« As-tu remarqué que les Anglais ont un gros problème avec la sécurité ? Ça fait peur ».  Je le savais. Je ne suis pas le seul à être parano. Depuis que je suis arrivé en Angleterre, je n’arrive pas à m’y faire. Et mon ami de Sciences-Po n’est pourtant pas un supporter du laxisme, lui qui trouve que Manuel Valls fait des progrès tout en étant encore loin du maître Guéant. Lui aussi ne peut s’empêcher de lever les yeux dès qu’il voit le sigle « CCTV in operation ».

4,2 millions. Une caméra pour 14 habitants en moyenne, plus en réalité puisque certaines zones du pays n’appliquent pas la vidéosurveillance. Tout a commencé dans les années 1970 pour contrer les attentats de l’IRA (Armée Républicaine Irlandaise) avant de s’étendre à tout le Royaume-Uni, aux places souvent investies par des manifestations, au métro. En 1996, l’installation, la maintenance et la surveillance des écrans comptaient pour 75% du budget alloué par le gouvernement à la prévention du crime.

En marchant dans les rues de Londres je ne peux m’empêcher de me souvenir de ces lignes de 1984 de Georges Orwell : « Le télécran recevait et transmettait simultanément. Il captait tous les sons émis par Winston au-dessus d’un chuchotement très bas. De plus, tant que Winston demeurait dans le champ de vision de la plaque de métal, il pouvait être vu aussi bien qu’entendu. Naturellement, il n’y avait pas moyen de savoir, si, à un moment donné, on était surveillé. Combien de fois, et suivant quel plan, la Police de la Pensée se branchait-elle sur une ligne individuelle quelconque personne ne pouvait le savoir. On pouvait même imaginer qu’elle surveillait tout le monde, constamment. Mais de toute façon, elle pouvait mettre une prise sur votre ligne chaque fois qu’elle le désirait. On devait vivre, on vivait, car l’habitude devient instinct, en admettant que tout son émis était entendu et que, sauf dans l’obscurité, tout mouvement était perçu ».

Dans le monde imaginaire qu’Orwell décrivait, la télésurveillance permettait au dictateur Big Brother de surveiller son peuple. Initialement pensé comme une critique de l’URSS stalinien, 1984 se déroulait pourtant à Londres. En 2012, les caméras sont omniprésentes dans la capitale britannique. Rues, cafés, magasins, taxis, couloirs de résidence étudiante, aucun de mes mouvements ne passe inaperçu. Mon ami me confie même que l’université a fortement recommandé l’installation de caméras dans le salon et la cuisine de leur résidence.

Étrangement, les étudiants anglais semblent plutôt à l’aise avec cette vidéosurveillance. Plusieurs sondages ont par ailleurs montré que la population y était favorable. Mais l’association No CCTV rappelle que la plupart des gens est sensibilisée à la vidéosurveillance à travers des émissions comme CrimeWatch, l’équivalent anglais d‘Enquête d’action sur W9. Citant Lord Peston en 2009, l’association se demande : « si les citoyens demandent ces caméras CCTV, quelle est la réponse que les autorités doivent fournir ? Devons-nous dire : eh bien si c’est ce qu’ils veulent, donnons-leur alors même qu’il n’y a aucune preuve prouvant leur efficacité ? Ou bien est-ce notre devoir de leur montrer qu’ils ont tort ? ».

No CCTV liste une série d’enquêtes* montrant l’absence d’efficacité ou tout du moins, l’absence de preuve appuyant le dispositif CCTV. Une de ces enquêtes étudie l’impact qu’ont les caméras sur les relations entre citoyens. La conclusion est sans appel : en diminuant la confiance générale qu’ont les sujets entre-eux, elles augmentent leur peur et leur mal-être.  Une étude portant sur la ville de Glasgow montre que CCTV ne sert qu’à rassurer ceux qui se sentaient déjà en sécurité auparavant.

Lors d’une interview accordé au Daily Echo John Apter du Hampshire Police Fédération, déclare : « Pour avoir un système CCTV opérationnel, il est nécessaire d’avoir une police capable de réagir à ce qui se passe à tel moment. Avec de plus en plus d’argent drainé des budgets de police, vous aurez probablement un système CCTV très onéreux et élaboré qui brillera mais n’aura aucune substance ».

Heureusement que les Anglais ont l’esprit capitaliste. Pour combler les lacunes de l’Etat une entreprise eut l’heureuse idée de lancer un site internet qui fit grand bruit. Puisqu’il ne peut y avoir un policier derrière chacune des 4,2 millions de caméras, InternetEyes.co.uk propose à chaque citoyen de se transformer en Big Brother et de scruter des écrans via internet. Pour chaque délit, mieux, pour chaque crime observé une récompense est offerte au surveillant. Une pratique de délation qui n’éveille que peu les scrupules des Anglais mais qui rappelle sans aucun doute de sombres jours à nous autres Français…

Rémi Hattinguais

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