des bijoux et des objets de valeur pour permettre le voyage.

Dans la jungle, Laurent Caffier décrit une famille soudée et des enfants heureux malgré l’horreur des conditions sanitaires. Le bénévole évoque les souvenirs de cette fratrie et le sourire des gamins dans la jungle de Grande-Synthe avec amertume. « Dans le camp avec les enfants, c’est un peu comme dans le film La vie est belle de Roberto Benigni, on tente de faire croire que tout ça n’est qu’un jeu », raconte le nordique encore hanté par cette disparition, pour laquelle le parquet de Dunkerque a ouvert une enquête, confiée à la police aux frontières.

Les quatre membres de la famille ont été rapatriés et enterrés au Kurdistan. Le corps du petit Artin n’a quant à lui toujours pas été retrouvé. Le bénévole de Grande-Synthe a eu l’accord du maire de la commune de Dannes (Pas-de-Calais) pour ériger une stèle en leur mémoire mais déplore l’inaction des politiques et des élus locaux : « la répression à l’égard des exilés les pousse à fuir. Ici il y a en moyenne deux tentatives de passage en mer par semaine. Des drames il y en aura d’autres ».

Céline Beaury

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