Le Bondy Blog : Lil Jack, d’où viens-tu ?

Lil Jack : Je suis Rémois de naissance. Je viens du quartier Wilson mais ça fait plus de dix ans que je suis aux Châtillons. J’ai 27 ans, ça fait quelques années que je suis rappeur. C’est venu naturellement, j’écris depuis que je suis petit et j’essaie de me professionnaliser. J’ai grandi avec les sons de mes grands frères, c’était beaucoup les sons marseillais, comme la Fonky Family, 3ème Œil, IAM.

Le Bondy Blog : Qu’est-ce qui t’a donné envie de te professionnaliser ?

Lil Jack : J’ai vu que mes petits freestyle faisaient plaisir aux gens, qu’ils suscitaient un peu d’engouement dans mon entourage. J’ai vu très vite qu’avec mes messages, je pouvais capter l’attention des gens. Je me suis dis ‘Allez, pourquoi pas moi !’ Ça a commencé dans le quartier, puis j’ai sorti des petites vidéos freestyle sur Facebook. Puis, c’est allé très vite. En 2012, j’ai sorti mon premier clip, Haters. J’ai rencontré beaucoup de personnes, et beaucoup de déception, pas mal de hauts et beaucoup de bas.

J’essaie comme un peintre de dessiner le portrait de mon époque à ma sauce

Le Bondy Blog : De quoi parles-tu dans tes textes ?

Lil Jack : Je parle beaucoup de ce que je vis, de ce que je vois. Je parle beaucoup de la vie des « gens du bas », ceux qui n’ont pas vraiment accès à toutes les formes de culture, ou d’opportunités d’avenir. J’essaie d’apporter un œil lucide sur ce qui m’entoure. Ce qui m’anime, c’est l’injustice. Je ne vais pas forcément parler de l’échec des jeunes de quartier mais plus d’où vient cet échec. Est-ce que c’est un échec prémédité ? Je m’attaque beaucoup à l’État, à mes semblables qui ne veulent pas s’en sortir. C’est vraiment des critiques en toutes circonstances. J’essaie comme un peintre de dessiner le portrait de mon époque à ma sauce. Si je peux faire un peu évoluer les consciences de quelques personnes, j’aurais déjà tout gagné.

Le Bondy Blog : Peux-tu nous raconter ton quartier, les Châtillons où nous sommes aujourd’hui-même et ton rapport à la ville de Reims ?

Lil Jack : C’est un quartier familial. Contrairement à ce que les médias de ma ville veulent laisser croire, c’est un quartier très tranquille, où des familles peuvent venir s’installer. Il y a pas mal de jeunes, pas mal de personnes âgées. Il y a très peu de choses culturelles en revanche. Je n’ai malheureusement pas eu beaucoup de soutien de la part des acteurs culturels de ma ville. Je n’ai jamais fait de concert aux Châtillons par exemple. Je pouvais, dans les fêtes de quartier. Mais c’est mon art, c’est mon métier, je veux le faire dans de bonnes conditions, pas avec une sono faite pour un lieu fermé avec 20 personnes. On ne nous respecte pas, c’est hors de question que je me produise dans ces conditions. C’est une forme de protestation.

J’ai été obligé de m’exporter sur Paris pour trouver des studios, des moyens techniques. Mais je vais tout faire pour que les portes de ma ville me soient ouvertes. On m’a reproché d’être agressif dans certains morceaux. Je critique les institutions mais même moi je me critique. A la base, le rap c’était fait pour revendiquer, tout le monde ne le fait pas. Mais chacun fait ce qu’il veut. Il faut des musiques pour faire bouger. Pour moi, ça me paraît logique de parler des injustices, il y en a tellement.

Ceux qui sont dans la rue, des « Balkany » de la street mais ils n’ont pas les mêmes droits

Le Bondy Blog : Peux-tu justement nous parler de ton morceau Charbonne ou crève, où tu mentionnes Patrick Balkany ?

Lil Jack : C’est un morceau où j’essaie de dire que malheureusement dans les quartiers, beaucoup sont condamnés à faire dans l’illicite pour s’en sortir. J’essaie de comprendre si c’est la faute de l’État ou de notre faute à nous. Et Patrick Balkany, c’est une métaphore parce que pour moi, c’est l’un des plus grands gangsters, en col blanc, comme tous ceux qui sont dans la politique et détournent des millions. Ceux qui sont dans la rue, sont un peu des Balkany de la street mais ils n’ont pas les mêmes droits.

Le fait de pas vouloir rester dans le moule, ça ferme des portes

Le Bondy Blog : Quels sont les rappeurs qui t’inspirent ?

Lil Jack : Tupac. C’était plus qu’un rappeur. C’est un homme qui a fait beaucoup pour sa communauté, qui a énormément fait bouger les consciences. Pour moi, c’est une source d’inspiration, au-delà de la musique, par son histoire, son combat. Il y a aussi Despo Rutti, un rappeur décrié. Il m’inspire plus pour ses prises de positions que musicalement. Sinon, ce sont plus des personnages, des écrivains qui m’inspirent, comme Le Prince de Machiavel que j’ai lu au lycée.

Le Bondy Blog : Est-ce que tu vois ton métier comme une arme, un engagement, un besoin de lutter ?

Lil Jack : Oui. Ça m’a d’ailleurs fermé beaucoup de portes. Dans la musique, surtout dans le rap français, ce n’est pas facile de rester droit, intègre. On te demande souvent d’être dans un personnage. Le fait de pas vouloir rester dans le moule, ça ferme des portes. J’avais un bon contact avec un très gros label, mais ils voulaient trop influer sur mes sons. Et pour moi c’est impossible.

Le Bondy Blog : Comment composes-tu tes morceaux ? Travailles-tu avec des musiciens en particulier ?

Lil Jack : Je suis auteur et interprète. J’écris mes paroles, en trouvant la musicalité et je bosse avec des producteurs, des beatmakers, certains que je ne connais pas, via internet et ceux que j’ai rencontrés au fur et à mesure. Au début, quand tu n’es pas connu, tu achètes la musique. Maintenant, j’ai la chance d’avoir pas mal de beatmakers qui m’envoient des instru pour que j’écrive dessus, comme Balatch.

Soit fiable ou crève !

Le Bondy Blog : Des dates de prévues bientôt ?

Lil Jack : Pas pour le moment. Je suis en studio, en pleine préparation d’un album.

Le Bondy Blog : Place au questionnaire de Proust ! Si tu étais un pays ?

Lil Jack : Le Maroc, parce que c’est le pays d’origine de mes parents.

Le Bondy Blog : Si tu étais une expression ?

Lil Jack : « Soit fiable ou crève ! »

Le Bondy Blog : Si tu étais un personnage fictif ?

Lil Jack : Mowgli, parce qu’il est dans la jungle, tout seul. Il est « déter », il sait tout faire.

Le Bondy Blog : Si tu étais un rappeur ?

Lil Jack : Lil Jack, moi-même.

Le Bondy Blog : Si tu étais un morceau de rap ?

Lil Jack : Mon morceau Kunta Kinte.

Le Bondy Blog : Si tu étais une lutte ?

Lil Jack : La lutte contre l’appauvrissement culturel et intellectuel prémédité par ceux d’en haut contre nous.

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