AVANT-PREMIERE. Le Bondy Blog vous révèle en avant-première les résultats de l’étude menée par le Défenseur des droits concernant les discriminations à l’embauche liées aux origines. 61% des répondants déclarent avoir été « souvent » ou « très souvent«  confrontés aux discriminations dans l’accès à l’emploi.

« Ca détruit une vie, socialement, psychologiquement. Parfois on a envie de disparaître car on se sent inutile ». Voici l’un des témoignages inquiétants qui accompagnent les résultats de l’étude du Défenseur des droits sur les discriminations dans l’accès à l’emploi et aux stages liées aux origines. Ils racontent l’histoire d’une France qui refuse de considérer une partie de sa jeunesse comme ayant le droit comme les autres d’accéder à un emploi par le mérite du diplôme, de la compétence, des savoir-faire.

Cette étude, que vous révèle en avant-première le Bondy Blog, est le résultat de l’appel à témoignages lancé par le Défenseur des droits en mars 2016. Objectif : rendre visibles  les situations concrètes vécues par ces jeunes et les aider à faire respecter leurs droits. Comme l’énonce l’étude, le constat des discriminations à l’embauche en raison des origines réelles ou supposées n’est pas nouveau. Néanmoins, cette enquête a la particularité de donner à comprendre, grâce à de nombreux témoignages, les conséquences de ces discriminations sur les trajectoires professionnelles et les vécus personnels. Ils montrent une réalité, posent des mots pour des expériences souvent douloureuses qui vont au-delà des chiffres et statistiques, néanmoins utiles pour la quantification du phénomène.

L’étude se base sur un échantillon de 758 personnes âgées de 18 à 35 ans qui ont répondu à un questionnaire publié en ligne. 80% des répondants sont de nationalité française, 78% d’entre eux ont un nom à consonance étrangère. Les répondants ont un niveau de qualification élevé : un tiers possède un diplôme de 1er cycle, un tiers est diplômé du 2ème ou 3ème cycle, les autres ont niveau égal ou inférieur au bac. Près de la moitié des répondants sont au chômage (51% des femmes, 47% des hommes), près d’un tiers occupe un emploi, les autres sont pour la plupart étudiants, en stage ou en alternance ou à la recherche d’un tel contrat.

61% souvent discriminés à l’embauche

Dans cette étude, 61% des répondants déclarent avoir été « souvent » ou « très souvent«  confrontés aux discriminations dans l’accès à l’emploi ou à un stage dans les cinq dernières années. Les personnes qui affirment n’avoir connu qu’une seule expérience de discrimination sont très peu nombreuses : seulement 4 % chez les personnes se disant vues comme arabes, 7% chez celles se disant vues comme noires. Pour celles vues comme arabes, c’est en quelque sorte la double peine. Elles déclarent, très majoritairement, être également vues comme musulmanes, à 91% contre 41,5 % pour les personnes vues comme noires. Certains déclarent même être assimilés à des terroristes comme cet homme de 34 ans. « On m’a comparé à un terroriste durant l’entretien d’embauche. On a refusé de prendre mon CV dans un salon de l’emploi, ayant insisté pour déposer mon CV et passer un court entretien comme toutes les personnes autour de moi. J’ai eu mon entretien dans le placard à balais du stand. On a mis en doute la réalité de mon expérience professionnelle du fait de mes origines. On m’a proposé un poste au Maghreb mais uniquement sous contrat local ; j’ai demandé si un Français de souche aurait eu un contrat local et n’ai pas eu de réponse ».

Au moins trois motifs de discrimination pour un tiers des répondants

Premier motif de discrimination rapporté par les déclarants : les origines. Un motif qui se cumule souvent avec d’autres : prénoms et noms de famille majoritairement, couleur de peau et  religion supposée. Une étudiante de 20 ans rapporte ce témoignage. « Je ne suis jamais très l’aise quand je dois déposer des CV ou même téléphoner pour une candidature car j’ai l’appréhension de donner mes nom et prénom. J’ai toujours un peu peur ». Certains témoins indiquent avoir changé les noms et prénoms de leur CV les remplaçant par d’autres « d’origine française« . « Au total, un tiers des répondants font état d’au moins trois motifs de discrimination lors de la dernière expérience qu’ils ont connue », écrit l’étude.

