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Le drame a secoué la ville de Garges-Lès-Gonesse, le 14 février 2022. Un incendie s’est déclaré dans un immeuble de l’allée Théophile Gauthier. Aïssé Touré, une adolescente de 13 ans, a perdu la vie, asphyxiée par les fumées quelques étages plus haut.

Le rapport de l’enquête préliminaire du parquet de Pontoise a établi que le feu a pris dans un appartement occupé par une vingtaine d’habitants, qui dormaient à 4 ou 6 dans des pièces de 10 m². Une surtension électrique due à un trop grand nombre d’appareils branchés à une même prise serait à l’origine du drame.

Aujourd’hui, Massalé Touré, le grand frère d’Aïssé, se bat pour faire la lumière sur cette affaire. Il dénonce la dangerosité du développement des marchands de sommeil, la vétusté et la surpopulation de beaucoup trop d’immeubles dans les banlieues. Une situation qui transforme le moindre accident en drame. Interview.

Votre petite sœur Aïssé est décédée, il y a un an, dans cet incendie.  Vous mettez en cause les marchands de sommeil et l’insalubrité de l’immeuble. Pouvez-vous nous expliquer ce qu’il s’est passé ?

Un lundi, comme tous les jours, ma petite sœur rentrait du collège pour aller manger. Elle s’est retrouvée au mauvais moment, au mauvais endroit. Elle était déjà montée au 8e étage, dans l’appartement de notre famille, quand l’incendie s’est déclaré au 3e.

Il s’est avéré que c’était un marchand de sommeil qui louait cet appartement au lit. Il y avait 18 personnes. Par la suite, on s’est rendu compte qu’il n’y avait pas de système de sécurité incendie dans l’immeuble, notamment pas de trappe de désenfumage*. Les fumées de l’incendie n’ont pas pu s’évacuer et ma petite sœur est morte asphyxiée.

L’immeuble était sous administrateur, en redressement judiciaire depuis 2016. En cours de réhabilitation. Ça avait commencé par l’extérieur, pour faire du cache misère. Mais pourquoi n’ont-ils pas commencé par ce qui est vraiment important, le système de sécurité incendie ? Rien n’avait été fait depuis 2016 là-dessus.

Est-ce qu’avant l’accident, vous aviez conscience de la dangerosité de la situation ?

C’est quand le drame arrive qu’on se rend compte de la gravité et de la dangerosité de vivre dans des immeubles dans un état aussi vétustes. J’appelle ça des cages à poules. Après coup, quand on discute avec des gens, on se rend compte qu’on n’est pas seuls à vivre dans des conditions comme ça.

Garges est une des villes les plus pauvres de France. Chacun pense à gagner sa croûte, à s’en sortir, à payer son loyer. Tant qu’on arrive à avoir un toit et à manger, on n’a pas le temps ni les moyens de se prendre la tête sur ce qu’il se passe autour, à se demander si l’immeuble est aux normes. On habite là depuis 89, on ne s’était jamais posé la question.

Étiez-vous au courant que des appartements de votre immeuble étaient loués par des marchands de sommeil ?

Pas vraiment, on commence à se rendre compte de l’ampleur du phénomène de surpopulation de certains logements seulement maintenant. On savait que beaucoup de monde habitait dans notre immeuble. Mais on ne se doutait pas qu’il pouvait y avoir 18 personnes dans un seul appartement. On a des horaires de travail, on ne voit pas forcément toutes les allées et venues.

On se rend compte que Garges est vraiment envahie par les marchands de sommeil

L’agent de sécurité qui était chargé de surveiller l’immeuble les mois qui ont suivi le drame était aussi un habitant de l’immeuble. Il s’est rendu compte à ce moment-là qu’à 5 heures du matin, énormément de monde sortait du bâtiment. Il m’a dit : « J’habite ici, ce n’est que maintenant que je me rends compte du nombre de personnes qui vivent dans cette barre d’immeuble, j’en ai eu des frissons. » 

Et à force d’en parler dans la ville, on se rend compte que Garges est vraiment envahie par les marchands de sommeil. Ce n’est pas que dans notre résidence.

