En juillet dernier, une quarantaine de travailleurs migrants, se sont vus notifier l’expulsion de l’hôtel meublé qu’ils occupaient dans le XI° arrondissement parisien, depuis des dizaines d’années pour certains d’entre eux. Ils sont entrés en résistance, la peur au ventre.

En arrivant devant le 73 rue du faubourg Saint-Antoine on a peine à croire, en voyant la porte, que des personnes vivent ici. L’immeuble est défraîchi, l’entrée est sombre, au premier, la loge du gardien, parti en vacances, qui vit habituellement là avec sa femme et ses deux enfants.

Mais la majorité de ceux qui vivent là sont des personnes âgées, issus de l’immigration maghrébine, une quarantaine de « chibanis » dont certains vivent là depuis des années. Dans des chambres minuscules où parfois courent des cafards. Youssef est là depuis 16 ans, Mohamed depuis 15 ans, Jamel, le plus jeune et le dernier arrivé est là depuis moins longtemps mais pour eux tous l’heure est grave.

image (4)image (4)Une procédure d’expulsion pèse sur eux ainsi que sur la gérante de l’immeuble Zakia Aït-Tayeb, à qui ils paient le loyer, l’immeuble appartenant en fait à la Compagnie des Immeubles de la Seine qui détient depuis 2010 un permis de construire pour faire des travaux.

Seulement voilà, la procédure d’expulsion dans les tuyaux depuis un jugement de juin 2013, eux ils n’en avaient jamais entendu parler. « Je l’ai appris, j’étais chez l’assistante sociale, qui par amitié m’a dit que l’on était menacés d’expulsion dans cet immeuble alors j’ai alerté tout le monde. On était paniqués, on ne savait pas à qui s’adresser, finalement on s’est tournés vers le DAL [Droit au Logement], on a rempli nos dossiers et c’est là qu’on a commencé le combat. Quoi qu’il en soit on reste unis, on reste solidaires. Nous n’avons nulle part où aller. Nous sommes en attente d’une bonne ou d’une mauvaise nouvelle et nous sommes dans la 7ème semaine depuis qu’on nous a demandé de partir et nous avons décidé d’arrêter de payer les loyers mais on a peur que ça se retourne contre nous » confie Mohamed Amrouni sur un ton inquiet.

Plus que jamais unis, ces vieux Messieurs sont dans l’attente, tout cela les angoisse et les stresse. D’autant plus qu’ils ignorent pourquoi ils doivent quitter les lieux, « depuis 1999 que je suis là, j’ai jamais causé de problèmes, y’a rien eu avec le voisinage ». Ils ne restent pas non plus dans cet hôtel insalubre par plaisir, des demandes de logement, Youssef en a rempli des tas, « les services sociaux viennent, ils constatent que c’est sale et ils repartent. Ils constatent c’est tout. Depuis que je suis là je fais des demandes, ça fait 15 ans que je renouvelle. »

image (5)Aujourd’hui, leurs revendications sont simples « on ne quittera pas les lieux tant qu’on nous proposera pas un relogement décent. Et pourtant on a peur que la police revienne car ils sont déjà venus une fois, à 6h du matin, on n’a pas compris pourquoi, c’est pas rigolo car on n’a pas tué, on n’a pas volé, ça nous a fait peur ».

Au 73 rue du faubourg Saint-Antoine, l’heure est donc à l’organisation et à la mobilisation. Ce qui n’empêche pas Youssef de plaisanter, « je sais pourquoi ils veulent l’immeuble, c’est pour faire des travaux et en faire un bel hôtel, parce que nous, on habite dans un quartier sophistiqué » me dit-il dans un éclat de rire.

Le DAL fait les démarches pour eux, leur dossier est en cours d’examen à la préfecture, eux tous continuent de vivre leur vie comme d’habitude en espérant une fin heureuse qu’ils disent mériter car comme m’a dit Mohamed « nous, on est des gens droits, comme Saint-Augustin, tu connais Saint-Augustin ? Il était droit lui et il est de chez nous en plus, c’était un berbère ».

Latifa Oulkouir

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