Si les jeunes diplômés venus des cités n’ont pas eu la chance d’être « le fils ou la fille de » pour accéder à des postes à responsabilité ou à un statut de cadre – car beaucoup d’entre-eux ont des parents ouvriers –, un diplômé en finances, consultant dans une banque, originaire des Yvelines a eu une idée pour pallier à ce handicap social. Zoubeir Ben Terdeyet a développé un réseau sur Internet, « les Dérouilleurs », qui met en relation les diplômés des quartiers populaires avec les cadres de grandes entreprises. Son réseau existe depuis 3 ans. Dans un entretien accordé au BondyBlog, il nous raconte sa manière à lui de prendre l’ascenseur social sans se retrouver bloqué entre deux étages.

En quoi consiste le travail des « Dérouilleurs » ? 

Les membres du réseau accèdent à l’information des entreprises et mettent en commun leur carnet d’adresses et se rencontrent pour mutualiser tout cela. Tous les trimestres, nous organisons des rencontres dans des restaurants parisiens et discutons, créons des liens d’amitié autour d’un verre. A court terme, les demandeurs trouvent un stage ou un emploi. A long terme, ils enrichissent leur réseau et rencontrent d’autres experts en vue de créer leur entreprise. Via le réseau, les membres peuvent aussi transmettre toutes ces infos à leurs proches. Plus de 2 000 membres sont inscrits dans notre base de données et échangent sur la plate-forme Yahoo Groupe.

Comment vous est venue l’idée de créer ce réseau ?

En France, 70% des offres de stages et d’emplois gravitent à travers des canaux informels. Les diplômés issus des quartiers ne disposent pas de ces réseaux dont le lien se créé par l’entourage familiale et par le biais des grandes écoles. Dans les secteurs comme le journalisme, les ressources humaines et le marketing, le pays ne crée pas assez de croissance pour créer assez d’emploi. Les recruteurs vont piocher dans le cercle familial et le réseau personnel laissant de côté les milieux les plus modestes de la société. J’ai lancé le réseau des Dérouilleurs en juin 2004 en envoyant mon propre carnet d’adresses par mail et en proposant une première soirée inspirée des soirées de Connecting que j’ai connu lors de mon séjour en Angleterre. C’était un succès : nous avons commencé avec 80 personnes. Lors de la dernière soirée, nous étions 200. Au départ, nous réunissions des cadres dans la banque, la finance, l’informatique, la comptabilité, la justice. Aujourd’hui, nous élargissons le panel de métiers. Un simple employé peut ouvrir des portes à un jeune diplômé autant qu’un cadre. Ceux qui viennent dans les soirées sont agréablement surpris de voir autant de réussite : avocats, directeurs financiers, médecins, tous issus des milieux populaires.

La majorité des membres du réseau vit en banlieue. Pourquoi organisez-vous vos soirées à Paris ?

Il y a la volonté de sortir des clichés qui disent que les gens des banlieues n’en sortent pas. Et puis, Paris c’est le centre de la vie économique, politique, artistique. Il est pratique de s’y retrouver (RER, métro, etc.). Nous avons les moyens de louer des salles au centre de la capitale, nous le faisons. C’est à chacun de faire un effort de se déplacer sur Paris. Nos membres viennent également de province.

Parlez-nous de votre parcours personnel ?

J’ai grandi dans une cité des Yvelines avec l’envie de réussir. Mon père était chauffeur de bus, ma mère ne travaillait pas. L’école était pour moi le moyen de gravir tous les échelons. Comme nous vivons dans le pays de l’égalité des chances et des droits de l’homme, j’ai minimisé la discrimination. J’ai commencé mes études universitaires en finances sans réaliser l’importance des réseaux relationnels. En lisant les magazines économiques, j’ai appris l’existence de la « Junior entreprise » de l’université de Nanterre, présente dans très peu de facs en France. J’ai vite intégré cette association étudiante qui fait des études de marché pour les entreprises. J’étais le seul étudiant de banlieue à travailler avec ceux issus des beaux quartiers qui connaissaient cette structure grâce à leurs parents. Nous étions en contact direct avec les responsables marketing, et des ressources humaines des grandes entreprises : le lieu propice pour se constituer un carnet d’adresse. Arrivé en DESS finances, j’ai cherché des stages. Je me suis retrouvé dans une banque suisse avec le fils du patron, l’ami du fils du patron et le fils d’une cliente ! Là je me suis rendu compte que si tu ne connais personne pour te recruter, si tu n’as pas de réseau, toutes les portes de l’emploi sont fermées. Il faut arrêter de faire croire que la charte de la diversité va rendre service aux jeunes. Une entreprise ne va pas créer des postes de cadres juste parce qu’elle a signé la charte. Aujourd’hui, il y a le phénomène croissant des jeunes qui s’expatrient vers les pays du Golfe, la Chine et l’Inde qui sont les grands foyers économiques générateurs d’emplois. Dubaï est devenu un Eldorado.

Propos recueillis par Nadia Boudaoud

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