Aujourd’hui, vous vous battez pour obtenir la justice et la vérité pour votre petite sœur. Mais votre engagement va plus loin, quels messages souhaitez-vous faire passer ?

Le but, c’est de trouver qui est responsable de ce drame. Ok, il y a le marchand de sommeil, mais il y a des circonstances aggravantes. J’attends que les responsables paient (le propriétaire de l’appartement est mis en examen pour homicide involontaire aggravé et mise en danger délibérée de la vie d’autrui. Une deuxième personne, chargée de récupérer les loyers, est aussi mise en examen, NDLR). Mettre 18 personnes dans un logement, c’est de l’exploitation.

Après, peut-être que s’il y avait cette trappe de désenfumage, la fumée se serait évacuée et elle n’aurait pas été asphyxiée. J’ai l’impression que ma petite sœur est morte pour rien.

On veut éveiller la conscience de la population sur la gravité de la situation

Pour commencer, on organise cette marche blanche dimanche, un an après l’incident. Elle partira de l’Allée Théophile Gauthier, le lieu du drame. On va dans un premier temps rendre hommage à ma petite sœur. Puis, on va essayer de s’exprimer. On veut éveiller la conscience de la population sur la gravité de la situation concernant les marchands de sommeil, le mal logement et l’état vétuste de trop grand nombre d’immeubles en France.

J’essaie de faire ça pour que les pouvoirs publics aient un appui des citoyens pour faire bouger les choses rapidement. J’ai décidé de mener ce combat et de comprendre pourquoi la ville de Garges est autant touchée.

Sentez-vous un soutien de la part des pouvoirs publics, et pensez-vous que les choses peuvent évoluer dans le bon sens ?

La mairie m’expliquait jusque-là qu’elle n’avait pas le droit d’aller directement chez les marchands de sommeil et de les déloger, que ce n’était pas de leur ressort. Mais est-ce qu’ils essayaient de faire bouger les choses au niveau de la préfecture ? C’est la question que je me pose. Ce n’est pas normal que ça prenne si longtemps.

Ce qui semble aller dans le bon sens, c’est que la mairie de Garges ainsi que celle de Sarcelles viennent de signer une convention qui les autorise à déloger directement les gens dans le cas des marchands de sommeil.

Quant à la question de l’insalubrité, c’est là même chose. Pourquoi ça prend aussi longtemps de mettre le bâtiment aux normes et de le rénover ? Pourquoi rien n’a été fait depuis 2016 ? Il faut qu’il y ait un drame pour que les choses avancent. Évidemment, tout s’est accéléré après l’accident et un système de sécurité incendie a été installé, mais trop tard.

Après la marche blanche, qu’avez-vous prévu pour continuer ce combat ?

Je suis en train de monter une association qui s’appellera Vivons nos banlieues. J’ai créé la page Instagram, il ne manque plus que la validation du statut. L’objectif est de lutter contre la précarité dans les quartiers. On aimerait s’allier avec d’autres associations qui luttent contre le mal logement comme la fondation Abbé Pierre.

Il y a plein de combats qui se mènent, mais sur la question des marchands de sommeil, il n’y a pas assez de monde par chez nous. J’y passe beaucoup de temps depuis un an. J’ai dû chambouler mon mode de vie. Je ne peux plus bosser de 8h à 18h, je n’ai plus le temps. Je suis obligé de faire un peu de sécu le soir et de photo la journée pour gagner ma vie. Il faut vraiment que les gens se mobilisent. On a besoin qu’ils apportent de la force à ces combats.

Propos recueillis par Névil Gagnepain 

*Contactée par le Bondy blog, la mairie de Garges-Lès-Gonnesses indique « concernant les trappes de désenfumage » qu’une « enquête est en cours et [que] les résultats de celle-ci nous dirons ce qu’il en est ». Par la voie de sa directrice communication, la mairie précise s’être constituée partie civile dans cette affaire.

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