Dans ce département à la fois rural et urbain, le Rassemblement national est arrivé en tête du premier tour des législatives anticipées dans les trois circonscriptions. Dans la troisième circonscription du Cher, le candidat RN se place en première position avec 43,15 % des voix. Malgré une campagne dynamique, la candidate du Nouveau Front Populaire ne s’est pas qualifiée pour le second tour. Nous l’avions suivie. Reportage.

« Précarité urbaine, précarité rurale, même combat », c’est le slogan d’Emma Moreira, 21 ans et candidate aux législatives investie par LFI dans la 3ᵉ circonscription du Cher. Sur ces terres, le Rassemblement national semble être en terrain conquis. Aux Européennes, l’extrême droite s’est dressée en première position avec 37,95 %, bien loin devant la candidate de la majorité présidentielle (14 %).

« On n’est pas tous des voyous, on demande à être respectés et à vivre dignement, c’est pour ça que je vous invite à venir écouter la réunion et à voter dimanche », lance Rebiha Chebili à des habitants du Val d’Auron assis à l’ombre autour du terre-plein central. Mère d’un fils atteint de trisomie 21 et fille de Harkis, Rebiha a fait de la protection de l’enfance le combat de sa vie.

Moi, si je vote, c’est Le Pen

Dans ce quartier populaire du sud de Bourges où elle est arrivée d’Algérie en 1965, et dans tous les autres d’ailleurs, elle est connue de tous. « Regarde ma couleur de peau, ne t’inquiète pas, je vais voter Tata », lui promet une jeune femme. À quelques mètres, un jeune homme assis sur un vélo lui répond fermement : « Moi, si je vote, c’est Le Pen ». Rebiha passe son tour.

Ce mardi 25 juin, elle participe à une réunion publique en soutien à la jeune candidate du Nouveau Front Populaire (NFP). « J’ai connu la précarité, le racisme, je suis passée par des situations chaotiques dans ma vie. Aujourd’hui, je suis révoltée et je me retrouve dans le NFP, car c’est la diversité qui fait la beauté de la France », lance-t-elle au micro devant la cinquantaine de personnes présentes sous un soleil de plomb.

Rebiha Chebili et son fils Baïdir

Entre la France des tours et celle des bourgs

Au quartier du Val d’Auron, de nombreux habitants ont manifesté leur soutien à la jeune candidate pour les législatives. « Emma, clairement, elle vient du terrain, des groupes d’actions, pas du parti central », revendique Nicolas Malin, son suppléant. L’étudiante boursière qui a grandi en cité raconte s’être politisée au moment des gilets jaunes dans sa ville natale de Montargis. Une ville dans laquelle ses grands-parents sont arrivés du Portugal dans les années 80 pour travailler à l’usine Hutchinson, fabricant de pneus.

« Je n’ai pas le droit de voter, mais je pousse les gens autour de moi à aller voter à gauche pour barrer la route à l’extrême droite », explique Amine, un Algérois qui habite la ville depuis trois ans après être passé par le Danemark. Il travaille dans le nettoyage et craint d’être expulsé si l’extrême droite arrivait au pouvoir.

Ici, les séances de porte-à-porte sont plutôt encourageantes. Dans un bâtiment, deux militants sont invités à rentrer chez une femme âgée qui leur offre le café. Il y a quelques jours, elle dit avoir tenté de joindre directement Jean-Luc Mélenchon pour savoir « comment elle pouvait aider ». Amusés, ils repartent le sourire aux lèvres, pleins d’espoir.

Une fracture palpable

À Sancoins, 50 km de Bourges, l’atmosphère change radicalement. Mercredi 26 juin, les militants qui ont fait le déplacement pour tracter sur le marché peinent à écouler leur stock. Ici, le RN a remporté plus de la moitié des votes aux législatives de 2022. Les tracts à l’effigie de Jordan Bardella sont en revanche dans toutes les mains, y compris des plus jeunes, dans les poussettes.

Ce jour-là, les militants d’extrême droite sont présents en surnombre autour de Pierre Gentillet, avocat parisien prorusse star de Cnews, parachuté en urgence dans ce territoire qu’il ne connaît pas. Les militants font mine de s’ignorer. Une septuagénaire s’arrête pour discuter avec les militants de gauche, l’air soulagée. Elle explique avoir toujours voté pour les écologistes depuis la création du parti en France. L’impression qu’une galaxie sépare le quartier du Val d’Auron à Bourges, de cette petite ville qui risque de devenir entièrement bleu marine dans les prochains jours.

