Samedi 20 mai, plusieurs personnes qui sortaient d’un spectacle à l’espace culturel Le Cap, aux 3 000 à Aulnay-sous-Bois, ont été pris dans des échauffourées qui avaient éclaté à l’extérieur de la salle. La police les aurait chargés brutalement. L’agent médiateur et militant de terrain, Hadama Traoré, s’y trouvait. Il dénonce une « bavure » de la police, affirme avoir été victime de coups de matraque et de tirs de LBD mais tient à appeler au dialogue. Entretien.

« Il faut repenser le fonctionnement de la police dans la ville. Il en va de la sécurité des habitants comme des celle des policiers », lâche Hadama Traoré, après les incidents qui ont éclaté samedi soir, à Aulnay-sous-Bois. Il dénonce une « bavure » de la police. Devant la salle de spectacle du Cap, située dans le quartier des 3000, des échauffourées ont opposé jeunes et policiers. Les agents auraient alors violemment chargé la foule de spectateurs qui sortaient d’une représentation au même moment. Il en faisait partie. Il affirme qu’il a voulu déposer plainte le lendemain, dimanche 21 mai, mais aurait été placé en garde à vue, soupçonné d’avoir participé aux violences.

C’est dans ce même quartier, à deux pas de là que le jeune Théo avait été victime d’un viol présumé par des agents de la BAC lors d’une interpellation. Hadama Traoré, à la tête d’un mouvement qui tente de rapprocher force de l’ordre et population, voit en cet accrochage la preuve qu’il est urgent de renouer le dialogue. Il développe son point de vue sur l’événement lors d’un entretien accordé au Bondy Blog, lundi. Sa version est contestée par les policiers.

Parpaings et LBD

Samedi soir, la police intervient pour empêcher deux individus de scier une caméra de surveillance à la disqueuse. Les agents auraient alors essuyé des jets de projectiles et riposté. La scène se noue aux abords de l’espace culturel Le Cap, au cœur du quartier, où le spectacle de l’humoriste Zgary touche à sa fin. « J’étais allé voir le spectacle de mon ami », explique Hadama Traoré. L’agent municipal de 23 ans est connu à Aulnay. Il a participé à la fondation du mouvement citoyen « La révolution est en marche ». Avec ce collectif, il mène un gros travail depuis quatre mois pour essayer de remédier à la défiance qui règne entre police et population. Il est également candidat à l’élection municipale de 2020. « On discutait devant la salle de théâtre, et là on voit des véhicules de police stationnés environ 300 mètres de nous. Tout à coup, on entend un gros  »BOUM ». Des personnes sont montées sur le toit et envoient des parpaings sur les agents. « Ils ont failli tué un policier. Même nous on a eu peur pour eux. On était choqués ».

Mais là, selon le jeune père de famille, les agents se mettent à tirer au lanceur de balles de défense (LBD, une arme proche du Flashball). « Tout le monde s’est sauvé, moi je suis resté. J’ai grandi dans le quartier, je connais bien les gens. Je me sens un peu porte-parole du quartier ».

« Vous n’avez pas honte, on n’est pas des chiens »

« Pourquoi vous faites ça ? », demande-t-il. Une autre balle de défense éclate juste à côté de lui. « J’ai vécu ça comme une agression ». Il jette sa veste par terre. « Vous n’avez pas honte, on n’est pas des chiens », leur lance-t-il. Il prend alors un plot et le jette en direction de la foule en panique pour attirer son attention : « Arrêtez de courir ! », s’exclame-t-il. « Les policiers sont aux 3 000, dans la nuit. S’ils voient des gens qui s’excitent, ils risquent de tirer encore », explique-t-il. Un policier lui intime l’ordre d’arrêter de bouger. Il s’exécute. Un autre agent le met en joue. « J’ai voulu signifier par ma présence physique que ça ne pouvait pas se passer comme ça et instaurer un dialogue ». En vain. « Moins de deux minutes plus tard, un groupe de policier est passé derrière nous sans que l’on ne s’en rende compte. Ils sont commencé à nous charger, nous tirer dessus, nous ont frapper. Je reste sur place et demande :  »Mais pourquoi vous faites ça ? » Deux policiers s’avancent vers moi, l’un d’eux me dit  »dégage sale chien ». Ils commencent à me mettre des coups de matraque et me tire dessus. Je me suis sauvé. Mais ils n’avaient aucune intention de nous interpeller. J’ai une rupture du tendon d’Achille, s’ils avaient voulu m’attraper, ils auraient pu ». Pourtant, selon Hadama Traoré, « personne n’était chaud dans la foule au moment où ils ont chargé ». Il estime que les fauteurs de troubles étaient déjà partis.

