#Bondygnon. Jusqu’au 15 juillet, le Bondy Blog prend ses quartiers d’été à Avignon dans le cadre du festival et anime des « Ateliers de la pensée » sur le site Pasteur. Le deuxième débat était consacré aux rapports entre les habitants des quartiers populaires et la police. Compte-rendu.
Violences et débordements. La question du rapport conflictuel entre la police et une partie de la population, défavorisée, agite de nouveau les Etats-Unis après la révélation de deux nouvelles bavures policières, ces derniers jours. La situation outre-Atlantique est-elle comparable à ce qui se passe en France ? Et une réforme de la police dans l’Hexagone est-elle envisageable ? Pour répondre à ces questions, le sociologue et anthropologue Didier Fassin ainsi que le Bondy Blog étaient présents en Avignon, sur le site Pasteur, ce mardi 12 juillet. Sollicités, une vingtaine de politiques – de droite et de gauche – ainsi que des responsables de la police ont décliné l’invitation. « Est-ce simplement les hasards du calendrier ou alors l’ordre public est une chose qui se pratique mais qui ne se réfléchit pas ? », s’interroge Joseph Confavreux, journaliste de Mediapart, en charge d’animer le débat.
Didier Fassin, qui a beaucoup travaillé sur les institutions publiques et les forces de l’ordre, tente une explication : « Je crois que la police fait peur. Parler de la police est vu comme quelque chose de délicat. Les responsables ont peur de s’avancer sauf lorsqu’il s’agit de défendre les forces de l’ordre« . Selon l’auteur de Force de l’ordre. Une anthropologie de la police des quartiers, il y a cinq ans il n’y avait quasiment pas de débat sur la police en France, et pas du tout aux Etats-Unis. Il salue le fait que dans ces deux pays, pour des raisons différentes mais aussi parfois convergentes, la question de la police, de ses pratiques et de ses débordements est désormais devenue un sujet d’actualité. « Je crois qu’au titre de l’espace démocratique, c’est très important« , estime-t-il.
Partie émergée de l’iceberg
Michael Brown, Trayvon Martin, Tamir Rice, Eric Garner, Freddie Gray, …. Les noms d’hommes noirs tués par la police sont légion ces dernières années aux Etats-Unis. A tel point, que des journalistes du Washington Post et ceux du Guardian ont réalisé un décompte de ces victimes, sous l’appellation « the counted« . « Aux Etats-Unis, un noir a neuf fois plus de risque d’être tué par la police qu’une personne blanche. Si on ajuste sur les âges, un jeune homme noir a cinq fois plus de risque de se faire tuer qu’un jeune homme blanc« , indique Didier Fassin qui vit au pays de l’Oncle Sam depuis sept ans. Et de rajouter : « Ce n’est pas cette réalité qui est nouvelle mais c’est la révélation de cette réalité qui l’est ». Selon l’anthropologue, la convergence des petites luttes locales et la mobilisation par les réseaux sociaux et par les médias ont permis cette révélation. Didier Fassin dit que ces homicides ne sont, là-bas, que la « partie émergée » de l’iceberg mais que tous les jours, ces populations subissent « des harcèlements, des contrôles et des humiliations » de la part des forces de l’ordre.
« Aussi loin que je me souvienne, il y a toujours eu des relations difficiles entre les habitants des quartiers et la police. Beaucoup de noms ont été cités outre-Atlantique mais pourquoi en France on n’a pas, ou peu, connaissance d’Amadou Koumé, d’Ali Ziri, d’Amine Bentounsi ? », s’interroge Latifa Oulkhouir du Bondy Blog.
Dans l’Hexagone, c’est l’affaire Zyed et Bouna qui a été la plus médiatisée. La mort de ces jeunes a débouché sur les révoltes de 2005. Nordine Nabili, directeur du Bondy Blog, raconte lui avoir grandi, dans les années 1980, dans un contexte où mouvements et collectifs dénonçaient les violences policières dans les quartiers. « J’ai eu le sentiment que ce combat était uniquement le nôtre et qu’il était circonscrit à nos territoires, c’est-à-dire que des minorités étaient sous le joug de la police« , explique Nordine Nabili. Il estime que depuis quelque temps, le phénomène s’est étendu. « Ce n’est que depuis une dizaine d’années que l’on voit des bavures policières qui dépassent le cadre des territoires des banlieues et que l’on se rend compte que notre police nationale ne respecte pas toujours sa déontologie« , poursuit-il.
Deux mondes en souffrance
La violence, ce n’est pas seulement des coups physiques. « Ce dont souffre le plus les jeunes des quartiers, c’est une violence morale ou psychologique qui est une violence de l’humiliation, de l’insulte, des propos racistes, des propos disqualifiant« , dit Didier Fassin qui déplore que cette violence-là ne soit absolument pas reconnue.
Pour Nordine Nabili, ces rapports conflictuels sont aussi vécus de façon dramatique par certains membres des forces de l’ordre. « Les policiers que nous avons rencontré dans le cadre de notre travail au Bondy Blog souffrent aussi. Nous avons en réalité ici deux mondes en souffrance. Les histoires des policiers qui se suicident dans les commissariats existent aussi« , souligne-t-il. Se pose aussi la question de la formation des policiers envoyés dans les quartiers. « 80% des policiers en France sont originaires de zones rurales ou de petites villes de provinces. Or, la première affectation d’un policier qui sort de l’école c’est toujours dans les quartiers difficiles« , révèle Didier Fassin. « On se retrouve donc avec des policiers qui sont non-expérimentés, qui viennent des milieux complètement différents des milieux dans lesquels ils vont évoluer, qui sont très peu formés à cette réalité et qui ont très peu de supervisions de la part de leur supérieurs« , décrypte l’anthropologue qui a suivi des policiers durant 15 mois pour l’écriture de son livre.
Didier Fassin indique aussi avoir recueilli le témoignage de policiers qui avaient essayé de signaler à leurs supérieurs des problèmes de corruption, de violence ou de racisme observés dans leur commissariat mais que dans la plupart des cas, c’est ceux qui dénonçaient les pratiques illégales et déviantes qui ont au final été sanctionnés. Alors malgré tout une autre police est-elle possible ? Didier Fassin reconnait qu’avec le contexte d’état d’urgence actuel et les politiques de la peur menées par les différents gouvernements ces dernières années, la France pour l’instant n’en prend pas le chemin et parle de « mauvaise passe« . Mais le sociologue se veut rassurant et veut croire qu’une transformation est possible. « Elle est possible, nécessaire et au sein de la police il y a suffisamment de gens qui sont conscients des problèmes de l’institution (…). Le tout répressif, visant à discriminer certains territoires et certaines populations, n’est pas une solution à long terme pour la démocratie et pour assurer la sécurité de l’ensemble de la société », conclut Didier Fassin.
Kozi Pastakia

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