Lors du dernier conseil municipal le 30 juin 2016, la première décision du maire telle que rapportée dans le compte-rendu concerne les dispositifs de vidéoprotection de la ville. Il y est question d’une demande de subvention au fonds interministériel de prévention de la délinquance. Quelques clics plus loin, on propose le téléchargement du formulaire « Opération tranquillité vacances », pour « autoriser la pénétration de sa propriété dès la constatation d’un fait anormal ». Tout pour rassurer les propriétaires qui représentent un peu plus de la moitié des habitants de cette commune de près de 10 000 âmes.
Car à Beaumont-sur-Oise, on est loin de l’image des banlieues avec ces immenses tours. A Boyenval par exemple, le quartier d’origine d’Adama Traoré, les étages des immeubles se comptent sur les doigts d’une main. « C’est un quartier calme », raconte Samba, la cinquantaine, habitant de Boyenval depuis 8 ans. Samba était présent à la marche organisée pour Adama Traoré le 22 juillet, où plusieurs milliers de personnes sont venues rendre hommage au jeune homme décédé et clamer leur besoin de vérité.  Aucune échappe tricolore n’y était visible. Personne n’aurait vu ni Nathalie Groux, maire UDI, ni ses conseillers municipaux. « On peut craindre que certains profitent de la marche et qu’il y ait des débordements » avait déclaré la maire au Parisien à la veille de la marche blanche. Elle n’était pas présente non plus, à la conférence de presse improvisée par les amis et proches d’Adama au lendemain de sa mort. Une petite trentaine d’entre eux étaient venus voir le préfet avec une attente : que la famille puisse voir le corps du défunt et « rétablir la vérité » sur les évènements qui ont conduit à la mort de leur ami. Le préfet n’est pas venu. « Un manque de respect qu’il n’y ait aucun élu qui soit venu nous parler. Nous sommes Français, nous votons aussi pour eux », racontent-ils.
« Elle avait fait des promesses. Aujourd’hui on ne la voit plus »
De ces élus, Sofiane, habitant de Boyenval, n’espère plus rien. Il a pourtant failli le devenir lors des dernières élections municipales. Ce trentenaire a présidé une des seules associations du quartier, qui proposait aide aux devoirs, cours d’alphabétisation et activités manuelles pendant un an seulement. Le jeune bénévole a rendu malgré lui les clés de l’appartement qu’il avait transformé en local associatif. Le manque de subventions et l’absence de soutien de la mairie ont eu raison de son énergie, nous explique-t-il. Il y a deux ans, il rejoint la liste PS, en position éligible : « Je me suis engagé pour être le porte-parole de la population oubliée, de la jeunesse beaumontoise. Les jeunes du quartier m’ont suivi ». Il a été le relais entre certains habitants et Calvin Job, tête de liste, aujourd’hui conseiller municipal de l’opposition. « Calvin avait un programme centré sur la jeunesse, il voulait une Maison de la Jeunesse et de la Culture, il souhaitait aussi la mise en place d’une structure relais pour aider les jeunes à trouver un emploi ». Mais c’est Nathalie Groux, qui a remporté la mairie. Grâce notamment à des jeunes du quartier, qui ont appelé à voter pour elle au deuxième tour, selon Sofiane. « Elle avait fait des promesses comme la hausse des moyens des associations. Aujourd’hui, on ne la voit plus ». Pour Calvin Job, c’est en raison de ces engagements non honorés, que la majorité municipale a « des difficultés à poser ses pieds dans le quartier ». Il explique que les jeunes de Boyenval qu’il côtoie lui disent qu’ils se sentent mis de côté, qu’ils ne sont pas écoutés, que rien n’est fait dans leur quartier. « Des espaces de jeux, associatifs où se retrouver, pouvoir bénéficier des jobs d’été de la mairie. Ce ne sont pas des revendications insurmontables », explique-t-il.
« Il n’y a plus de relais entre les habitants des quartiers et la municipalité »
Olivier Cloots, fonctionnaire territorial dans le Val-d’Oise, a participé à la campagne victorieuse de Nathalie Groux. En 2014, ils ont monté une liste centre-gauche mais l’entente n’a pas duré longtemps : « Dès la première année, plusieurs élus, dont mon épouse, ont démissionné de leurs mandats à cause d’une ligne trop droitière. Ceux qui tenaient les associations, les clubs de sport sont partis. Dans ceux qui restent, il y en a qui ne connaissent pas la ville, qui n’habitent pas ici. Il n’y a plus de relais entre les habitants des quartiers et la municipalité. Pour rétablir le dialogue, il faudrait changer de maire. Mais le problème c’est que ça passera peut-être par le FN ». Nous aurions aimé nous entretenir avec Nathalie Groux mais elle n’a pas souhaité répondre à nos questions.

