[EDITO] L’affaire de ce jeune homme de 24 ans, mort il y a quatre mois dans des circonstances encore troubles, quasiment dans les mains des gendarmes, continue à nourrir les tensions, onze ans après la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré. Idir Hocini s’inquiète.

Mohamed Bouazizi en Tunisie, Zyed Benna et Bouna Traoré à Clichy-sous-Bois, Massinissa Guermah en Kabylie, une liste longue comme la jambe d’Afro-Américains tués par la police américaine… L’allumette qui fait exploser le baril des injustices sociales, ne change jamais. C’est la mort violente, subite, incompréhensible, de l’ami, du voisin ou du frère, qui aurait dû vivre sa vie des années encore, au lieu de reposer six pieds sous terre, bien avant l’heure prévue.

Le Bondy Blog est né en 2005 après trois semaines de révoltes urbaines, celles qui ont suivi la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents morts dans un transformateur EDF, après une course poursuite policière alors qu’ils n’avaient rien à se reprocher. Nous sommes issus des cendres d’un tel drame. Une très grande majorité de ceux qui sont devenus journalistes grâce au Bondy Blog échangeraient avec bonheur leur carte de presse contre une serpillère du MC Do, si cela pouvait ramener ces deux enfants à la vie. Media unique en son genre, nous aimons la vie, nous n’aimons pas quand ça pète.

Nous savons par expérience que les gens ne brûlent pas des voitures par plaisir. Encore moins si c’est celle du voisin. Il faut de longues nuits d’émeutes pour calmer un peuple en colère. Une fureur que tout le monde peut comprendre. Souvenez-vous des pires moments de vos cinq ans, quand vous vous rouliez en boule dans le salon parce que votre frère a eu deux frites en plus. C’est gravé en nous depuis l’enfance : l’humanité répugne à subir l’injustice.

Aurait-il été difficile pour l’Etat d’avoir un geste de circonstance pour cette famille française frappée par le drame ?

Au moment où j’écris ses lignes, Adama Traoré devrait être chez lui, en famille, à manger le mafé de sa maman ou son bœuf bourguignon. Oui monsieur Fillon, la France est bien un pays multiculturel. Mais non : Adama Traoré n’est plus chez lui, avec les siens, parce qu’il est mort dans un local de la gendarmerie en juillet dernier. Aucun crime en France ne mérite la mort. Adama Traoré, qui n’avait, jusqu’à preuve du contraire, rien à se reprocher, l’a subie, aux mains de dépositaires de la force publique.

Il ne s’agit pas de faire le procès de la police ou de la gendarmerie française mais Adama n’aurait pas dû mourir. Comprendre pourquoi, c’est un besoin né avec l’Homo Sapiens. La notion du deuil est plus vieille encore que notre espèce. Aurait-il été difficile pour les représentants de l’Etat d’avoir un petit geste de circonstance pour cette famille française frappée par le drame ? Un simple petit mot, aussi froid soit-il, aurait suffit : « Toutes nos condoléances à la famille Traoré ». Nous faisons confiance à la justice du pays pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce drame ». Cela s’appelle être humain, et que l’on soit Noir ou Blanc, on l’est tous bordel!

En guise de condoléance Nathalie Groux, maire de Beaumont-sur-Oise, a porté plainte pour diffamation contre Assa Traoré, la sœur de la victime, qui s’est questionnée sur son silence. Si elle voulait montrer que la mort d’un de ses administrés lui passait au dessus de la tête, elle n’aurait pu mieux faire que partager un lien sur son compte Facebook, appelant les « Français de souche » à prendre les armes pour aider la police.

Qui pense à la maman d’Adama ?

La famille Traoré mérite bien mieux que ça. Elle mérite mieux qu’un procureur de la République qui a toujours omis d’indiquer qu’Adama est décédé des suites d’un « syndrome asphyxique », selon deux rapports officiels d’autopsie. Elle mérite mieux qu’une cohorte de gendarmes et de policiers en guise de comité d’accueil pour un conseil municipal ouvert à tout citoyen. Tout est fait pour que les Traoré pètent  un câble. Suite aux heurts devant la mairie de Beaumont-sur-Oise, Bagui et Youssouf Traoré, deux frères de la victime, sont en détention provisoire, sans l’ombre d’une preuve de leur participation aux échauffourées, si l’on en croit leurs avocats. Pourtant Assa Traoré, porte parole de la famille, multiplie les appels au calme. Elle l’a encore fait le 23 novembre, quand un bus et plusieurs voitures ont brûlé dans le quartier de Boyenval où vit sa famille. Les autorités ont également tout a gagné à agir avec sérénité et délicatesse.

Cette famille souffre, son besoin de justice est légitime. Encore une fois Adama n’aurait pas du mourir. Avait-t-on besoin de rajouter une plainte pour diffamation à ce malheur ? En attente de leurs procès, était-il nécessaire d’enfermer Bagui et Youssouf Traoré, qui travaillent tous deux ? Le deuil d’un fils mort dans des circonstances troubles, deux autres garçons en prison, une soeur bientôt obligée de s’expliquer devant les tribunaux, l’argent de ses impôts servant à payer l’avocat de la maire qui l’accuse… Y a-t-il un dépositaire de l’autorité publique qui pense à la maman d’Adama?

En 2005, la mort de Zyed et Bouna avait conduit le pays à l’état d’urgence, jamais vu depuis la guerre d’Algérie. A cette époque, on avait grosso modo dit dans les médias que ces jeunes qui brûlent des voitures sont des Français un peu mal élevés certes, mais fous de rage et en quête de justice sociale. Onze ans après, si la colère emporte de nouveau les quartiers populaires, parce que l’affaire Adama ne cesse de s’enliser, on dira que ce sont des terroristes.

Il faut à tout prix éviter ces amalgames, pour le bien de chacun. Adama a droit à la justice et notre pays en est capable. C’est sa grandeur. La cour de Cassation a définitivement condamné l’Etat pour les contrôles au faciès discriminatoires. Une victoire pour nos quartiers populaires. Une victoire pour la France.

Idir HOCINI

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