Le 3 février, l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux a décidé de multiplier par deux les frais d’inscription aux écoles d’avocats. Cette mesure a suscité la protestation de nombreux étudiants qui y voient là une nouvelle sélection par l’argent d’une profession déjà endogame. Lettre ouverte de l’un d’entre eux.

Vendredi dernier, alors que tout le monde s’apprêtait à partir en week-end, l’assemblée générale du Conseil National des Barreaux (CNB), l’organisation qui représente la profession d’avocat, a subrepticement voté les nouvelles mesures censées régir le financement des écoles d’avocats. L’une d’entre elles a particulièrement provoqué l’indignation chez bon nombre d’avocats et d’étudiants. Une pétition a d’ailleurs été lancée.  Ces mêmes étudiants qui préparent, parfois au prix de nombreux efforts financiers, l’examen d’accès aux 16 écoles d’avocats. J’en fais partie.

Une hausse des frais d’inscription de 1 600 à 3 000 euros

Pour assainir les finances des écoles, l’assemblée générale du CNB a ainsi voté ceci : une revalorisation des droits d’inscription à un montant de 3 000 euros à partir de l’année 2018. Problème : les frais sont aujourd’hui de 1 600 euros. Le CNB souhaite donc le doublement des droits d’inscription. Oui, vous avez bien lu ! A ces 3 000 euros, il faut également ajouter 200 euros au titre des droits à la sécurité sociale. Dans une discussion sur Twitter ce mardi, le bâtonnier de Paris, Frédric Sicard, a même évoqué un chiffre émanant, rapporte-t-il du comptable de l’EFB, l’école du barreau de Paris, indiquant que ces frais devraient plutôt être réévalués à 4 446 euros… Nous avons donc échappé au pire. Merci le CNB !

Pour que cette décision s’applique, le garde des Sceaux doit la valider par arrêté. Bon nombre d’avocats se sont déjà exprimés, sur Twitter notamment, certains ayant déploré le coût élevé d’une formation d’une durée assez courte, 6 mois, et dont la qualité et la richesse de l’enseignement dispensé sont souvent critiquées.

« Nivellement par le bas » : la faute aux pauvres?

D’autres élus présents lors de l’assemblée générale n’ont pas hésité à parler de « nivellement par le bas » de la formation si les droits d’inscription n’étaient pas augmentés. Les candidats, issus de milieux modestes comme moi, apprécieront. Parce qu’il s’agit d’un « diplôme prestigieux » comme l’affirment des avocats sur les réseaux sociaux, il faudrait donc sacrifier l’égalité des chances sur l’autel de l’élitisme ? Je ne le crois pas.

Pour certains, cette hausse s’inscrit dans la suite logique de la récente réforme de l’examen d’accès aux écoles d’avocats qui tend a éconduire les futurs candidats au barreau en raison du nombre considérable de nouveaux confrères que la profession « ne peut plus absorber », selon les termes de l’ancien bâtonnier de Paris, Philippe Lafarge. Pourtant l’excellent rapport de l’avocat Kami Haeri « sur l’avenir de la profession », remis la semaine dernière à la Chancellerie, n’abonde pas en ce sens. Selon lui, le nombre de nouveaux confrères n’est pas nuisible à la profession. Ainsi, même si le nombre d’avocats a doublé en vingt ans, les bénéfices réalisés par les cabinets ont, eux, triplé sur la même période (page 9).

Hausse des frais + classe prépa + robe + inscription aux barreaux : l’exclusion par l’argent

Cette hausse des droits d’inscription s’ajoute aux nombreux frais que les futurs avocats doivent s’acquitter. Master 1 minimum en poche, l’étudiant devra, pour s’inscrire à l’examen du CRFPA, s’acquitter des frais exigés par l’Institut d’Etudes Judiciaires qui organise cet examen. De plus, la moitié des étudiants optent parallèlement pour une préparation privée ( 2 000 euros en moyenne) auxquels il faut ajouter, en cas de réussite à l’épreuve, les frais d’inscription à l’école.  Viennent ensuite compléter la note la fameuse robe (800 euros) et enfin l’inscription à l’un des 164 barreaux en France dont les frais varient entre 800 et 3 000 euros. Il ne faut pas non plus oublier que les écoles sont régionales : ainsi la grande majorité des étudiants change de ville, louent un studio et supportent les conséquences financières qui en résultent et dont je vous épargnerai la litanie. Au total, c’est au moins 10 000 euros en deux ans qu’il faut débourser. Je vous laisse imaginer quelle catégorie sociale en subirait principalement les impacts.

« Moi, enfant d’immigrés, bénéficiaire des aides sociales, je souhaite devenir avocat »

C’est à ce moment précis que je m’interroge sur mon avenir, moi l’enfant d’immigrés algériens, né de l’autre coté de la Méditerranée, moi le bénéficiaire de prestations sociales en tout genre et toujours habitant d’un quartier populaire, toujours moi qui, à la sortie d’un entrainement de foot, victime d’un contrôle de police tout aussi inopiné que musclé, a découvert sa vocation, celle de devenir avocat, pour la défense utile de nos droits. Avec l’espoir, malgré les tristes circonstances que nous connaissons, que quelque part non loin d’Aulnay-sous-Bois, les mêmes vocations naitront.

Alors comment dois-je réagir à ce doublement du tarif d’entrée d’une école pour laquelle j’ai consacré cinq ans de ma vie ? Comment réagir face à cette tentative d’évincement de l’élévation sociale ceux qui n’ont pas le portefeuille pour y prétendre et en les côtoyant au quotidien, je vous assure qu’ils sont nombreux !

« Croyez en vos rêves, ne baissez pas les bras »

Une hausse qui va totalement à l’encontre de la devise républicaine qui a bâti ce pays. Si la liberté est, en ces temps troublés, régulièrement bafouée, le CNB nous indique ici que pour l’égalité il faudra repasser… Cette rupture d‘égalité du fait des moyens financiers tend a renforcer une endogamie dans la profession et à justifier un véritable mépris de classe. Quoi de plus mesquin que d’attaquer l’étudiant sur ce qu’il n’a pas à savoir un portefeuille bien garni ?

Malgré cette difficulté supplémentaire qui s’ajoute à ce parcours du combattant, j’invite tous les étudiants à ne jamais renoncer à leur rêve de devenir avocat. Bon nombre d’entre eux sont des enfants d’immigrés et aujourd’hui reconnus pour leur talent : Yassine Bouzrou, Sanjay Mirabeau, Kami Haeri pour ne citer qu’eux…  Il faut évidemment se battre encore plus, mais les pistes pour y arriver existent, qu’il s’agisse d’un prêt ou d’un emploi étudiant.

Quand bien même cette hausse est très regrettable, elle ne doit pas constituer un obstacle insurmontable surtout lorsqu’il s’agit d’embrasser l’un des plus beaux métiers du monde. Alors si vous croyez en vos rêves ne baissez pas les bras, peu importe vos origines ou vos moyens, il s’agit du dernier effort qu’il vous reste à fournir car comme le disait Confucius « Choisissez un travail que vous aimez et vous n’aurez pas à travailler un seul jour de votre vie ».

Au garde des Sceaux de prendre se responsabilités désormais, de refuser de valider cette hausse honteuse des frais d’inscription s’il ne veut pas que ce gouvernement se rende complice et coupable d’une mise à mal dévastatrice de l’égalité des chances dans un milieu déjà bien endogame.

A. M., étudiant en Institut d’études judiciaires

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