La Maladrerie, à Aubervilliers, est l’un des cinq quartiers du 93 à être sous l’étroite surveillance de la Brigade spécialisée de terrain, la BST.  Une police de proximité dont les méthodes, souvent musclées, suscitent la controverse. 

Ce soir de mars, les cinq candidats aux élections municipales d’Aubervilliers sont réunis pour un débat. Sophie, une mère de famille, prend la parole. « Maintenant, quand nos enfants sortent, on n’a plus peur qu’ils se fassent frapper par d’autres jeunes. On a peur qu’ils se fassent frapper par la BST. Quand est-ce que tout cela arrêtera ?»

Mais pourquoi la Brigade spécialisée de terrain fait-elle autant parler à Aubervilliers ? Pour comprendre, il faut se pencher sur le quotidien de cette police de proximité « new look ». Une sorte d’unité très spéciale, dont l’histoire de désamour avec les jeunes remonte à début 2011. Le maire d’alors, Jacques Salvator (PS), obtient de l’État l’arrivée à Aubervilliers de cette nouvelle force de police. Celle-ci prend ses quartiers, principalement à la Maladrerie, près du Fort d’Aubervilliers. Le début d’une histoire tumultueuse.

La BST, c’est la police de proximité made in Sarkozy. Une refonte des « Uteqs » mise en œuvre par Brice Hortefeux en 2011. L’idée est simple : mettre en place un petit groupe de policiers ayant déjà travaillé en cités, les faire travailler au cœur du quartier dans une démarche plus musclée que ce que faisaient leurs prédécesseurs. A Aubervilliers, ce sont entre quinze et vingt policiers qui se sont portés volontaires pour rejoindre l’unité. Tous les jours, par groupe de quatre ou cinq, les policiers patrouillent à la Mala.

A pied le plus souvent, en voiture quand la nuit tombe ou quand les circonstances l’imposent. Placés sous la responsabilité du commissaire d’Aubervilliers, ils ont pour principale cible les trafics de stupéfiants, les vols à la portière et les vols à l’arraché. On les reconnaît à leurs uniformes, différents des policiers traditionnels. On les reconnaît aussi à leur style, très particulier.

Et qu’importe si Manuel Valls a imposé aux policiers de « bannir toute forme de tutoiement et de familiarité, qui dégradent la relation entre les forces de l’ordre et les citoyens ». Apparemment, la consigne n’est pas passée dans les talkies-walkies de la BST. Ce jour-là, un jeune s’apprête à se garer dans le petit centre commercial du quartier. Il est arrêté et contrôlé par les agents de police. Très vite, le ton monte. « Tu fais quoi ici ? Me prends pas pour un con ! Me regarde pas comme ça, tu vas m’énerver !” Le jeune se crispe. « Qu’est-ce que tu vas me faire ? Arrête de faire la star parce que t’es en uniforme.» Le policier approche sa tête de celle du jeune. La tension est maximale. « Ferme ta gueule, te prends pas pour ce que t’es pas. » C’est le policier qui parle.

Autour, les riverains regardent la scène, silencieux. Parfois, lorsque les interpellations sont musclées, le ton monte autour des policiers. Un jour, des pères de famille viennent demander aux policiers pourquoi ils sont si véhéments avec ce jeune. L’un des agents exhibe la GoPro qu’il a à sa poitrine, appuie sur un bouton et lance aux badauds : « Faites attention, vous êtes tous filmés !». La foule finira par se dissiper, sans bruit mais non sans ressenti.

Samia, une mère de famille du quartier, s’insurge contre les méthodes de la BST. « Depuis qu’ils sont là, on a l’impression qu’ils veulent terroriser les jeunes. Mais ce n’est pas ça, les valeurs qu’on doit leur transmettre. C’est important la sécurité, mais là, franchement… Je ne les aime pas. » A défaut de les aimer, les jeunes du quartier connaissent tous les policiers de la BST. « Cochon », « Hitman », »Jacqueline »… Chacun, ou presque, a son surnom que même les plus petits connaissent.

« Moi, la BST, je l’appelle la Bang Sur Tête ! Ils aiment trop frapper !», ironise un jeune. Même le rappeur emblématique d’Aubervilliers, Mac Tyer, rendait hommage à cette unité il y a quelques semaines dans une de ses chansons : « Au quartier ça craint, mais je n’ai pas dramatisé/Je n’aime que traumatiser, wallaye, encore pire que la BST !». Si elles font assurément partie du quotidien de la Brigade, les interpellations musclées ne constituent pas l’intégralité du travail des policiers. Parfois, le ton est courtois. Parfois, il est même volontiers souriant, sinon taquin. Certains agents sont salués par les jeunes pour la distance et le respect qu’ils mettent dans leurs contrôles. A leur avantage, également, un bilan statistique favorable.

Depuis leur arrivée, la mairie affiche fièrement une baisse de 40% du trafic de drogues à la Maladrerie. Derrière les chiffres, pourtant, se dessine, au fur et à mesure des témoignages, des ressentis, des contrôles vécus, une constante. Les méthodes de la BST ont du mal à passer, dans des quartiers déjà en proie à une nervosité croissante. « Ils ont peut-être réussi leur mission, mais à côté de ça, le quartier est sous tension », confirme un “grand frère” du quartier.

Educateur reconnu de la Mala, l’homme est en contact direct avec les agents depuis leur arrivée. « On subit des pressions gratuitement. Tu peux te faire contrôler deux fois par jour, plusieurs fois par semaine…» Se comprend en filigrane une critique du nombre mais aussi de la forme que prennent les contrôles. « Certains (des policiers) parlent hyper mal. Au final, les gens honnêtes se fâchent. On en est arrivé limite à faire une alliance anti-BST parce qu’il y a eu trop d’injustices.»

Comme d’autres, l’homme se plaint d’être pris malgré lui dans la masse de la délinquance. « Il y a 50 voyous sur 500 habitants. Mais les 500 vont se faire ‘victimiser’ par la BST. Tant pis si dedans, il y a des travailleurs, des gens honnêtes, des gens qui payent leurs impôts… Nous ne sommes pas contre le fait qu’ils soient là. Mais ce n’est pas parce que ton voisin met le feu à l’immeuble que tous les locataires sont des pyromanes ! ».

Depuis le débat des municipales, c’est un communiste, Pascal Beaudet, qui a été porté au pouvoir à Aubervilliers. Lui aussi a eu à gérer les retours mécontents de jeunes (ou moins jeunes), insatisfaits du travail de la BST. Il a rencontré la Brigade récemment, au commissariat d’Aubervilliers. Sans que la position de la municipalité n’évolue à ce sujet. « Nous sommes contents du travail de la BST, assure Jean-François Monino, l’adjoint chargé de la sécurité. On travaille en confiance avec eux. Peut-être que parfois, ils ont été un peu durs, je ne sais pas…»

L’élu ne nie pas, toutefois, les critiques. « C’est vrai, il y a eu des retours négatifs de certains jeunes, d’une élue, de deux ou trois éducateurs… Mais je sais aussi que les personnes âgées sont très contentes de leur présence. Et puis, objectivement, ils ont un bilan très positif depuis leur arrivée.» Il existe, dans le 93, cinq brigades spécialisées de terrain. Les autres sont à Sevran, Clichy, La Courneuve et Saint-Denis. Partout, se posent les mêmes questions qu’à Auber. Avec, partout, les mêmes absences de réponses.

Ilyes Ramdani

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