Dans l’une des ruelles perpendiculaires à la rue du Faubourg-Saint-Denis, j’entre dans une petite imprimerie pour y rencontrer Dilek. Cette jeune femme de 26 ans fait partie de la communauté alévie*. C’est son père, travailleur immigré depuis 1984 en France, qui la fera venir avec sa mère en 1991. Divorcée depuis peu, maman d’un enfant de 3 ans atteint d’une maladie grave, Dilek ne veut pas s’apitoyer sur son sort et fait du courage et du travail deux vertus inconditionnelles de la réussite.
« C’est vrai que c’est très dur pour une femme, divorcée qui plus est. Et j’ai vécu beaucoup de choses difficiles. Mais je suis une femme battante. Après mon divorce, je me suis rendue compte que mon ex-mari m’avait laissé quelques dettes. Mais finalement, tout cela m’a donné de la force pour avancer. Aujourd’hui, c’est moi qui paye le loyer de mes parents, leur facture, en plus de tous mes frais. » Les cheveux coupés courts, habile dans son bleu de travail tâché de cambouis, Dilek s’affaire à faire tourner sa machine.
Elle me raconte comment elle s’est retrouvée dans cet atelier : « Je n’ai pas fait d’études. Je n’ai qu’un CAP pressing. Je suis une pure autodidacte. Avec mon ex-mari, j’avais monté un restaurant de gastronomie turque, mais j’ai dû le vendre pour faire face à mes dettes. Ensuite, j’ai été responsable d’une société de téléphonie mobile, mais j’en avais marre d’être derrière un bureau, je m’ennuyais. J’avais besoin de bouger, de travailler manuellement. Cela fait trois semaines que je travaille ici et je me sens bien. »
Qu’est ce que cela lui fait de travailler dans un univers d’hommes ? « Il faut se battre et se protéger en permanence, faire attention à ce que l’on dit. Mais j’ai la chance d’avoir un patron ouvert d’esprit. » Je l’écoute parler avec ses collègues, tous d’origine turque. Dilek jongle en permanence entre les mots turcs et français, à un rythme impressionnant. Dilek est très attachée à sa culture d’origine : « Je me considère avant tout comme une turque alévie. J’ai besoin de ma culture d’origine, de mes racines pour aller de l’avant. Avec mon fils par exemple, je ne parle que turc. Il apprendra le français à l’école. Je veux qu’il garde lui aussi sa langue et sa culture d’origine, c’est important pour moi. »
Pour Dilek, décidément, il n’y a que le travail qui compte : « Tout s’apprend dans la vie. A force de travail, je sais que j’y arriverai. J’ai confiance en moi et surtout je n’aime pas être dépendante de quelqu’un. La semaine, je travaille dans l’imprimerie et le week-end, je travaille comme photographe. Ça me permet d’être indépendante et de subvenir aux besoins de ma famille. Incha’allah, je sais que j’y arriverai. »
Nassira el Moaddem
*Alévisme : branche de l’islam turc issu du chiisme.
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