A 38 ans, Zakaria multiplie les parcours. Militant associatif engagé dans les quartiers, agent d’entretien pour la ville de Paris, entrepreneur, et plus récemment, co-auteur de “Quartier de Combat (éditions Denoël)”, un ouvrage réalisé en collaboration avec Abdoulaye Sissoko et Pauline Guéna, dans lequel il retrace les mémoires des quartiers populaires du 19ème arrondissement.

C’est avec ce livre que Zakaria comprend que la littérature peut être un moyen de mettre les individus invisibles sur le devant de la scène. C’est la promesse qu’il se fait avec le festival Quartier bis de la littérature urbaine. Co-fondé avec Freddy Dzokanga (auteur d’“Itinéraire bis”), l’événement mettra à l’honneur 16 œuvres, afin d’élire les premiers lauréats du prix de la littérature urbaine.

Zakaria, tu as grandi à Danube, connu comme le quartier le plus pauvre du 19ème arrondissement. Quelle place y occupait la littérature ?

A Danube, on a grandi sans bibliothèque municipale. La bibliothèque la plus proche est à Place des Fêtes, sauf que les jeunes de Place des Fêtes sont en embrouille avec ceux de Danube. Le phénomène des rixes crée une barrière. Aucun parent ne va envoyer son enfant à Place des Fêtes par peur. Voilà quelle place occupait la littérature dans mon quartier.

Avec tes co-auteurs, vous avez choisi le livre comme support pour raconter les mémoires des habitants des quartiers populaires du 19ème. Pourquoi avoir choisi ce format pour relater ces histoires ?

Quartier de combat est né suite à un constat assez triste : l’éternel superposition des problèmes sur problèmes. Au départ, Abdoulaye voulait en faire un court-métrage. On s’est finalement dit que les écrits restent,alors que les paroles ont tendance à s’envoler. On a tartiné sur 8 mois, on a scindé nos histoires, on a travaillé ensemble avec Pauline Guéna sur l’écriture pour faire de cet ouvrage quelque chose d’authentique.

Avec Freddy, comment avez-vous décidé qu’un festival était le format adapté pour mettre en avant cette “littérature urbaine” ?

L’idée du festival est venue suite à un constat, celui de voir, autour de nous, de plus en plus d’auteurs issus des quartiers populaires. Ces auteurs n’ont jamais eu leur place pour les prix Goncourt, Renaudot, Fémina. On s’est dit, “pourquoi ne pas primer ces gens-là, qui ont été oubliés ?”. L’urbain est plus large qu’on peut l’imaginer, ça peut être de la poésie, de l’essai, du roman, du polar…

Un prix, c’est une reconnaissance.

Oxmo Puccino, figure emblématique de la culture française, est aussi un enfant du 19ème. Pourquoi tenez-vous à sa reconnaissance dans le cadre littéraire ?

Oxmo, c’est un grand frère, un grand de chez moi qui m’a beaucoup aidé, qui m’a poussé. Je prends beaucoup exemple sur lui. Il était du bâtiment B, maintenant, il remplit la philharmonie. De mon côté, je n’étais pas destiné à écrire un livre. D’ailleurs, j’ai tendance à dire que je ne l’ai pas écrit, j’ai raconté. Je suis aujourd’hui à une place que je n’avais pas anticipé, celle d’écrivain. Ca, c’est une forme de reconnaissance d’ailleurs. Dans nos quartiers, nous sommes de plus en plus nombreux à être reconnus par notre travail. Par exemple, dans l’équipe qui nous accompagne sur le festival, on a la chance de travailler avec Taoufik Vallipuram, qui était président de OuiShare, et Souad Boutegrabet qui a créé les DesCodeuses. C’est des gens issus des quartiers populaires qui font des choses énormes. Je pense que la reconnaissance et la visibilisation de notre travail commun sont essentielles. D’où l’importance du festival, du prix. Quand on remet un prix, c’est une reconnaissance. Au-delà du festival, qui se passe une fois dans l’année, qui est un moment plutôt folklorique, il y a la dimension associative, symbolique et politique. Le festival permet surtout de parler d’accès à la culture.

Qu’est-ce que tu souhaites de ce prix de la littérature urbaine ?

Que ça soit reconnu. Que les institutions nous prennent au sérieux. Par exemple, le CNL, on l’a contacté, mais ils ne nous ont pas donné l’heure. Si ce n’est pas reconnu par eux, au moins que ça soit reconnu par les nôtres, tu vois. J’espère aussi que ça pourrait inciter les gens à écrire. Plutôt que ça soit un journaliste, un sociologue, ou quelqu’un d’autre qui raconte ton histoire, écris-là ! En fait, comme l’a dit Freddy, “il faut qu’on soit le quartier bis latin”. Si le quartier latin ne veut pas de toi, viens chez nous dans le XIXe.

C’est surtout là où ça ne va pas que l’accès à la culture doit être possible

Pour revenir là où tout a commencé, qu’est-ce que tu espères voir comme victoire en lien avec la littérature auprès de ton quartier, Danube ?

J’ai lancé une pétition pour obtenir une bibliothèque municipale sur Danube. Tous les quartiers QPV du XIXe disposent de bibliothèques municipales, sauf nous, Danube, l’un des quartiers les plus pauvres de Paris, où le Rassemblement National fait un super score, où beaucoup de problématiques des quartiers populaires se concentrent. C’est surtout là où ça ne va pas que l’accès à la culture doit être possible, c’est un droit, notre droit.

 

Jeanne Séguineau

 

Articles liés