Hadama Traoré placé en garde à vue 

En rentrant chez lui, le jeune père de famille tourne une vidéo, disponible sur le compte Facebook de son mouvement, où il montre des blessures qu’il attribue aux tirs de LBD. Il appelle le directeur de la police municipale, avec qui « La révolution est en marche « a noué des contacts, pour le prévenir des événements. Ce dernier lui apprend que la police est à sa recherche. Dimanche matin, Hadama Traoré se rend au commissariat pour déposer plainte. Il est placé en garde à vue pour « incitation à l’émeute et participation avec arme en attroupement ».

La version que le candidat à l’élection municipale livre diverge de celle des policiers. Selon une source proche de l’enquête, ces derniers affirment qu’il aurait « incité les personnes présentes à commettre des violences sur les policier et que lui même aurait participé ». Les agents disent s’être confrontée à une foule dense dans laquelle certains éléments jetaient des projectiles, d’autres non. Dans ces conditions, ils devaient se défendre et tenter d’interpeller les fauteurs de troubles. « On décrit ici une scène d’agitation avec de petits groupes qui se forment et se déforment ». Deux personnes ont été blessées par des tirs, dont Hadama Traoré. Tous deux sont aussi mis en cause. Quant au dépôt de plainte, « M. Traoré a indiqué avoir eu l’intention de le faire, mais nous n’avons aucune information à ce propos et nous n’avons pas de plainte pour le moment ». A propos de la charge à revers des policiers sur la foule, « nous avons cette information dans les déclarations de certaines personnes qui ont été entendues, mais pas dans celles de la police », invitant cependant à rester prudents et à attendre les résultats de l’enquête.

« Il faut trouver un terrain d’entente »

Da son côté, Hadama Traoré fait valoir que les caméras se surveillance de la ville ont dû filmer la scène et que deux autres agents municipaux étaient à ses côtés aux moments des faits. Nous n’avons pas réussi à joindre l’équipe municipale. Mais elle constate dans le Parisien, lundi 21 mai, que « si les motivations premières de cette intervention de police nationale sont légitimes, ces affrontements ont conduit certaines personnes qui ne faisaient pas partie des belligérants à être blessées ».

Le cofondateur du mouvement La révolution est en marche tient cependant à ce que les choses soient claires. Ce n’est pas une accusation lancée contre la police nationale. « L’idée, ce n’est pas de pointer les policiers du doigt. On a beau dire  »les policiers les policiers… » mais il y a des jeunes et des moins jeunes chez nous qui ont des comportement anormaux. Ils ont jeté des parpaings sur la police samedi. Que se serait-il passé si un policier était mort ? On a peur pour la police, on a peur pour les jeunes, ça ne doit pas se passer comme ça dans un beau pays comme la France. Il faut trouver un terrain d’entente. Nous sommes simplement le reflet de la société dans laquelle nous vivons : coincés dans la stigmatisation perpétuelle au lieu d’être dans le mélange, le vivre-ensemble et le faire ensemble », regrette-t-il.

« L’heure est à l’apaisement »

Il décrit la frustration qu’il voit chez les policiers de voir des jeunes dehors le lendemain de leur interpellation. L’indignation aussi de ceux qui voient les policiers auteurs de violences contre le jeune Théo, dans ce même quartier, toujours en liberté. Et de chaque côté, nombreux sont ceux à ne plus y croire. Il décrit une situation où la police est parfois devenue l’équivalent d’une bande rivale pour les jeunes, où pas une semaine ne se passe sans qu’il y ait des affrontement dans sa ville. La page Facebook du mouvement témoigne de ces sursauts de violence devenus ordinaires. D’autres affrontements ont éclaté le lendemain lors d’un clip vidéo tourné par les deux rappeurs Booba et Lacrim. « L’heure est à l’apaisement. Je veux vraiment avoir un message de paix ». Depuis quatre mois, avec son mouvement, Hadama Traoré fait un gros travail à Aulnay-sous-Bois pour essayer d’instaurer un dialogue entre police et population.

Il estime donc qu’il est urgent de renouer le dialogue. « Si le nouveau ministre de l’Intérieur, [Gérard Collomb], veut faire avancer les choses, qu’il fasse des propositions et présente des projets de loi, radicaux et rapides. Il faut que les institutions prennent conscience que la tension entre la police et la population est un virus dans certaines villes. Sinon, un jour, il y aura un mort à Aulnay ». Qu’il s’agisse d’un jeune ou d’un policier.

Alban ELKAIM

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