Emma Moreira, étudiante aux Beaux Arts de Bourges et candidate aux législatives dans le Cher

Dans les villages dortoirs, les gens restent scotchés à leurs TV et votent RN à mort

« Ce qu’il faudrait, c’est emmener les gens de la campagne ici pour leur montrer comment les gens vivent bien ensemble. Il n’y a aucune mixité là-bas, les gens ne vivent qu’à travers leur télé », déplore Emma Moreira, installée à Bourges depuis cinq ans, alternant entre Domino’s pizza et les Beaux-Arts.

« Quand il y a de l’interaction dans le village, on a nos chances, mais dans les villages dortoirs, les gens restent scotchés à leurs TV et votent RN à mort », ajoute Nicolas Malin, son suppléant.  Mais l’espoir de voir la gauche l’emporter est plus que jamais présent au sein de son équipe. L’étudiante explique se battre pour tous les étrangers qui vivent en France et qui, comme son grand-père portugais, ne peuvent pas voter. « Pour eux, la seule manière de faire entendre leur voix ici, c’était par le syndicat », explique-t-elle.

Une montée du racisme qui se fait ressentir

Karim est patron du Rinas Café, une boulangerie-snacking ouverte il y a trois ans qui occupe une place importante au Val d’Auron. Un espace de sociabilité où les « gens se sentent comme chez eux », dit-il. Le Tunisien arrivé en France en 2018 a travaillé à Paris, Rouen et Bordeaux avant d’arriver à Bourges. Depuis, il explique avoir été victime de « calomnies » et d’insultes racistes de la part de plusieurs clients.

Pendant la crise Covid, une cliente aurait refusé de boire le café qui lui était servi par l’homme, car il ne portait pas de gants. Celle-ci aurait jeté sa tasse par terre en le renvoyant à ses origines. Sous le choc, Karim explique avoir appelé la police. Des agents de la BAC seraient arrivés seulement trois heures après en expliquant venir « de la part de Dieu », d’un air moqueur. Une fois, une cliente avait même fait mine d’avoir trouvé un bout de verre dans un sandwich. Plusieurs autres personnes l’auraient accusé d’être complice du trafic de drogue auprès de la préfecture du Cher. Tous avec le même objectif : faire fermer son commerce.

Aujourd’hui, la police se comporte déjà mal, alors imaginez s’ils sont protégés par l’extrême droite au pouvoir ?

« Aujourd’hui, la police se comporte déjà mal, alors imaginez s’ils sont protégés par l’extrême droite au pouvoir ? La loi doit protéger toute la population et pas qu’une partie. À cause de tout ça, je pense à quitter la France », explique Karim, qui n’hésite pas à afficher son soutien au NFP pour les législatives.

Alou Mariko, agent de maintenance dans l’éclairage public à Bourges

Au boulot, on sent de plus en plus le racisme et c’est difficile à vivre

Du côté d’Alou Mariko, agent de maintenance chargé de l’éclairage public dans la ville, même son de cloche. « Au boulot, on sent de plus en plus le racisme et c’est difficile à vivre. Avant, les gens ne te recevaient pas avec la même haine. » L’homme de 49 ans, habitant de Bourges depuis dix ans, il est sympathisant du PCF. Dernièrement, il dit être passé à l’étape supérieure de son engagement en allant tracter sur les marchés de la région.

Une tâche de plus en plus difficile lorsqu’on est un homme noir. « On nous dit de retourner chez nous, qu’il y a 30 ans, il n’y avait pas autant de noirs et d’arabes. Avec mon camarade Jean-Pierre, on ne s’est pas laissé faire », raconte-t-il. Lui aussi fustige un débat qui n’est plus que « centré sur l’immigration » à cause de la télévision qui ne fait que « diviser le pays ». Mais la fracture entre zones rurales et quartiers populaires n’est pas si claire.

À l’image de Jordan Bardella qui a tenté d’instrumentaliser cette figure, certains habitants de quartiers votent aussi à l’extrême droite. « Mais ils ne le disent pas ouvertement. Ils attendent juste l’élection pour glisser leur bulletin dans l’urne comme des lâches », d’après Rebiha Chebili.

Lors du premier tour des élections législatives, Emma Moreira est éliminée avec 17 % des voix derrière le député sortant Loic Kervran (Horizons, 31 %) et Pierre Gentillet (RN) en tête avec 43 % des voix. Un score honorable de la gauche, mais qui n’aura pas suffi pour contrer la division opérée par le Rassemblement National dont le carburant est le racisme.

Dario Nadal 

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