À la suite de l’attentat du 7 janvier 2015, le Bondy Blog débat avec Edwy Plenel, Jean Plantu et Nacer Kettane et les blogueurs. Ensemble ils se sont interrogés sur les enjeux sociétaux et politiques à venir.

Ce mois-ci, le café Le Murat est pris d’une agitation particulière. À l’entrée, une barrière de police. À l’intérieur, mêlés aux clients, les blogueurs du Bondy Blog se retrouvent et s’installent sur les tables entourées de caméras et de micros. Les intervenants s’affairent aux préparatifs de l’émission, environnés par des techniciens, par les membres de la direction et par des reporters américains. Bientôt, les invités se présentent au rendez-vous. Edwy Plenel (co-fondateur de Médiapart), Jean Plantu (caricaturiste au Monde) et Nacer Kettane (président de Beur FM) sont venus échanger avec le Bondy Blog sur l’attentat du 7 janvier, ses suites et ses répercussions.

Moteur. Nordine Nabili introduit l’émission. On passe un extrait de la dernière conférence de rédaction du Blog : les invités entendent les blogueurs dire la violence ressentie sur le moment. « On a pris dix ans ferme. Ils nous ont tués. On a eu l’impression de se faire lyncher. »

La parole est aux invités. Nacer Kettane revient sur la place de Charlie Hebdo dans la culture des enfants d’immigrés : « La culture de Charlie Hebdo nous était propre et c’est là-dedans qu’on s’est épanouis ». Il confie : « C’est comme si on avait dynamité l’arc de triomphe, la place de la Bastille. C’est comme si on avait assassiné ma République. Ils ont insulté le Prophète, l’islam, les musulmans, la République, tout le monde ». Edwy Plenel, lui, décrit un attentat contre « toutes nos libertés », avant de rendre hommage aux victimes, « d’apparences, de visages, de cultures, de religions totalement différentes ».

La discussion évolue vers un débat sur le rôle de l’information et la pertinence du travail des journalistes. Répondant aux questions des blogueurs, les invités font part de leurs conseils et de leurs critiques sur le métier. Conseils édifiants : cette réflexion de fond s’imposait dans un moment tragiquement historique comme celui-ci.

« Sur l’instant, je n’ai pas été surpris », confie Edwy Plenel. « À un moment ou à un autre, nous allions être mis à l’épreuve ». Il interpelle ses confrères : « Attention. À force d’agiter toutes sortes d’épouvantails n’importe comment, nous allons produire des monstres ». Il ajoute : « Les monstres ont tué ».

Le deuil national ne doit pas empêcher de réfléchir aux véritables enjeux, l’émotion ne doit pas faire céder à la confusion. L’attentat peut être, pour les journalistes, l’occasion de remettre en cause leur démarche. Pour le directeur de Mediapart, les acteurs de l’information doivent tenir compte de la « société fragile » et du « monde complexe » dans lesquels ils s’expriment. « On doit se relever et s’élever. » Il insiste également sur la complexité des événements : « Personne n’a de vérité unique ».

Nacer Kettane renchérit par une description sans concession de la presse française : « En France, les journalistes n’ont aucune culture. Ce sont des fainéants, ils ne connaissent rien, ils travaillent dans l’urgence. Ils fabriquent trop vite une information répétée cinquante fois dans la journée, et ça exaspère les gens ».

Selon Jean Plantu, les acteurs de l’information doivent multiplier les efforts en termes de pédagogie. « Le journalisme est aussi un champ de bataille », dit Edwy Plenel. « On sait tous qu’après 1998, la politique nous a lâchés. L’enjeu pour nous tous, c’est que la société se prenne en main ».

Plantu, lui, rend hommage dans la suite du débat « à la presse qui meurt pour nous donner des informations ».

On en vient aux manifestations du dimanche 11 janvier. « C’est l’arme du peuple, affirme Nacer Kettane, c’est une laïcité sociale qui s’est imposée dimanche. Le peuple a donné le signal. Il faut que le gouvernement montre des signes forts allant dans le bon sens. On attend que la République nous réintroduise dans son circuit ». Edwy Plenel rebondit : « François Hollande va-t-il comprendre que la société qui lui a permis de gagner et à laquelle il a tourné le dos, c’est seulement avec elle qu’il peut s’en sortir ? »

Le directeur de Mediapart dénonce ensuite l’échec de la police française : « Charlie Hebdo était une cible aussi importante dans le monde que Salman Rushdie. Charb était plus menacé que le président de la République Française ».

Puis les invités mettent en garde contre la stigmatisation et l’assimilation entre islam et islamisme radical. « Nous allons lancer un appel », promet Edwy Plenel. Pour Nacer Kettane, il est absurde d’opposer la « communauté musulmane » au reste de la société. « Il n’y a pas de communauté musulmane. Si on est dans les médias, on n’y est que par effraction ».

Au terme du débat, les invités répondent aux questions du public avant de signer le carton faisant office de livre d’or du Bondy Blog Café. À la question de la responsabilité citoyenne, outre celle des médias et des politiques, Kettane répond : « Dans ce pays, il n’y a pas d’espérance, parce que les politiques nous embrigadent dans des choses fermées. Au point que, dans les quartiers populaires, les jeunes s’excluent de la catégorie des Français. » Il lance : « Il faut une grande conférence nationale de tous les acteurs, un grenelle. »

Lieu de rencontres, le Murat a vu se dérouler ce soir un échange fructueux en idées, en intentions, en interpellations, en projets. Lieu de médiation, l’émission incitera les multiples acteurs et les diverses couches de la société française à s’écouter, à communiquer et à rebondir intelligemment dans ce terrible moment. La réflexion qui s’imposait face à la tragédie, les remises en cause soulevées lors du débat devront aider notre société à poursuivre son chemin dans la cohésion.

Louis Gohin

Le Bondy Blog Café spécial Charlie Hebdo sera diffusé le dimanche 18 janvier à 12h sur France Ô et 13h sur LCP.

httpv://youtu.be/EQol2rwsgAM

httpv://youtu.be/mw6wTXzTaWg

httpv://youtu.be/m1yO8m4wPOc

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