Regarder Gilles Kepel se faire interviewer est comme regarder un film à l’eau de rose, en l’occurrence ici, il s’agit de la folle histoire d’amour entre un homme et ses thèses. Alors plus idéologue que positiviste Gilles Kepel ? Une question à laquelle les trois blogueuses et blogueurs Balla, Pegah et Latifa ont tenté de répondre en l’interpellant sur des faits, des réalités et des expériences vécues.
L’exercice consistant à interroger un professeur de faculté et un politologue n’est pas habituel pour le BBC, mais permet de pouvoir discuter sur l’Islam d’une manière sensée et sereine dégagé d’une tentation de raccourcis réducteurs. Expliquer, comprendre le phénomène de radicalisation sans forcement l’excuser ou le justifier, mais pour mieux le cerner et cibler le problème à sa racine.
Islamophobie, un vocable surexploité
Accablé et étouffé par ce terme qu’il juge surexploité, Gilles Kepel met au bûcher le vocable « islamophobie » qu’il se « refuse d’employer » pour sa part. Selon lui, taxer systématiquement ceux qui s’interroge la religion musulmane d’islamophobe empêche d’avoir une réelle discussion de fond et condamne par des procès d’intention sans réellement débattre. « Le tabou sur l’islamophobie nous empêche de penser ce qui se passe à l’intérieur de l’Islam ». Condamnant fortement les actes islamophobes il décrit les chantres de ce mot comme les entreteneurs d’une position victimaire fondée sur des principes faussés, appuyant par la même occasion que les mots changent en fonction des époques, le terme islamophobie vidé de son sens n’a plus de pertinence. Pourtant selon des chiffres publiés par le gouvernement, le nombre d’actes islamophobes a triplé en 2015.
Le regain d’une haine rétro-coloniale
Gilles Kepel explique la montée en puissance du djihadisme et des actes de barbarie sur notre territoire par l’héritage laissé par le passé colonial français. Il fait un parallèle dans le cas de l’affaire Mohammed Merah entre le cessez-le-feu de la guerre d’Algérie et la tuerie perpétrée devant l’école juive, toutes les deux ayant été mises en œuvre un 19 mars. Mixée à un peu de misère sociale et un sentiment de rejet, cette détestation de la France se transforme en acte odieux lorsqu’elle est habilement instrumentalisée par des recruteurs de l’ombre cherchant de nouvelles recrues dans leur folie. « L’Europe est le ventre mou pour Daech ». Pour Gilles Kepel la stratégie de Daech est d’amener la France à une guerre civile en créant un climat de tension. Cherchant des soutiens, Charlie était une cible parfaite, symbole de la liberté de presse et d’expression, l’hebdomadaire a blessé dans leur foi un grand nombre de musulmans. En s’attaquant à eux, ils cherchent la sympathie et le ralliement, de ceux qui ont été offusqués.
2005 : la grenade dans la mosquée
Vient sur la table la question de l’origine de cette montée du djihadisme en France et d’une colère sociale dans les banlieues. 2005 est considéré comme l’année charnière de ces phénomènes de radicalisation ou de révolte pour les intervieweurs comme pour l’interviewé. Mais en ce qui concerne l’élément déclencheur, ce sur quoi repose les émeutes de 2005 les opinions divergent. « J’ai interrogé des habitants de Clichy-Montfermeil, clame Kepel, ce sont eux qui dictent ma thèse et pas l’inverse ». La grenade lancée dans la mosquée de Clichy-sous-Bois a sonné l’avènement d’une nouvelle génération, la troisième, selon Kepel, de djihadistes cherchant leur nourriture sur internet, sur les réseaux sociaux. Il établit que la grenade lancée dans la mosquée est l’élément qui a déclenché les émeutes de 2005, essentialisant ce phénomène comme religieux et communautaire. Ce qui est le point de culminant de la discorde, le BondyBlog, lui considère que la mort de Zyed et Bouna a été catalyseur des émeutes de 2005.
Jimmy Saint-Louis
L’émission sera diffusée samedi 7 mai, à 10h sur LCP et à 18h40 sur France Ô.

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