 8% seulement des victimes entreprennent des démarches

43% des répondants indiquent que les discriminations observées l’ont été lors du premier contact avec le recruteur, à savoir lors de l’envoi du CV ou lors du premier échange par téléphone ou courriel. « Suite à l’obtention d’un Master Communication des entreprises, j’ai envoyé des centaines de candidatures (spontanées, réponses à des offres, salons), j’ai utilisé mon réseau professionnel (personnel et universitaire) et j’ai été aidé dans ma recherche par de multiples responsables communication et organismes spécialisés. Tous ces moyens et efforts pendant environ 1 an et demi ne m’ont permis d’avoir AUCUN entretien », déclare un homme âgé de 28 ans. Comment ont alors réagi les victimes suite aux discriminations? Seules 8 % indiquent avoir entrepris des démarches pour faire reconnaître leurs droits. 51% disent en avoir parlé autour d’eux. 41% déclarent n’avoir rien dit et n’avoir rien fait. Parmi ces derniers, une très grande majorité (81%) répondent qu’en parler ou entreprendre des démarches n’aurait rien changé ou qu’ils n’avaient pas les preuves suffisantes.

De telles discriminations ont des conséquences sur le projet professionnel des victimes. Seules 4 personnes sur 10 ont finalement trouvé un stage ou un contrat en alternance. Parfois, c’est le diplôme visé qui est revu voire complètement abandonné, comme c’est le cas pour cette femme de 28 ans toujours à la recherche d’un contrat en alternance. « Je me suis finalement arrêtée en Master 1. Rien que pour décrocher le stage c’était dur alors finalement, je ne voyais pas trop d’intérêt à faire le Master 2 si c’est pour faire des sorties d’école ou encore travailler dans les cantines scolaires ». Quant aux recherches d’emploi, seules 17% des femmes et des 10% des hommes ont finalement trouvé l’emploi recherché. Parmi la grande majorité de ceux n’ayant pas trouvé, plus de la moitié déclare avoir envoyé plus d’une centaine de candidatures. « Après avoir changé de nom, j’ai obtenu mon CDI le mois suivant après 16 mois de recherches« , affirme une femme de 29 ans.

Démotivation, perte de confiance et départ à l’étranger

Quelles conséquences ces discriminations ont-elles sur les victimes? 58,5% des répondants indiquent être démotivés et avoir perdu confiance en eux. La perte de confiance touche d’ailleurs plus les femmes (34%) que les hommes (23%). C’est le cas de cette femme de 24 ans en recherche d’emploi. « Je n’ose plus démarcher directement, je passe par internet, parfois sans photo. Mais quand arrive l’entretien il m’est arrivé d’annuler de peur que l’on me rejette de nouveau de la même façon ».

Lorsque les expériences de discriminations se répètent, les personnes d’origine étrangère adaptent leur projet professionnel. Pour 40% d’entre eux, la première option envisagée est le départ à l’étranger comme cette femme de 27 ans, à la recherche d’un emploi. « Je travaille dans l’informatique bancaire, j’ai 27 ans, un Bac +5, je parle 4 langues couramment, j’ai de l’expérience mais toujours pas de CDI… Actuellement je pense à changer de pays et monter ma boite à l’étranger ». 31% indiquent avoir accepté un emploi inférieur à leur qualification. 9% s’orientent vers la création d’entreprise. Les injustices se cumulant souvent, les femmes (24%) acceptent plus souvent que les hommes (3%) des emplois précaires dès la première expérience de discrimination. Un choix subi qui a des conséquences en termes de carrière, souligne l’étude.

En conclusion, l’institution écrit que « les désarrois ici rapportés (…) doivent être entendus. Il incombe aux pouvoirs publics de mener des politiques de lutte contre ces discriminations pour que les personnes d’origine étrangère, et notamment les jeunes, puissent avoir les mêmes chances que les autres de réussir leur projet professionnel ». En février, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, indiquait lui-même à propos des saisines de ses propres services que les « résultats obtenus lors des instructions et enquêtes menées ne sont pas satisfaisants ». Nous en sommes en 2016, et malgré les promesses successives des gouvernements pour lutter contre les discriminations à l’embauche, le chemin est encore visiblement long.

Nassira EL MOADDEM

Pour lire l’enquête du Défenseur des droits cliquez ici : « Etudes et résultats : accès à l’emploi et discriminations liées aux origines », septembre 2016.

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