TOUR D’EUROPE. A Barcelone, Antonio ne mâche pas ses mots contre l’Espagne et contre l’Europe. Portrait d’un écorché vif assoiffé d’indépendance et de justice socialeRetrouvez tous les articles sur notre page spéciale.

A quelques pas du centre commercial las Arénas et de la Plaza España, Antonio me reçoit à domicile. Il me fait savoir qu’il loue une chambre et m’invite à faire passer le message. Son appartement est modeste, sobre, il dispose d’une mini bibliothèque et attache une grande importance à la lecture et à l’écriture. Je suis face à un personnage haut en couleur. Antonio Cebrian Pain 46 ans, est l’exemple parfait de l’autodidacte débrouillard à qui la vie n’a pas fait de cadeau. Il n’a pas été épargné par le chômage et les problèmes de santé ces dernières années. Il a passé ses diplômes et ses galons dans la dure école de la vie, lors de son enfance dans le Raval, un quartier chaud de Barcelone. Le quadragénaire est particulièrement attentif aux questions sociales et au sort de la Catalogne que son cœur a choisi comme pays.

Au moment d’évoquer Barcelone et plus généralement sa région un mot, lui vient à l’esprit : « Crispation. Le climat est très crispé, par ce que l’Espagne nie la souveraineté d’un peuple ». Il passe sa main sur un crâne aussi garni que celui de Don Limpio et développe son argumentation : « La Catalogne est un moteur économique qui paie pour le reste de l’Espagne. On donne beaucoup et on reçoit peu. Les coupes budgétaires touchent les plus fragiles : les personnes âgées, les personnes avec déficiences mentales ou physiques. Les queues chez Cáritas tu les as vues non ? En Catalogne, le nombre d’écoliers qui souffrent de la faim est impressionnant. Un ami professeur de collège me disait que tous les lundis les élèves débarquent à la cantine, ils engloutissent la bouffe parce que durant le week-end ils mangent trop peu. Les parents n’y arrivent plus. Les gosses viennent avec la dalle et quand ils se mettent à pioncer en cours, c’est pour tromper la faim ».

Les Catalans infantilisés…

A la question de savoir s’il est sensible aux discours des hommes politiques à ce sujet, un rictus nerveux se lit sur sa gueule d’écorché vif. « Il faut être une crapule pour parler de la pauvreté et dire que tu vas lutter contre quand tu touches au moins 5 000 euros par mois. Il faut avoir des couilles pour venir parler de la pauvreté à un père de famille qui touche 300 euros par mois, quand c’est le gouvernement qui la créé avec ses coupes budgétaires (chômage, éducation, retraite, santé) ».

Entre injustice, pauvreté et désespoir, l’enfant terrible du Raval esquisse un futur sombre pour sa « terre » : « A un moment donné les ressorts de la patience seront épuisés.  Les manifestations sont de plus en plus dures, de plus en plus contondantes. Dans 15 ans si ça continue, je pense que la grande majorité des Catalans seront dans la rue avec un fusil. A cause d’un gouvernement infantilisant qui nous dit sans cesse non, non et non. La capitale ne se rend pas compte qu’elle est face à un adulte qui peut être plus grand qu’elle ».

… dans une Europe à deux vitesses

En eurosceptique patenté, il ne croit pas en la promesse d’égalité de la princesse Europe. « Je ne crois pas non plus en une Europe fédérale. Elire un eurodéputé ou un président de l’UE, c’est la même chose. Ils ne feront rien du tout c’est Merkel qui dicte à l’Europe la marche à suivre. Même avec un président qui aurait son gouvernement et ses ministres, ça serait pareil. Le taux d’emprunt de l’Allemagne n’étant pas le même que celui de l’Espagne je ne vois pas en quoi cela va changer quelque chose. Merkel peut emprunter à taux zéro, pas l’Italie, l’Espagne ou la Grèce pourquoi ? Parce qu’il y a une Europe à plusieurs vitesses ».

Selon lui le symbole de l’impossibilité de l’intégration européenne c’est la monnaie unique. «  L’euro a été le début de l’hécatombe économique espagnole. Avant un café valait 60 pesetas, soit 30 centimes d’euros. Le café est maintenant à plus d’un euros donc on se rapproche des 200 pesetas pour un café ! L’euro c’est bien pour la France, l’Allemagne, le Benelux mais pas pour les pays du Sud. Pour moi l’Euro, c’est comme le socialisme, le communisme : c’est une illusion. Le « todos uno » est impossible. Chaque pays a une économie différente. Si on veut m’imposer le modèle économique allemand qu’on me paie comme un Allemand, mais si c’est pour me payer comme un Espagnol, non merci ! ».

Africain de l’Europe

Antonio ne rechigne pas à l’idée de se rendre aux urnes. « Je vais voter en conséquence de ce que je suis. Je ne vaux pas la même chose qu’un Allemand ou qu’un Français. Je ne dirais même pas que je suis un Européen de seconde zone. Je souffre d’un handicap à la jambe, mais je n’ai pas les mêmes droits qu’un handicapé du Nord de l’Europe pourquoi ? Parce qu’ici on est foutus. L’Afrique commence de l’autre côté des Pyrénées c’est ce qu’on dit non ?  Nous sommes le Nord de l’Afrique et ça s’applique à l’Italie, à la Grèce et au Portugal aussi. Je suis un Africain de l’Europe ». Son expérience de militaire dans les zones en conflit sur le continent en forme de gun parle pour lui. 

La comparaison n’est-elle pas brutale ? «  Non. Les scandales politiques africains ne sont pas si différents de ceux qu’on vit en Espagne. Là-bas quand ils sont 5 à tout rafler, ici on est 15. Le climat de corruption d’Amérique latine et d’Afrique est pratiquement au même niveau que celui de l’Espagne. La différence ? Il y en a qui portent des costards et d’autres des mitraillettes c’est tout ! Il n’y a qu’à regarder l’affaire Barcenas [ex-trésorier du Partido Populaire] qui prouve que le gouvernement est dans la merde jusqu’au cou et corrompu jusqu’à la moelle ! Je te le dis ce qui sépare l’Espagne de l’Afrique, c’est l’eau rien d’autre ».

Inquiet de la passivité des Espagnols face à ces scandales, il déplore également la pauvreté et le sous traitement de la campagne européenne. « Quand j’entends Rajoy dire qu’il ne faut pas faire de vote de protestation alors que son parti est corrompu, ça me fait rire. Comment ne pas aller voter pour un parti qui n’a pas de casserole ? Comment ne pas aller voter pour un parti qui n’exerce pas le pouvoir ? »

Sur un ton moqueur Antonio me fait comprendre que j’aurais dû venir le jour du vote.  « Un journaliste français qui vient ici pour écrire des papiers sur les élections européennes devrait venir le 25 mai et aller dans tous les bureaux de vote de Catalogne pour entendre les mouches voler. Ça serait génial que tu viennes voir ça. Tu verras un mec perdu dans un bureau. Tu te rendras compte qu’en vrai, le gars s’est trompé et qu’il n’était pas au courant qu’il y avait des élections. Il va te dire : ‘’Oh j’ai vu la lumière et je suis rentré où sont le buffet et la boisson ? ».

 

Balla Fofana

 

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