D’habitude, chaque été, je vais au bled dans le village à papa. Tout en haut de la plus haute des hautes montagnes de Kabylie. Un bled dans le bled. Tellement éloigné de toute civilisation que les vieux du village, ils croient encore que les Romains sont en Algérie. La seule chose à faire dans ce trou perdu, c’est de rester toute la journée à glander sous un soleil de plomb, assis sur une grosse pierre. Ma pierre. La même qui m’attend chaque été. Elle a pris la forme de mon popotin à force d’être creusée tous les étés par mon royal séant d’immigré bien nourri. Adossé au mur de la mosquée, je passe mes journées à jeter des cailloux devant moi en regardant les filles passer.

Toutes ces rouquines et ces blondes qui vont chercher de l’eau à la fontaine avec leurs bras de camionneurs ont gardé le charme millénaire des belles Kabyles des montagnes : des yeux clairs, un cul de la taille de l’URSS et des grosses chaussettes rouges qui remontent jusqu’aux genoux. Sans oublier leurs robes de toutes les couleurs qui vous foutent l’épilepsie rien qu’en les regardant.

Souvent j’en interpelle une chargée comme un mulet : « Kahena ! J’ai soif ! Ramène-moi de l’eau ! » On me répond généralement un truc du genre : « Oh le noiraud (je suis l’un des rares bruns du village). Dis au moins s’il te plait, mal apprivoisé ! Je mérite le respect, je suis en dernier année de médecine, l’année prochaine j’ouvre mon cabinet de radiologie à Alger. »

Il n’y a pas de s’il te plait, docteur Queen ! T’es une femme, je suis un homme, je suis kabyle, je suis un con, je fais ce que je veux. La nuit quand je me lève pour pisser, je reviens dans ma chambre, mon lit est déjà refait. Les cousines du bled, même bardées de diplômes, ça reste le meilleur room service de la terre. Je sais, c’est injuste, mais qu’est ce que c’est bon.

Chaque été, donc, je vais en Algérie. Sauf cette année. Je voulais aller dans un autre pays histoire de changer d’air. Voir de nouveaux horizons, m’imprégner d’autres civilisations et surtout rencontrer des peuples différents que ces faces de bandits mexicains qui me servent de cousins. Du coup, je suis parti avec des copains en Tunisie.

Certes, ça reste de la bicoterie, mais c’est complètement différent des vacances au bled. Je suis parti en club comme le gros Français que je suis. La Tunisie, je n’en ai vu que la piscine de l’hôtel et la plage. Avec mes potes, on avait trop de boulot sur place pour aller rendre visite aux autochtones. Les Bondynois, quand ils vont ensemble en vacances, c’est pour charbonner. Je crois qu’il n’y a pas une fille dans l’hôtel à qui on n’a pas parlé. Tous les jours on était à la mine ! A force de draguer les princesses parisiennes depuis qu’on sait parler, la disquette elle passe toute seule là-bas.

Le deuxième jour, il y a une fille qui me dit pendant que je bronze au bord de la piscine : « J’aime bien ton groupe d’amis. Vous êtes les seuls mecs à pas faire les chacals. » Oh que j’ai ri. A Bondy, on est devenu tellement bon en drague, que ça ne se voit même pas qu’on a les crocs. Au moment où cette jolie femme loue notre savoir-vivre, trois de mes amis font les crocodiles dans l’eau autour de deux jolies lolitas qui viennent tout juste de passer leur bac français, alors qu’un autre de mes potos me crie depuis l’autre bout de la piscine : « Idir ! Poissons frais à neuf heures ! C’est du bon, de la dorade ! Formation épervier. » Sans oublier deux de mes requins de copains en train de tchatcher avec une dame au retour de la plage qui pourrait être la mère des deux minettes de la piscine.

