Hanane Charrihi, fille de Fatima Charrihi, la première victime de l’attentat de Nice du 14 juillet 2016 qui a fait 86 victimes et blessé 458 personnes, est l’invitée du grand entretien du Bondy Blog cette semaine. Elle publie « Ma mère patrie », hommage bouleversant à sa mère et aux victimes et le témoignage d’une Française musulmane qui vit parfaitement son appartenance à son pays, à sa patrie et à sa religion. Rencontre.

Extraits de l’interview avec Hanane Charrihi :

« J’ai 27 ans, j’habite à Aulnay-sous-Bois dans le 93. Je suis préparatrice en pharmacie; j’ai écrit un livre par rapport aux attentats de Nice le 14 juillet, j’y ai perdu malheureusement ma mère. En plus de cela j’ai dû subir quelques agressions islamophobes. J’ai donc décidé d’écrire un livre pour en parler »

« Ce livre fait partie de ma thérapie. J’ai resenti le besoin, je voulais en parler, je voulais poser les mots et raconter l’histoire. L’une des raisons qui m’a poussé à faire ce livre, c’est lorsque j’ai compris que c’était les attentats qui avaient tué ma mère. Je me suis tout de suite dit qu’on n’avait rien à voir avec ces gens-là, je voulais écrire pour montrer ce contraste-là. L’idée d’en parler, d’écrire est venue immédiatement ».
Vous racontez dans votre livre dans les jours qui suivent la mort de votre maman : »Je n’ai qu’une obsession la voir, dans ma tête j’entends ma mère qui m’incite à me calmer », puis vous racontez cette scène bouleversante : « Pendant des semaines après l’attentat, j’avais l’habitude de l’appeler au téléphone d’habitude je raccrochais mais là après le signal, je respire un grand coup et je dis « Bonne fête de l’aïd ma ptite mamounette ».
« C’était dur, parce que c’est forcément pendant les fêtes où ça vient. Le fait de ne pas l’avoir au téléphone, je l’avais tous les jourss, ca fait un grand dévide; j’ai continué à l’appeler longtemps ne serait-ce que pour écouter le répondeur; c’est vrai que l’aïd c’était une journée pas du tout joyeuse au contraire, a ce moment là, j’ai pris le téléphone pour lui laisser un message, une bonne fête de l’aîd, ça m’a fait du bien, même si elle n’était pas là (…) J’ai continué à appeler jusqu’à très récemment, tout simplement, il n’y a plus le répondeur, ils ont fermé la ligne et là j’ai compris qu’il n’y avait plus de répondeur ».

Sur les images de victimes au sol diffusées par certaines chaînes de télévision :

« Même si elles se sont excusées de leur reportage trop pressant, le mal est fait. Surtout que le soir-même personnellement, j’étais chez moi, j’attendais le vol de mon avion, je me souviens d’avoir allumé la télé, mon mari est venu l’éteindre;  je me suis dite, heureusement que je ne suis pas tombée sur la vidéo où on voit ma mère au sol;  je ne sais pas comment j’aurais réagi; ce ne sont pas des choses qu’on doit montrer à la télé, la personne est encore au deuil; on voit clairement mon frère sous le choc, on entend même ma belle soeur crier au téléphone, elle appelait sa famille pour lui expliquer ce qui s’est passé et eux sont là et font leur reportage. Même s’il y a eu des excuses, je pense qu’un peu de retenue cela aurait été souhaitable ».

« C’est mon mari qui a trouvé le titre du livre. Ce livre a deux messages : l’hommage à ma mère et aux victime et ensuite, un message où je parle de moi Française et musulmane, comment je vis mon compromis entre mon appartenance à ma nationalité et ma religion. On entend souvent des phrases comme « je suis patriote ». Pour moi, patriote, c’est une personne qui aime sa patrie, je pense qu’on a pas besoin d’avoir une religion ou une origine pour aimer son pays; je pense qu’une personne peut venir de Chine, d’Angleterre, de Colombie, si elle se sent française, qu’elle aime son pays et qu’elle est prête à le défendre pour moi c’est un bon patriote; si on se sent bien, si on aime son pays, pour moi on est un bon patriote ».
Sur les propos de Manuel Valls que vous citez dans votre livre : « Marianne n’est pas voilée parce qu’elle n’est pas voilée, c’est ça la République » :

« Pour moi, la religion et la nationalité, n’ont rien à voir. J’ai déjà vu des débats où l’on demande : « est-ce que vous êtes français avant d’être musulman »? Elles peuvent être a coté, il n’y en a pas une qui passe avant l’autre, je ne les hiérarchise pas, je vis avec les deux ensemble, je suis française et je suis musulmane aussi et je vis parfaitement bien avec les deux ».

« Ma mère était quelqu’un de très douce et en même temps très stricte, il y a une expression qui la reflétait : une main de fer dans un gant de velours. Son éducation pour moi était très bien : douce et stricte à la fois, elle avait trouvé le juste milieu. Lorsqu’elle nous interdisait quelque chose, elle nous disait jamais « non » seulement, elle expliquait toujours pourquoi et c’est toujours mieux car quand on est jeunes, adolescents, on ne comprend pas forcément et du coup on est moins frustré. Elle nous a toujours poussés à l’éducation, hors de question de s’arrêter au bac pour elle, elle nous poussait à aller plus loin. Elle disait toujours « Je veux que vous trouviez vote place » et oui, elle était à cheval sur l’éducation ».
« Quand on parlait du djihad, elle disait toujours : « le djihad c’est contre soi-même ». Beaucoup de savants et de professeurs le disent, tous les jours être mieux que la veille et faire preuve de bons comportements tous les jours. Ma mère était vraiment comme ça : rester quelqu’un de simple, bon, gentil, tolérant. C’est ça pour moi être un bon musulman ».
Sur le titre du livre « Ma mère patrie » : 

« Ali, mon frère, en a eu l’idée. C’est une association pour appeler les jeunes à ne pas partir au djihad et  surtout leur expliquer que l’islam ce n’est pas sur Google ni sur youtube. Ce n’est pas en cliquant sur deux trois cliques que tu es musulman, ça ne marche pas comme ça. Si tu es intéressé par l’islam, renseigne-toi correctement chez quelqu’un d’instruit, quelqu’un qui a de l’expérience, pas au près du premier venu qui, à 19 ans, se prend pour un prédicateur. Aussi pour leur montrer qui était ma mère et leur montrer à quel type de personnes ils se sont attaqués.  On ne peut pas dire qu’ils sont musulmans ».

Propos recueillis par Nassira EL MOADDEM et Fethi ICHOU

Crédits photo : June RODRIGO

« Ma mère patrie », Hanane Charrihi et Eléna Brunet, Editions de La Martinière, janvier 2017.

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