Le rire et la plume. Ainsi pourrait-on décrire Yassine Qnia dont le rire en cascades et l’usage du stylo plume surprend. Né à Suresnes (92) en 1987, il déménage régulièrement avec sa sœur unique et ses parents jusqu’à s’installer à Aubervilliers (93), son port d’attache depuis douze ans. Mère femme de ménage, père invalide au chômage, rien ne le prédestinait au cinéma. Au contraire, dit-il, « j’étais fait pour les petites bêtises et le travail sur les chantiers ».

Lui qui a été élevé « aux jeux vidéos, aux films, aux séries » est influencé par le cinéma américain. La révélation, il l’a vers 12 ans avec Les Affranchis de Martin Scorsese : « J’ai été frappé parce qu’on filmait un milieu. Les gars c’était tous des ritals, des méditerranéens, c’était plus facile de se direvoilà, c’est moi ce héros“ ».

Pour lui, le cinéma français n’est pas diversifié car « c’est un sport de riche qui n’est pas fait pour les pauvres. Si les gens ne s’orientent pas vers le cinéma c’est parce qu’il faut manger avant tout et s’habiller. » Au pays de ses parents, le Maroc, il pense que les cinéastes sont des privilégiés : « Ils ont beau venir d’un pays sous-développé, je suis sûr qu’ils ont mieux mangé que moi ». Il rêve cependant d’y projeter Fais croquer et d’y tourner un jour un film. Comme en Amérique latine, sa deuxième passion.

BEP puis Brevet de Technicien de géomètre-topographe, il fait une année de droit à Paris 8 pour faire plaisir à son père. S’arrête et le regrette un peu « j’aurai dû faire une option Arts pour prendre de l’avance ». Puis c’est l’intérim, le travail sur les chantiers jusqu’à ce jour d’avril 2009 où il fait une grosse bêtise et se dit qu’il ne peut pas continuer comme ça. Avec un ami, il écrit un scénario et atterrit à l’Office municipal de la jeunesse d’Aubervilliers (OMJA). Là, il bénéficie de deux stages en Amérique latine et réalise le court-métrage Arnaque-moi si tu peux qui remporte un prix à Draguignan. L’OMJA lui propose d’intégrer gratuitement une école privée de cinéma. Il refuse par rapport à sa famille. Se méfie des écoles qui peuvent servir à des élèves et monter la tête à d’autres. Et se forme avec Internet.

Jury Jeune au Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand 2011, il dévore près de 150 films en une semaine : « T’apprendras jamais mieux qu’en regardant des films et en écoutant les réactions du public ». Hakim Zouhani, ancien animateur de l’OMJA devenu producteur, le prend sous son aile pour réaliser Fais croquer. Il arrête les chantiers, écrit un scénario avec la société Nouvelle Toile puis tourne entre amis, dans son quartier, avec peu de moyens. Sa famille ne comprend pas et se pose des questions « Tu gagnais bien ta vie ». « Tu fais n’importe quoi ». Lui qui a toujours été l’enfant gâté ne reçoit pas de réel soutien. Jusqu’à obtenir l’aide financière de la Seine-Saint-Denis pour finaliser son film.

La consécration arrive en novembre 2011 lorsqu’il remporte le Prix du Jury et le Prix du Public du festival Génération Court. « Ce qui va jauger ce que j’ai réussi ou pas, ce sont les gens de chez moi ». Il dit devoir tout à Aubervilliers et à ses amis qui l’ont rendu plus fort. Yassine a peur que les films « de banlieue » deviennent un genre « Dès que tu veux faire un film en banlieue, tu as les producteurs, les diffuseurs qui demandent qu’il y ait un peu de ci, un peu de ça, parce que les gens sont habitués.» Leur absence dans les sélections vient pour lui du fait que certains réalisateurs « ne s’ouvrent pas assez ». Il s’étonne d’être souvent le seul en survêt-basket dans les festivals. « Il faut aller voir ce qui se fait ailleurs sinon t’es mort et même dans tes discours, tu ne seras pas crédible ».

Insurgé contre les jeunes cinéastes qui fantasment la banlieue et filment ce qui fait les gros titres, il explique qu’il faut connaître un sujet pour le traiter correctement. La Haine ? « Ça reste un fantasme ». Un Prophète ? « C’est bien, ça attire du monde au cinéma mais c’est difficile, tu te dis, “mais alors c’est ça notre image ? C’est ça que je dégage ?“ » Alors, quand on lui demande comment filmer la banlieue, il répond simplement : « Avec  pudeur parce que, quoi qu’il arrive, tu lui veux de l’amour. »

Claire Diao

Articles liés