En cinq ans, le terrain sur lequel était installée l’entreprise Renault a étrangement évolué. Aux moment des émeutes, le bâtiment du concessionnaire a pris feu, mettant les employés au chômage technique. « Je m’en souviens très bien », affirme une commerçante. Et pour cause, elle travaille dans la station essence située juste à côté de l’ancien garage. Elle n’était pas là le soir même, mais les dégâts causés la veille par l’incendie avaient amené la police à bloquer les lieux.

Pendant trois semaines, la station essence n’a pas servi ses clients car il n’y avait pas d’électricité. La station partageait la même borne électrique que l’ancien concessionnaire. « On s’est plaint à la mairie. Nous n’avons pas eu d’aides, ni de compensations et jusqu’à aujourd’hui rien n’a abouti », affirme t-elle en poursuivant sur les lourdes pertes qu’elle a subies sur son chiffre d’affaires, « surtout le premier mois ».

A la cité des Emmaüs, les habitants aussi gardent en mémoire cet épisode. « Les CRS et la police étaient déjà dans le quartier à 15 heures ce jour-là, je m’en souviens, je revenais du travail », raconte une mère de famille en bas de son immeuble. « Les flics cherchaient les jeunes », selon elle. Elle reste choquée que « l’ordre public ait laissé carte blanche aux flics ». Cet incendie, elle le voit comme une « vengeance » des jeunes envers la police et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur. Elle ajoute qu’elle trouvait blessant qu’une entreprise comme Renault n’emploie pas des jeunes du quartier. « C’était pour attirer les flics (l’incendie du garage, ndrl) », me disent deux garçons du quartier se tenant près de leur véhicule. L’un d’eux trouve que « ça fait moche » de voir un terrain comme cela près de chez soi.

Il en est resté un lieu à moitié détruit qui s’est vu attribuer de nouveaux locataires : les Roms. Malgré l’inscription « Danger, risque d’effondrement », ils s’y sont installés. « Ils sont restés longtemps, pas loin de deux ans », rappelle la commerçante. « Ils venaient souvent nous demander de l’eau ou des vêtements », raconte cette mère de famille toujours au bas de son immeuble, qui poursuit en affirmant n’avoir eu aucun soucis avec eux. Les deux autres jeunes confirment.

Plus loin, une jeune fille explique qu’elle s’est faite insulter par des Roms alors qu’elle marchait sur le même trottoir qu’eux. « J’ai fait comme si je ne les avais pas entendus et j’ai avancé. C’était une bande de garçons, on ne sait jamais ce qui aurait pu arriver. » La commerçante de la station essence quant à elle se plaint plutôt du manque d’hygiène, « c’était infecte, il y avait plein de rats ». Sa station essence a pu être dératisée mais pas le terrain où logeaient les Roms. « La ville m’a dit qu’elle ne pouvait pas y avoir accès car il s’agissait une propriété privée, ajoute t-elle, et puis il y avait pas mal de gamins donc pas mal de vols dans ma boutique. » Les Roms se sont faits expulser, un matin à 6 heures.

Aujourd’hui, l’ancienne concession Renault reste un terrain vague encombré de débris. Personne n’est véritablement capable de dire ce qu’il adviendra de cet endroit. « Une zone commerciale », selon l’employée de la station essence. « Moi, j’ai entendu dire qu’il y aura un KFC et un cinéma », rapporte un des deux jeunes. Pour le moment « il n’y a rien qui bouge », dit cette commerçante. En tout cas, il n’y a ni zone commerciale, ni KFC et encore moins un cinéma à l’horizon.

Imane Youssfi

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