Curtis R., 17 ans, est mort des suites d’un accident, percuté par un bus, vendredi, alors qu’il fuyait un contrôle de la BAC à bord d’un quad. Son décès soulève une vive émotion dans son quartier d’origine à Massy. Les circonstances de sa mort restent floues. La version du parquet de Nanterre, qui a ouvert une enquête, s’oppose à celle que nous rapporte un témoin. Enquête.

« J’aimerais bien que ça se passe dans le calme. [La violence] ne ramènera pas mon fils à la vie ». Claude R. se tient droit, debout devant l’immeuble où vivait son fils, dans le quartier de l’Opéra, à Massy, dans l’Essonne (91). Il est entouré de sa famille, de proches, de professeurs du lycée… Ce samedi 6 mai, un rassemblement a été organisé en hommage au jeune Curtis R, 17 ans, mort vendredi soir, percuté par un bus alors qu’il tentait de fuir un contrôle de la BAC. Le drame a mis tout le quartier en émoi. Choqué par ce décès violent, nombreux sont ceux qui considèrent que les agents impliqués dans l’incident portent une part de responsabilité.

Claude R., père de Curtis.

Ce samedi, au lendemain de la mort de Curtis, tout est calme. Un nombre impressionnant de jeunes hommes est massé sur le trottoir. « Espérons qu’ils ne fassent pas de bêtise ce soir », soupire une proche de la victime et de sa famille, avant de partir. Il est presque 23 heures. Une petite fusée de feu d’artifice fait soudain jaillir quelques couleurs sur le mur d’en face. Un pétard claque. Des visages aux traits encore enfantins se couvrent d’écharpes noires, enfilent des capuches et comme un seul homme, démarrent d’un pas résolu entre les barres de la cité pour aller trouver la police qui quadrille le quartier. La colère a pris le pas.

Vendredi 5 mai, autour de 17 h 45, Curtis R. roulait alors sur un quad sans casque, à Antony, une ville limitrophe de sa ville, Massy. Il fuit la police, allée des Potiers, quand il percute un bus qu’il n’arrive pas à éviter, au croisement avec la rue des Baconnets. Il est conduit à l’hôpital de la Pitié Salpétrière, à Paris, où il décède. La colère éclate sur le lieu de l’accident, puis dans le quartier dont le jeune homme est originaire, à quelques rues de là et où des affrontements ont lieu avec la police.

Le communiqué du procureur laisse entendre que la voiture de police n’était pas à la poursuite de Curtis

Des fleurs en hommage à Curtis, déposées rue des Baconnets, là où est décédé l’adolescent. Crédit photo : Blocus info.

Plusieurs versions circulent sur ce qui s’est produit rue des Baconnets. Celle de la police, relayée, entre autre, par le quotidien Le Parisien, impute l’accident à la conduite dangereuse du jeune homme et au fait que son véhicule avait eu les « pneus lisses ». La responsabilité des agents de la brigade anti-criminalité (BAC) est totalement écartée dans le communiqué de presse publié le lendemain par le procureur de Nanterre.

On y lit que les policiers repèrent Curtis à une station-service « alors qu’il était dépourvu de casque, ils se [dirigent] vers lui à pied pour le contrôler et vérifier l’homologation de l’engin lorsqu’il [a pris] la fuite en les apercevant. Les policiers le [perdent] de vue, rejoignent leur véhicule et [prennent] un autre itinéraire. Arrivés au chemin potier et allée des Fauvettes, ils l’aperçoivent de nouveau, circulant a vitesse très élevée au niveau de l’intersection chemin des Potier et rue des Baconnets. Il amorce un virage à droite alors qu’un bus (…) [s’engage] dans la rue des Baconnets et ne parvenant pas à négocier son virage, il percute violemment le côté gauche du bus et [est] éjecté de son engin ». Ce récit laisse clairement entendre que la voiture de police n’était pas à la poursuite de la victime au moment précis où l’adolescent a perdu le contrôle de son quad.

« Le policier fonçait derrière Curtis à 70 km/heure sur une route limitée à 30, sans sirène »

Pourtant, Jen D., une jeune fille d’un quartier voisin, qui affirme avoir été dans le bus au moment du choc, dit avoir bien vu « la voiture de la BAC derrière » l’engin que conduisait Curtis. Elle est formelle. « C’était bien une course-poursuite ». Elle décrit la scène. « Curtis était à fond, il fuyait un policier en civil dans une voiture grise ». Pour elle, la police n’a pas causé directement la mort de l’adolescent mais « ce qu’on peut leur reprocher, c’est de ne pas avoir été prudents dans leur course-poursuite. Comme d’habitude, ils jouaient au chat et à la souris alors que la personne ne portait pas d’armes et n’avait pas de casque pour se protéger. Le policier fonçait à vive allure derrière Curtis, à 70 km/heure, sur une route limitée à 30, sans sirène ». Elle estime par ailleurs que l’agent de la BAC dans la voiture « n’a pas réagi assez vite pour voir comment Curtis allait , alors que chaque seconde comptait ». Selon elle, ce sont les témoins qui tentent, les premiers, de lui porter assistance. La sœur de Curtis ainsi que certains de ses amis font d’ailleurs partie des premiers à arriver sur place. Selon un autre témoignage, ses « potes » étaient à quelques encablures de là, car il se faisaient « tourner le quad« . Chacun attendait son tour.

