Avec Tsalika on s’est donné rendez-vous dans le bar emblématique du 5e arrondissement de Marseille, Le Bar du Marché, mieux connu sous l’acronyme BDM. Assise en terrasse un 18 décembre, sous les derniers rayons de soleil, je profite de la fin de journée en l’attendant. Un peu surprise, c’est une petite blonde aux longs cheveux frisés et au pas bien décidé qui s’approche de moi. Discours assuré, large sourire aux lèvres, elle m’explique sa démarche personnelle.

A 20 ans, Tsalika a quitté le cocon familial pour venir s’installer à Marseille. Après un bac sciences des techniques sanitaires et sociales en Seine-et-Marne, une année en fac de sport spécialité kiné à Créteil, entrecoupée par quatre mois à Londres et une formation de six mois en école de sophrologie, la jeune fille a décidé de ne pas faire d’études plus approfondies pour se mettre au travail.

La sophrologie. Elle m’explique en gros le concept : « c’est la manière de résoudre ses problèmes et ses difficultés à partir de techniques de relaxation, de gestion de son stress, de ses douleurs. Ca peut-être pris comme une thérapie mais aussi comme une philosophie de vie. Tout est fondé sur le positif. » Arrivée il y a moins cinq mois à Marseille, elle a trouvé un local chez « une dame qui pratique la médecine chinoise », chez qui exercer. Mais difficile de se faire une clientèle. « Ce n’est pas encore vraiment entré dans les mœurs » regrette-t-elle. Elle est bien consciente aussi que sa jeunesse ne lui prête peut-être pas une assez grande crédibilité dans un domaine où l’on s’attend à être pris en charge par une personne d’âge mur. « Mais j’ai une expérience de quinze ans dans les arts martiaux, se défend-elle, qui nécessite de la même manière le contrôle de soi. »

« A Marseille on a une qualité de vie »

Afin de se faire connaître, elle distribue des flyers, démarche les infirmiers, les médecins… « Pour la médecine occidentale c’est dur de se dire qu’il y a d’autres remèdes, prévenir plutôt que guérir, analyse-t-elle. On ne va pas leur piquer leurs patients, le but, c’est d’améliorer la qualité de vie de la personne, d’accélérer ou améliorer les processus de guérison… » Elle est persuadée des bienfaits de la sophrologie : « Le corps est très réceptif à ce que l’on pense. Les gens qui somatisent ce n’est pas pour rien. Quand tu stresses et que tu as des ulcères ce n’est pas pour rien… »

Pourquoi s’installer à Marseille ? « J’ai une amie qui habite ici et j’aime la Méditerranée, j’aime ce coin. Ce sont les décors, c’est la mer, la montagne. » Même si Marseille est la deuxième ville de France, chacun est rattaché à un quartier qui s’assimile à des petits villages explique-t-elle. Tsalika aime Marseille pour ces gens, « il y a du contact, plus qu’en Ile-de-France. Les gens s’arrêtent plus pour répondre, les gens sont plus aidants… » Et puis, c’est aussi « la qualité de vie ». Même si Marseille est pauvre, il y a un certain confort à vivre dans cette ville.

« A 20 ans on ne perd rien »

Actuellement, elle n’arrive pas à vivre de sa profession. Et en attendant de se faire un nom, elle cherche un petit boulot pour payer les factures. Même si ses parents l’aident, elle veut progresser sur la voix de l’autonomie. « Je recherche dans le tertiaire, dans la vente, dans le service à la personne, dans tous les boulots que les jeunes peuvent faire… » Je lui demande si elle n’a pas eu peur de se lancer dans une aventure comme celle-ci, à son âge. « A 20 ans on ne perd rien » me coupe-t-elle.

Quand on a 20 ans à Marseille et qu’on a peu d’argent, difficile de mener une vie de jeunes ordinaires. « Moi je ne fais pas grand chose parce que je n’ai pas d’argent » avoue Tsalika. Alors elle développe des astuces : faire ses courses sur les marchés ce qui coûte moins cher qu’au supermarché, acheter ses fringues dans les friperies… Et puis, faire des activités qui ne sont pas payantes. Ce qu’elle préfère c’est prendre sa voiture et « aller explorer la campagne environnante, je vais me faire des couchers de soleil. Je suis allée jusqu’à Manosque, la mer, la montagne, les ports, je visite et j’en prends plein les yeux… » Mais dans l’ensemble ça veut dire « savoir se restreindre dans ses envies.  Moi j’aime beaucoup la musique mais je ne peux pas aller à des concerts ou dans des bars qui passent la musique que j’aime. » Le seul écart qu’elle se permet, c’est le Taekwondo. Avec trois cours par semaine dans les mois prochains, elle devrait présenter la ceinture noire.

Le rêve d’ailleurs

Aujourd’hui, ses rêves se tournent vers l’étranger. Elle aimerait aller développer ses techniques et ses connaissances en Asie. « Je veux être baignée dans d’autres cultures. Je suis née sur cette terre et pas dans un pays. » Et si Tsalika aime « l’ailleurs » ce n’est sans doute pas par hasard. Avec un père libanais qui a fui les conflits, la jeune femme porte en elle ce côté multiculturel. Le Liban, elle y retourne régulièrement. Elle aime ce pays et éprouve beaucoup d’admiration. Elle souhaiterait peut-être ouvrir son futur cabinet de sophrologie là-bas.

Tsalika n’a pas la langue dans sa poche. Elle avoue ne pas avoir été voter aux dernières élections, mais ce n’est pas pour autant qu’elle n’a pas d’idées et de convictions. « Je ne me suis pas reconnue dans les candidats. Et puis, j’ai le sentiment que les choix qu’on nous propose ne sont pas vraiment des choix. C’est la finance qui décide, pas les hommes politiques quels qu’ils soient. » La France, elle l’aime mais est très critique face aux choix réalisés : un système trop fondé sur l’argent, des valeurs dans lesquelles elle ne croient pas, des gens qui ne se regardent plus. « Notre société n’apprend pas de ses erreurs » assène-t-elle. « Les hommes politiques parlent de choses qu’ils ne connaissent pas. Est-ce qu’ils savent ce que c’est que vivre sous le seuil de pauvreté ? » Elle aimerait une prise de conscience car pour elle c’est le peuple qui maintien l’ordre établi. Elle  trouve la société trop individualiste. « Ce n’est pas en réglant des problèmes individuels que l’on règle des problèmes collectifs. » Le débat est lancé. Nous voici parties à papoter comme de vieilles amies, à refaire le monde. Un message arrive sur son portable. On regarde l’heure, 19 heures déjà. La nuit est tombée, on frissonne. Il est temps de rentrer, mais promis on se revoit bientôt.

Charlotte Cosset

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