Le nombre de chômeurs ne cesse d’augmenter. Des demandeurs d’emploi s’immolent. Le malaise social est ardent ! Tom est allé au Pôle Emploi de Rosny-Sous-Bois pour s’intéresser aux divers problèmes que rencontrent les  demandeurs d’emploi. 

Jeudi 7 mars, la presse fait paraître la nouvelle : le dernier trimestre 2012 a été tristement marqué par un nouveau record. Celui du dépassement de la barre des 10% de chômeurs dans la population active française, ce qui ne s’était pas produit depuis 1999. Un amas de chiffres est tombé sur nos écrans télé : nombre de chômeurs (3,7 millions de demandeurs d’emploi d’après l’INSEE), pourcentages : 10,2% de chômeurs en France métropolitaine (d’après le Bureau International du Travail), une conjoncture économique du pays inquiétante (croissance de 0,1% du Produit Intérieur Brut français, d’après les prévisions de la Banque de France)… Ce sujet est d’autant plus explosif depuis que Matignon a signé un accord sur l’emploi avec certains syndicats. De plus, récemment, dans les environs de Nantes, un chômeur s’est immolé devant l’agence où il était inscrit. Toutes ces réformes, ces statistiques abstraites, obtenues par des méthodes plus ou moins fiables, masquent des situations très hétérogènes, parfois bien délicates… C’est pourquoi j’ai décidé d’aller devant l’agence Pôle Emploi de ma ville, Rosny-Sous-Bois, pour donner la parole à ceux qui l’obtiennent rarement, mais dont on parle quotidiennement dans les journaux.

Je me suis donc plus particulièrement penché sur la situation de chômage dans ma ville. La directrice de Pôle Emploi à Rosny-Sous-Bois a pris le temps de répondre à mes questions. Cette agence accueille 3 646 demandeurs d’emploi inscrits pour 30 salariés, soit à peu près 126 cas à gérer pour chaque employé. La directrice de l’agence m’a aussi dit que 63% des inscrits de cette agence ont, entre 26 et 49 ans, et que 29 % des demandeurs d’emploi sont en situation de chômage de longue durée, soit depuis plus d’un an. D’après les chiffres qu’elle possède, les emplois qui sont le plus demandés sur le marché de l’emploi se trouvent dans les relations commerciales, dans la pause de canalisations, le service domestique, l’assistance auprès des adultes, mais aussi, et principalement, dans le service en restauration. Je vais voir sur le terrain ce qu’il en est de ces chiffres.

Il est 9h15. J’attends, en face de l’agence, la sortie de certains demandeurs d’emplois afin de les interviewer sur les raisons de leur venue ici, leurs situations personnelles… A peine ai-je le temps de poser mes fesses sur la table de ping-pong en pierre, qui fait face à la porte de l’agence, que je vois sortir un jeune homme plutôt bien habillé. Je me lève, la fleur au fusil : « Bonjour, auriez-vous dix minutes à m’accorder ? Ce serait pour écrire un article sur Pôle Emploi.» J’essuie un refus catégorique : « Je n’ai pas le temps.»

Sur 22 personnes interpellées dans la rue, 17 ont refusé de me parler : « Je suis pressé », « Faut que j’aille chercher mes gosses », ou encore « Il est l’heure de manger », voir même « Faut que j’aille travailler ! » « C’est comme ça, les chômeurs d’aujourd’hui n’ont plus le temps ! », me dira, en coup de vent, un homme d’une trentaine d’années.

Mais bon, je ne renonce pas et au bout d’une heure, ma technique de démarchage commence à s’améliorer : large sourire, air embarrassé, mes « dix minutes » d’interview passent à « deux questions », et, au final, je réussis à avoir cinq témoignages, presque d’affilée. Cette course à la communication, avec tant de refus, a par ailleurs fais naître en moi la sensation d’être un témoin de Jehovah ! Enfin bref, finalement, cinq personnes ont accepté de répondre à mes questions.

Le premier m’accorde cinq minutes, avec un large sourire. Je lui pose, comme à toutes les personnes que j’ai interviewées ce jour-là, deux questions : « Quelle est la raison de votre venue dans les agences Pôle Emploi ? Rencontrez-vous des problèmes avec leur gestion des dossiers ? »

Moussa, 37 ans : « Si je suis ici, me dit-il avec un fort accent, c’est pour chercher du travail. Ca fait six mois que je suis en France et ça fait six mois que j’en cherche, mais c’est la première fois que je viens ici. Avant, j’étais ouvrier au Portugal, alors en France, je cherche plutôt un travail dans le bâtiment. J’ai rendez-vous la semaine prochaine avec la conseillère de Pôle Emploi pour faire mon CV et mes lettres de motivation. » Lorsque je lui demande quelle impression lui a laissé l’agence, il me répond : « Pour la demi-heure que je viens d’y passer, ça m’a semblé plutôt bien. Les conseillers sont ouverts, nous donnent de bons renseignements, et nous placent devant un logiciel d’offres de travail. J’ai eu rendez-vous directement dans moins de six jours… »