Jen D. dément cependant vivement une troisième version qui circule, selon laquelle ce sont les policiers qui auraient percuté le jeune sur son quad. « Ce n’est pas la police qui l’a percuté, écrit-elle en grosses lettres dans un SMS. Ce qui se dit sur Twitter est faux ». C’est d’ailleurs ce qui l’a poussée à sortir de son silence. À l’origine, elle ne comptait pas s’exprimer. « Certaines personnes se disent témoins, mais elle n’étaient pas là ! On se connaît à peu près tous entre Antony et Massy, et s’il y en avait un qui avait été à bord du bus, je l’aurais reconnu ». Selon elle, il n’y avait qu’une petite dizaine de personnes à bord quand le choc a lieu. D’après son témoignage, les autres seraient arrivés après. Elle relève de plus que « la voiture s’est arrêtée à environ dix mètres de Curtis, sans trace de dérapage, sans rien. » Il n’y avait pas de trace sur les véhicules non plus. Un élément que d’autres témoins, arrivés plus tard sur les lieux, ont également relevé.

« Le chauffeur du bus est en état de choc »

Nous avons cherché à de nombreuses reprises à recueillir des précisions du parquet de Nanterre. Nous n’avons eu à ce jour aucun retour. Nous nous sommes également rapprochés de la compagnie de bus, Paladins, pour entrer en contact avec le chauffeur du bus en question, témoin capital dans cette affaire. Le conducteur qui est en arrêt depuis l’accident, « est en état de choc« , d’après ses collègues et, selon eux, refuserait de parler.

Les questions restent nombreuses tant le témoignage de Jen D et celui du parquet de Nanterre divergent : la police poursuivait-elle Curtis comme l’affirme Jen D. ? Pourquoi le véhicule de police roulait-il vite, selon son témoignage, alors que l’adolescent ne portait pas de casque ? Cette vitesse du véhicule de police n’a-t-elle pas incité Curtis à accélérer lui aussi sa propre vitesse ? Jen. D. affirme que l’agent de la BAC dans la voiture n’a pas réagi assez vite pour voir comment Curtis allait et que ce sont les témoins qui tentent, les premiers, de lui porter assistance. Pourtant, le procureur de la République de Nanterre, dans son communiqué, écrit que « arrivés sur place, les policiers et des témoins lui portaient les premiers secours ». Ces questions sont importantes car depuis 2007 et Villiers-le-bel, des notes internes et une circulaire, au moins, demandent aux forces de l’ordre de ne pas engager de course poursuite avec les deux roues et quads en infraction, comme l’indique Gérard Sebaoun, député du Val-d’Oise dans une question écrite en février 2014 et adressée au ministère de l’Intérieur.

« Madame, à 17 ans, on ne meurt pas parce qu’on va être contrôlé » 

Derrière les versions différentes sur le déroulé des faits, tout un quartier est endeuillé. « À Massy, ça fonctionne vachement comme une famille », raconte une des enseignantes de Curtis, professeur de son lycée, qui préfère rester anonyme. Elle a suivi Curtis depuis la classe de seconde et porte un regard bienveillant sur ses élèves. « Le groupe de Massy est une bande de jeunes passionnée par le foot et par tout ce qui est deux roues », raconte-t-elle. Elle décrit Curtis comme un jeune homme très populaire, « toujours entouré, fusionnel avec ses amis ». Grand, sociable, souriant, passionné de musculation… Les filles lui tournent autour. « Elle disaient  »Oui, c’est parce que c’est notre frère », mais entre nous, elles craquaient ! », rigole-t-elle. L’enseignante décrit un garçon très suivi et soutenu par ses parents, dont le seul défaut est de sécher un peu les cours pour rester avec ses amis dans les couloirs. Selon elle, ses élèves font une différence entre la BAC de Massy, qui serait « plutôt bienveillante avec les jeunes », et la BAC d’Antony « des cow boys selon leurs mots ». Curtis les aurait-il reconnus et aurait-il voulu fuir leurs méthodes rapportées comme musclées ?

Pour la bande de potes, le choc est rude. Proche des lieux au moment du drame, certains sont sur place très rapidement, voient leur ami à terre, la police autour. « Ils l’ont vécu comme une injustice. Ils me disent : ‘Madame, à 17 ans, on ne meurt pas parce qu’on va être contrôlé' ». L’attitude qualifiée de « provocatrice » de certains policiers est également pointée du doigt. Samedi, vers 20 heures, plusieurs véhicules des forces de l’ordre débarquent au rassemblement, comme en témoigne cette vidéo publiée par le compte twitter « Blocus Info ». Leur présence, en nombre, est vécue comme une provocation. La tension monte très vite des deux côtés. La situation est maitrisée grâce notamment à l’intervention de la famille, d’adultes du quartier et de professeurs du lycée.

« Maintenant, on veut comprendre ce qu’il s’est passé »

Dans le quartier, ils sont nombreux a estimer que la presse et certaines informations diffusées sur Internet ont « sali l’image de Curtis » notamment le papier de Parisien. Les effusions de colère ont été chroniquées, les initiatives pacifiques des la famille un peu moins. Un nouvel hommage a été organisé sur les lieux de l’accident, dimanche, assorti d’un appel à témoin, puis, ce mardi, une minute de silence poignante dans le lycée où étudiait Curtis.

Une page Facebook, Vérité pour Curtis, a été lancée dimanche par les proches de l’adolescent. Ils y ont notamment publié un appel à témoignages. La famille appelle à une marche blanche, entre Antony et Massy, dimanche 14 mai, dont les modalités restent encore à fixer.

Au fil des vidéos, comme samedi soir au pied de l’immeuble où vivait son fils, Claude R. semble inébranlable, la voix calme, le regard digne. « Maintenant, on veut comprendre ce qu’il s’est passé », témoigne-t-il, simplement. La rue a retrouvé son calme à Massy, après plusieurs nuits de colère, mais le combat de la famille et des proches pour connaître la vérité, lui, continue.

Alban ELKAIM

Crédit photo : Blocus Info

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