La paternité, le succès, le décès de ses amis d’enfance… Le rappeur de 26 ans évoque tous ces thèmes sans concession, dans un projet qu’il aura mis huit mois à concevoir. Après « Le Futur » 2020, « Fantôme avec chauffeur » 2021, « Vous n’êtes pas contents ? Triplé ! » 2022 et de multiples collaborations, Benjamin Epps sort son premier album : « La Grande Désillusion ».

À quelques jours de la sortie de son album, le Bondy Blog a pu s’entretenir avec celui que l’on nomme Eppsito. Il revient sur son parcours, ses désillusions et ses aspirations qui l’auront mené du Gabon au-devant de la scène rap francophone. Interview. 

Qu’est-ce que ça te fait d’être considéré comme l’un des meilleurs rappeurs d’un pays où tu n’es pas né et où tu n’as pas grandi ?

C’est beaucoup d’honneur pour moi. J’ai toujours idolâtré la France et le rap français. Ce pays a une grande Histoire et une certaine place dans le monde. Donc évoluer dans cette espace qui ne m’a pas vu naître et voir le respect que les gens me donnent ici est un grand accomplissement. Je suis vraiment très fier de tout ce qui a été fait jusqu’à présent.

Tu as grandi à Libreville au Gabon dans le quartier de Bellevue. Décris-nous un peu ton enfance.

L’enfance est assez mouvementée. Nous étions une grande fratrie, je vivais aussi avec mes cousins, cousines, oncles et tantes. J’ai eu la chance d’avoir une mère qui veillait toujours sur moi, j’étais le dernier de la famille donc je me sentais protégé. J’ai pu grandir en n’ayant aucun complexe, j’ai eu une enfance très saine.

Dans cet album, tu abordes la violence que connait cette partie de Libreville à travers « Bienvenue à B’Hell-Vue ». Aujourd’hui, il est courant que les rappeurs vantent le côté criminogène de leur quartier, ce qui n’est pas ton cas sur ce morceau. Pourquoi avoir choisi ce parti pris ?

C’est trop commun de dire : « C’est nous les plus forts, c’est nous qui allons gagner ! ». Tous ceux cités dans ce morceau existent, ils sont soit morts, en prison, ou essaient de sortir de cette vie de délinquant. Dans notre environnement de rap, il est facile de dire « Chez moi, ça tire ! ». Mais en y regardant de plus près, tu constates que le gars essaie de te vendre quelque chose, et qu’il tient une certaine posture. Il a peut-être une bonne situation, est issu d’une bonne famille. Tandis que moi, je ne fais que raconter ce qu’il se passe à Bellevue.

Comment le jeune gabonais que tu étais se prend d’amour pour le rap ?

Ma première claque rap, c’était 50 Cent ! Je regarde la télé et je vois un gars balèze, en train de rapper sur une plage et je me dis : « J’ai envie de faire ça ! » Avant 50 Cent, j’écoutais du rap français, mais je n’avais pas vraiment eu de claque. Le rap américain avait un côté inaccessible et magnifié. Avec l’album « Panthéon » de Booba, je me passionne véritablement pour le rap français.

Faire des battles de rap très jeune m’a beaucoup aidé par la suite

À quel moment commences-tu à prendre le rap au sérieux ?

Quand j’étais petit, mon frère m’avait emmené en radio à Libreville pour affronter des rappeurs d’autres quartiers de la ville en battle. Je devais avoir 9 ou 10 ans ! Ça a été un catalyseur, mon vœu de devenir rappeur vient de ce passage en radio. Faire des battles de rap très jeune m’a beaucoup aidé par la suite, j’ai eu une toute petite carrière au Gabon avant d’arriver en France. Cependant, je faisais ça avec amusement avec mes amis au collège et au lycée.

Tu arrives à Montpellier à 18 ans pour tes études. Comment se passe ton arrivée dans ce pays que tu idolâtrais plus jeune ?

Tu fais une grosse redescente sur Terre (rires) ! Tu te rends compte qu’il y a une certaine réalité, beaucoup de pauvreté ici aussi. Une fois à la fac, me faire des amis est compliqué parce que j’ai vécu 18 ans dans mon pays. J’ai dû renaître en quelque sorte. C’est là-bas que je rencontre des gens qui m’informent qu’il y a un bar en ville, où sont organisés des sessions d’open-mic. Donc pour m’intégrer un peu plus vite dans la vie montpelliéraine, je suis passé par là.

Ma chance était que je ne connaissais pas encore grand monde là-bas et personne ne savait qui j’étais. Si je me gourrais, j’allais rester dans mon coin, en revanche si ça marchait, j’aurais eu toute la ville sur mes côtes ! Je vais là-bas parce que je n’ai rien à perdre. C’est à ce moment-là que j’envisage une vraie carrière dans le rap, et que j’enregistre mes premiers morceaux en studio.

