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Dans le hall de l’Hôtel Première Classe de Suresnes, quelques employés assis sur une chaise attendent 19 heures pour quitter leur poste, le visage fermé. Seuls les gilets et les drapeaux CGT-HPE indiquent leur mécontentement. En grève depuis le 19 août, ils dénoncent des licenciements abusifs qui visent en particulier les syndiqués.

« Ça fait sept mois qu’on est en grève, nous, les femmes de chambre, les plongeurs et équipiers de Suresnes. Nous demandons une prime liée à l’inflation, l’arrêt de la déstabilisation syndicale et la réintégration de notre camarade », revendique Kandé Tounkara, déléguée CGT-HPE sur site.

Tout débute par un ras-le-bol : une femme de chambre, employée depuis dix ans par Louvre Hôtels Group, filiale détentrice des marques Campanile et Première Classe, se fait limoger alors qu’elle est bloquée au Mali par la perte de ses papiers. La direction, pourtant informée de sa situation, envoie des courriers à son domicile francilien et la convoque pour un licenciement le 12 août.

Rentrée en France trois jours plus tard, elle reprend le travail normalement. Mais le lendemain, la direction appelle la police qui sort l’employée de 55 ans manu militari. Le syndicat n’en est pas même informé. Ce cas n’est pas isolé. « Ils m’ont accusé d’avoir été violent avec mes collègues », dénonce l’ex-réceptionniste du Campanile de Suresnes, remercié pour faute grave.

Des employés sous pression

Alors que Louvre Hotels se targue d’être le deuxième groupe hôtelier européen, la filiale au slogan « passionnément humain » voit toujours plus grand. Grâce à un plan sur cinq ans, elle ambitionne la vente et la rénovation de cinquante hôtels vétustes. Les grévistes dénoncent des économies faites sur la coupe salariale. Les employés sont mis sous pression. Une élue du CSE-Campanile Kyriad Est explique : « Ils utilisent des algorithmes pour calculer le surplus de personnel ».

« Ça leur coûte plus cher de garder les anciens donc ils cherchent la petite bête, poursuit Kandé. Par ailleurs, nous n’avons jamais reçu la prime d’ancienneté, revendiquée annuellement par la CGT lors des Négociations Annuelles Obligatoires. » Pour cause, les nouveaux contrats, plus flexibles, ne s’appliquent pas aux anciens salariés. « Avec ces contrats, vous devez être disponible de six heures à vingt-deux heures. C’est impossible pour ces femmes qui cumulent souvent deux temps partiels », dénonce une cégétiste.

Depuis, la colère ne s’apaise pas. « On était 17 grévistes au départ. Une seule a repris son travail depuis le début de la grève. Sur les 74 employés, la majorité des grévistes s’occupent directement de l’entretien des chambres », explique Kandé. Les tensions ont atteint leur paroxysme à l’automne.

Deux de nos collègues sont partis en garde à vue pour agression sonore en octobre

« Deux de nos collègues sont partis en garde à vue pour agression sonore en octobre. Ils y sont restés 6 heures. La mairie nous a même interdit de manifester. Nos droits sont bafoués. On ne peut plus sortir dehors parce qu’apparemment, on ferait trop de bruit, mais regardez autour de vous. Sur le boulevard, il n’y a que des voitures et des travaux », rétorque la responsable CGT-HPE.

Leur statut fragile de femmes et d’immigrés justifie, selon elle, le comportement du patronat. «  Certes, on est des migrants, mais on n’est pas des voyous ou des criminels. On est régularisé, on travaille. Si on reste dehors à faire la grève, ce n’est pas pour le plaisir », s’exaspère la cégétiste.

Depuis le changement de direction en début d’année, les employés reconnaissent du mieux. « Au moins, la nouvelle directrice nous dit “bonjour”. L’autre responsable nous menaçait tous les jours d’appeler la police. Pour nous, c’est un manque de respect. » Contactée par mail, la direction n’a pas donné suite à nos sollicitations.

Une détermination sans faille et des soutiens

Au sentiment d’humiliation se mêle pourtant une grande fierté, comme l’explique un agent d’entretien. « On lâche rien. On est là depuis 6 mois, de 9h à 19h et on va continuer le combat, même quand la direction ferme les yeux. Avant, nos grèves ne duraient qu’un ou deux mois. Cette fois, on ira loin. » Et les soutiens se multiplient. Rachel Kéké, l’une des figures de la grève des Batignolles, reconvertie dans une carrière politique auprès de La France Insoumise, est venue leur rendre visite.

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, a fait le déplacement. Des soutiens qui comptent pour ces grévistes. « Heureusement qu’il y a des solidarités, l’UD 92 et l’association Femmes-Égalité nous aident depuis le début, assure l’élue cégétiste. Ça nous donne le courage d’avancer. »

Aurélia de Spirt

Photo : Rahim Rabia

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