 « Avant les policiers, on les connaissait, c’était les mêmes depuis 20 ans »

Samba trouve lui, que Nathalie Groux est un bon maire notamment parce qu’elle a embauché des jeunes du quartier pour les centres de loisirs estivaux. Ce qu’il pointe du doigt en revanche, ce sont les rapports avec les gendarmes: »L’autre soir, ils ont lancé des grenades lacrymogènes, ça rentrait dans nos appartements, on a dû fermer nos fenêtres. Pareil devant la gendarmerie, encore des gaz lacrymogènes alors que les jeunes ne faisaient rien – un sit-in a eu lieu devant le bâtiment le lendemain de la mort d’Adama Traoré. On peut manifester pacifiquement, la loi ne l’interdit pas. Ce sont eux qui provoquent. Il n’y a pas eu de débordements à la marche, aucun problème. Si ces jeunes étaient agressifs, ça ne se serait pas passé comme ça ». Les gendarmes ne sont présents que depuis fin 2013, suite aux mesures de redéploiement des forces de l’ordre mises en place par Manuel Valls alors ministre de l’Intérieur. La gendarmerie se situe à Persan, la commune limitrophe où les habitants de Beaumont doivent se rendre pour prendre le train. « Il y a beaucoup de tension avec quelques éléments de la gendarmerie », nous raconte Abdelkarim Aïchi, habitant de Persan et ancien conseiller municipal de l’opposition. Bien avant la mort d’Adama Traoré, plusieurs jeunes se sont confiés à cet ancien candidat (sans étiquette) à la mairie : « Ils se sont plaints de s’être fait passer à tabac dans leurs cages d’escalier, le soir, en rentrant chez eux ». »Avant les policiers, on les connaissait, c’étaient les mêmes depuis 20 ans », rapporte quant à lui Walid, 31 ans, habitant de Boyenval. « Ici, c’est pareil que dans tous les quartiers, les jeunes se font contrôler sans raison. Certains sortaient de garde à vue amochés mais on n’allait pas se plaindre à chaque fois qu’un jeune rentrait gonflé ». Lors de la marche en hommage à Adama Traoré, les gendarmes étaient présents, postés à quelques intersections des rues empruntées par le cortège. A quelques reprises, une partie des marcheurs, en colère, a scandé « Gendarmes, assassins. Un membre de la famille leur a répondu au mégaphone : « Inutile de crier “Gendarmes, assassins”. Nous, on ne le dit pas, pourtant nous sommes les plus touchés. Les gendarmes qui sont là font leur travail. On a pris un avocat, ce n’est pas pour rien ». Ces dernières nuits, la tension entre les forces de l’ordre et quelques jeunes des quartiers de Beaumont et les communes alentours a grandi.
Défiance envers les élus. Défiance aussi envers les médias. Juste avant le début de la marche de vendredi 22 juillet, la famille a souhaité s’adresser à la presse. Deux journalistes de BFMTV venus couvrir l’évènement ont été priés de quitter les lieux. L’entourage n’a pas apprécié que la chaîne de télévision en continu présente à tord Adama Traoré comme « suspecté dans une affaire d’extorsion de fonds ». Trois jours plus tôt, ce même reproche avait été formulé à leurs confrères, qui couvraient le point presse en mairie de Beaumont-sur-Oise, annulé par le préfet. BFMTV est sur toutes les langues. « Ils ne montrent que les mauvaises images, jamais ce qui est bien, raconte Samba. Ils le font depuis toujours. Mais là je m’en suis vraiment rendu compte car j’habite ici. Dire que les jeunes sont des faiseurs de troubles, c’est pousser à la haine, pour que les autres les rejettent. C’est cette image qu’ils veulent véhiculer à l’opinion publique française et ça c’est très dangereux ». Sofiane, lui, s’est promis de ne plus parler aux grands médias car « sur une interview, ils gardent les 10% où je suis tendu et virent les 90% où je suis calme ».
Rouguyata SALL

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