Dans ce premier album, tu te dévoiles énormément sur ta vie : la paternité, l’impact des décès de tes amis d’enfance, mais aussi les inconvénients de la vie d’artiste. Pourquoi cela te semblait important de t’ouvrir à ton public ?

Cet album capture mon état d’esprit actuel. À la naissance de mon fils en 2021, j’ai commencé à me poser beaucoup de questions : « Suis-je là où je devrais être ? », « Est-ce que je suis l’homme que je rêvais d’être ? » etc. En entamant cet album, je me suis tout simplement dit : « Raconte qui tu es, rappe tes pensées et interrogations. ». Je ne serai pas capable de refaire un album avant un ou deux ans, car j’ai besoin de vivre des expériences.

« La Grande Désillusion » résume tous les obstacles auxquels tu as fait face dans ta vie, et les embûches encore présentes dans ton parcours, à l’image du morceau « Vivre ». En tant qu’artiste, comment traverses-tu cette grande désillusion ?

Je n’ai pas de formule magique. La musique m’a forcément aidé à des moments compliqués de ma vie. J’étais parti pour être professeur des écoles alors que je ne voulais pas faire ce métier, le rap m’a sauvé de cette désillusion. C’est un job tellement important, mais je ne me sentais pas d’aller à l’école tous les matins. Le rap et mes auditeurs m’ont sauvé de tout ça ! Il faut se donner un peu de temps pour trouver ce qu’on aime, puis en vivre. C’est une formule bateau de dire qu’il faut s’accrocher à ses rêves, mais c’est réel dans cette vie, tu dois t’accrocher et croire en ce que tu fais.

Sur le morceau « Libre » tu es en duo avec MC Solaar. Pourquoi était-il important d’avoir cette légende dans ton premier album ?

Je rencontre Solaar en 2021 au Hip-Hop Symphonique, et lorsqu’il me voit pour la première fois, il m’appelle « Biggie » (en référence à Notorious Big NDLR). J’étais saucé (Rires) ! Le gars est là depuis 1991. Au moment où je travaille sur cet album, j’ai envie que Solaar vienne poser sa voix sur le leitmotiv au début de certains morceaux : « La situation nous échappe… ». Puis je me dis qu’inviter Solaar uniquement pour qu’il répète une simple phrase n’était peut-être pas la chose à faire. L’envie de faire un morceau avec lui était trop grande ! Il a tout de suite été très chaud pour enregistrer avec moi.

À la fin du morceau « Intellectuelles violences », tu rapportes une conversation que tu as eue avec une dame âgée qui ne comprenait pas la violence de tes textes. Selon toi, pourquoi certaines personnes ont du mal à percevoir la réalité et la violence de la vie dans les quartiers populaires ?

En grandissant, les différences entre les gens sont plus évidentes. Tu remarques assez facilement qu’on n’a pas grandi dans les mêmes endroits et qu’on n’a pas les mêmes aspirations. De ce fait, la perception sur les choses seront différentes et les médias participent à accroître ces différences. Celui qui habite à la campagne va avoir l’impression que les habitants de région parisienne sont privilégiés, et inversement les gens de région parisienne vont penser que les campagnards ne se font pas emmerder par les flics.

Le dialogue se fera lorsqu’on aura laissé tous nos préjugés à l’entrée, mais pour que l’autre te comprenne, il faut être prêt à se mettre à sa place. Est-ce que tu es prêt à comprendre une femme qui prétend que les noirs sont le problème de ce pays ? On est condamné à être dans le pugilat verbal, tant qu’on ne sera pas prêt à enlever nos œillères et sortir de nos préjugés.

On a beaucoup de talents au Gabon au-delà de la musique, mon combat est de leur donner un coup de main

Il y a quelques jours, tu étais au Gabon pour y donner un concert surprise. Comment es-tu perçu là-bas ?

Avant mon retour au Gabon, les gens me suivaient de très loin, mais il y avait une certaine distance. Mais après ma venue, beaucoup de Gabonais se sont rendu compte de la réalité de l’engouement. Depuis que je suis revenu en France, je n’ai jamais reçu autant de messages de soutien de mes compatriotes. J’espère mettre certains talents en lumière. On a beaucoup de talents au Gabon au-delà de la musique, mon combat est de leur donner un coup de main. Ce serait pour une moi une manière de rendre la pareille après avoir reçu autant d’amour de leur part.

Propos recueillis par Félix Mubenga 

Crédit Photo ©ThidianeLouisfert

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