DimitriLe premier interrogé semble alors plutôt satisfait de sa découverte de Pôle Emploi. Ce n’est pas le cas de la prochaine personne : Dimitri, 26 ans : « Ça fait deux ans que je fréquente Pôle Emploi pour rechercher une formation, mais l’agence ne m’en propose pas. Avant, j’étais dans une boite d’intérim mais je travaillais beaucoup pour peu d’argent. J’ai l’impression que les conseillères se foutent un peu de mon cas», me dit-il avec ressentiment. « Sérieux, ce que je reproche le plus aux gens qui travaillent dans l’agence, est de s’en foutre. A l’instant, la femme de l’accueil a refusé de m’aider à faire mon CV car elle a dit qu’elle était occupée. Elle m’a dit d’aller le faire dans un café et que s’il était mal fait, c’était pas grave. »

La seule femme qui ait accepté de me répondre est Najat, 40 ans : « Si je suis ici, c’est pour rechercher des financements pour ma formation, car je suis en fin de droits. Ca fait deux ans et demi que je suis au chômage et je ne trouve rien ! De plus, mon déménagement n’a rien arrangé, il me manque toujours un papier, un justificatif pour telle ou telle chose… A cause de deux ou trois papiers, je ne touche plus rien aujourd’hui… Je reproche également à Pôle Emploi de ne rien financer ! Peut-être est-ce parce qu’ils pensent que je ne représente pas un bon investissement sur le long terme ? »

PaulPaul, 47 ans : « Si je viens ici, c’est car je demande un emploi. Je viens ici tous les jours depuis 4 mois, le matin, et je n’ai toujours rien trouvé. On ne peut pourtant pas me reprocher de ne pas bouger! Avant, j’étais agent administratif dans une association caritative mais elle a dû mettre les clefs sous la porte.  Aujourd’hui, je cherche un poste dans l’administration. Ce qui est dérangeant, c’est qu’il n’y a aucun autre moyen pour trouver du travail que de venir ici aujourd’hui ! »

Enfin, je rencontre Alain, 44 ans, intermittent du spectacle. Bien qu’il ait un travail, il est obligé de fréquenter le site de Pôle Emploi régulièrement :  « Même si je ne suis pas dans une situation de chômage de longue durée, je suis obligé de pointer à Pôle Emploi pour déclarer le nombre d’heures travaillées tous les mois afin de pouvoir toucher mes Assedic, quand je ne travaille pas durant un certain laps de temps. Enfin, récemment, je me suis retrouvé en condition de fin de droits. J’ai alors dû réactualiser mon dossier dans l’agence qui se trouve près de chez moi. Pour moi, le plus gros problème est que fréquemment, quand j’appelle l’organisme, je tombe sur des employés qui font preuve d’incompétence. Ils nous donnent de mauvais conseils, nous demandent des renseignements dont on n’a pas forcément besoin, nous orientent inutilement vers certains postes…»

Deux choses ont particulièrement capté mon attention durant cette matinée. Tout d’abord, le fait que la grande majorité des chômeurs refusent de me parler. Peut-être dois-je mettre ça sur le fait qu’ils n’avaient pas dix minutes à accorder à un jeune homme tout fraîchement débarqué dans le monde des adultes ? Ou bien se sentent-ils particulièrement stigmatisés par les temps qui courent ?

Mais la chose qui m’a, à coup sûr, le plus surpris est que, sur les 22 personnes croisées, il n’y en avait que trois qui avaient moins d’une trentaine d’années, alors que le chômage, d’après les chiffres, touche particulièrement les jeunes de moins de 25 ans (25,7% à en croire le Figaro du Jeudi 7 mars). Comment expliquer ceci ? Peut-être par le fait que les personnes qui ont déjà eu un emploi et qui ont déjà passé plus de dix années dans la vie active, ont davantage de mal à trouver un autre emploi. C’est peut-être pour ceci que les employés des agences prennent plus souvent en entretien individualisé les personnes de plus de 40 ans.

Quant à la directrice de l’agence Pôle Emploi de Rosny-Sous-Bois, elle n’a pas l’impression d’être dans une situation de sous-effectif, depuis le recrutement de 2 000 conseillers supplémentaires en CDI à l’automne. Cependant, selon elle, si certains problèmes persistent, on peut les expliquer par le fait qu’il y a une augmentation constante du nombre de chômeurs longue durée et l’on peut aussi remarquer un manque de débouchés dans les emplois demandés par les inscrits dans les agences. Lorsque je lui demande si l’on apprend aux conseillers à gérer les situations délicates, elle me répond qu’il existe deux problèmes majeurs dans son agence. Les employés se retrouvent confrontés à la barrière de la langue avec une partie des prestataires. Cela pourrait être réglé par la présence d’interprètes durant les entretiens. L’autre difficulté majeure à laquelle l’agence de Rosny-Sous-Bois fait face, est l’agressivité de certains demandeurs d’emploi envers l’employé de la réception, alors que selon la directrice de l’agence : « la manière dont l’accueil est géré permet de résoudre de nombreux cas. »

 

Tom Lanneau

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