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Sur les coups de 21 heures, dans la salle comble du théâtre de la Scène Parisienne, le rideau se lève. Ce soir, pas de perruques poudrées ni de costumes du XVIIIe siècle. Sur scène, un maillot floqué du drapeau palestinien côtoie un freestyle, des références du Jennifer Hudson Show et d’autres bien connus de la toile. Entre punchlines et texte classique, le public assiste à une version inédite du Bourgeois Gentilhomme de Molière. Une adaptation urbaine, vivante et engagée, portée par le PAT (Prêt À Tourner) Studio.

Le pari du PAT est audacieux : revisiter l’un des classiques les plus célèbres de Molière sans trahir son essence, mais en le transposant de façon contemporaine. La pièce s’ancre ainsi dans les réalités des quartiers populaires.

« Un théâtre où les comédiens ressemblent aux gens que je croise tous les jours dans le RER »

« Ce qui me frappait à l’époque, quand j’étais étudiante en théâtre, c’était de voir toujours le même type de personne dans mes cours », raconte Anissa Allali, fondatrice du PAT Studio, comédienne et réalisatrice. « Je voulais un espace qui ressemble à la France que je vois dans les regards, dans la rue. » Depuis six ans, son école propose un parcours professionnel et artistique, avec une volonté claire : rendre le théâtre et le cinéma accessible à tous et casser les barrières sociales.

Le Bourgeois Gentilhomme : miroir des contradictions sociales

Et si son dévolu s’est jeté sur Le Bourgeois Gentilhomme, cela n’a rien du hasard. La pièce, écrite en 1670, reste d’une actualité troublante. Monsieur Jourdain, bourgeois naïf, prêt à tout pour grimper dans la hiérarchie sociale, quitte à renier ses propres valeurs, trouve un écho particulier chez les jeunes comédiens du PAT.

« Ça parle du sentiment d’infériorité sociale », détaille Anissa Allali. « Monsieur Jourdain veut faire partie d’un monde qui n’est pas le sien, quitte à oublier d’où il vient. C’est un parallèle avec la pression sociale qu’on peut ressentir en banlieue : vouloir toujours aller ‘ailleurs’, vers un idéal qui semble valorisé, sans toujours assumer pleinement qui l’on est. »

La mise en scène, signée Francis Bolela – ancien élève du PAT et comédien – s’inscrit dans cette logique. « On ne voulait pas enfermer les comédiens dans des codes rigides, indique-t-il. On part du texte original, mais on travaille pour que chacun s’y sente bien, qu’il puisse se l’approprier. »

Sur scène, les références sont modernes, les tenues streetwear et les énergies vives. Le spectacle est ponctué de clins d’œil à la culture urbaine. Et au fond, dans le décor, un maillot aux couleurs palestiniennes et congolaises rappelle que le théâtre peut aussi être politique.

Bakary : un premier rôle et la dyslexie comme moteur

Au cœur du spectacle, Bakary Sissoko. Originaire de Vitry-sur-Seine, incarne Monsieur Jourdain. Mais son parcours est tout sauf linéaire. À 24 ans, il découvre le théâtre après un BTS électrotechnique, et c’est au PAT Studio qu’il trouve enfin un espace où il se sent à sa place. Son plus grand défi : la dyslexie, qui complique l’apprentissage des textes.

« Chaque texte, je le vois comme un mur », confie-t-il. « Je dois lire, relire, chanter les phrases, les dessiner parfois, pour m’en imprégner. Mais ici, personne ne me regarde comme quelqu’un qui a des difficultés. On me pousse à avancer, à foncer. »

Sa présence sur scène, intense et naturelle, est la preuve que le théâtre peut devenir un espace d’émancipation et de confiance. « Franchement, si je n’avais pas intégré le PAT, je pense que j’aurais laissé tomber. Mais ils m’ont tendu la main, ils m’ont fait confiance », sourit l’acteur.

Sana : la plus jeune de la troupe, déjà engagée

À 18 ans, Sana Belazi est la benjamine de la troupe. Elle incarne Lucile dans la pièce. Étudiante en licence d’anglais, elle a mis ses études entre parenthèses pour se consacrer pleinement à ce projet. « Au début, le théâtre me paraissait trop compliqué », raconte-t-elle. « Mais quand j’ai vu comment le PAT reprenait Molière en y ajoutant notre réalité, nos codes, ça m’a parlé. »

Elle souligne l’importance de transmettre des messages forts, tout en étant drôle. « Ce qui est beau, c’est qu’on dénonce sans lourdeur. On utilise l’humour, des références que tout le monde connaît. Et chacun comprend à sa façon. »

Une troupe 100 % PAT Studio, un projet collectif

La particularité de cette adaptation est aussi dans sa dimension collective. Scénographie, musique, mise en scène : tout a été pensé en interne, par les anciens et actuels élèves du PAT. Un véritable laboratoire artistique où les talents se croisent et s’entraident.

« Ce qui m’importe, c’est que le public reparte en se disant que c’est possible », insiste Francis Bolela. « Le théâtre n’est pas réservé à une élite, on peut y faire sa place sans renier qui on est. »

Un miroir tendu à la société

Au fil des représentations, la pièce suscite les mêmes réactions. Des éclats de rire, mais aussi des regards qui se croisent, comme une prise de conscience. Derrière l’humour et les habits streetwear, c’est une lecture sans détours des rapports sociaux.

« Ce spectacle, c’est un miroir », résume Bakary. « On montre que les codes changent, mais que les rapports de pouvoir, eux, restent les mêmes. Et surtout, on montre qu’on peut exister dans un espace où, normalement, on ne nous attend pas. »

Prochaine étape pour le PAT Studio : faire tourner la pièce dans d’autres villes, d’autres théâtres. Toujours avec cette ambition intacte : faire du théâtre un terrain où chacun peut trouver sa voix. Et sa voie.

Zahra Oukaci

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