Dans tous les domaines il y a des mecs qui sont bons. D’autres, plus rares, sont excellents. Un seul est le meilleur. En drague c’est moi. Je vais là où personne n’ose aller. Par exemple, pendant que mes camarades quadrillent le périmètre autour de la piscine, je repère deux jolies filles voilées en train de bronzer des mains et du visage sur un transat. Bah ! Bah ! Bah ! Midinettes du président… Ben quoi ? Les filles voilées c’est des filles ! Elles ont droit à un peu d’attention aussi. Vous inquiétez pas, si elles ne veulent pas voir ma gueule, elles feront comme les autres, elles m’enverront chier.

Je les aborde par un « salami couscous les nanas ça va bien ou bien ? ». Et hop je m’assois à coté d’elles tout mouillé et à moitié nu pour papoter. Tout ce qu’il ne faut pas dire à une fille voilée je l’ai dit, j’ai été sans pitié : « Alors les filles, ça va avec les mecs ? On a serré depuis les vacances ? », « Je vous paye un mojito ? », « Cette année il y a ramadan ou c’est annulé à cause du volcan ? », « Je vous vois jamais le soir à la boite de l’hôtel, pourtant il y a du bon son ! C’est halal Lady Gaga ? »

Le seul moment ou j’ai parlé religion avec elles, un de mes potes a alors crié : « Idir ! Il y a ta Marseillaise avec qui t’était sur la plage hier soir ! Tu lui as montré ton loup-garou ou t’as encore fait ton homosexuel ? ! » Bonjour la crédibilité…

Malgré mon verbe aussi délicat qu’une charge de panzers dans les Ardennes, elles ne m’ont pas lynché. Le hijab et l’humour c’est – Allah merci – compatible. Et puis les conneries que j’ai sorties, c’est toujours mieux que ce que leur ont balancé d’autres pensionnaires de l’hôtel. Elles me confient, parce que je suis rigolo : « Les gens, ici, ils n’imaginent pas que des filles voilées puissent avoir envie de souffler un peu. On a travaillé dur toute l’année comme tout le monde. On a aussi droit à des vacances, non ? »

C’est bon ce qu’elles me disent ! Mode grand reporter enclenché : « C’est quoi les remarques qu’on vous fait ? », que je leur dis. L’une des deux répond : « Soit on nous prend pour le personnel, ça encore ça va, soit on nous demande où sont nos maris, si c’est eux qui nous ont forcées à porter le voile même pendant les vacances. Classique, quoi. » Tony, un de mes associés, qui écoutait la conversation au bord de la piscine, sort de l’eau la moitié du cul à l’air et leur lance : « Pourtant avec l’histoire du niqab vous faites fashion, vous, maintenant ? » Elles acquiescent et poursuivent : « Quand on joue au beach volley, alors là tout le monde hallucine ! J’ai l’impression de m’être dressée contre l’oppression. Pour les gens, une fille voilée ça doit faire qu’une chose : la cuisine. »

Une charmante femme vient rejoindre nos deux ninjas – je fais un signe de main pour retenir mes bêtes sauvages d’amis qui se sont mis en formation d’attaque. Elle vient bronzer les seins à l’air : « On a fait connaissance ici. Le premier jour je voulais me couvrir les seins par respect pour elles, mais elles m’ont dit qu’il n’en était pas question et que je devais faire mes vacances comme je l’entendais. Elles sont terribles ! » Ben attends, c’est la moindre des choses. Quand je me pointe avec de la viande halal a un barbecue, on me fait juste un peu de place sur le grill, je ne demande pas qu’on jette les côtes de porc dans l’herbe.

Je quitte les Batman parce que c’est bientôt l’heure de manger. Comme la boustifaille est à volonté, j’ai l’impression de perdre de l’argent si je ne me pointe pas dès l’ouverture. Avant de partir je demande aux filles pourquoi elles ont accepté de discuter avec un crocodile de mon espèce. Elles m’ont douché : « Oh, parce que les crocodiles on les connaît : grande gueule, petit bras. Vous parlez beaucoup mais vous faites rien. »

Idir Hocini

Idir Hocini

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