Lorsque Fatou Dramé devient mère, elle sillonne les rayons jeunesse d’une librairie et trouve « Frisette ». C’est le seul livre avec une héroïne noire. « Je ne trouvais aucun héros qui ressemblait à ma fille », se souvient-elle.

C’est le déclic. Fatou Dramé se décide alors à lancer une association pour mettre en relation des professionnels du livre afrodescendants avec le public. Une décennie plus tard, l’association D’un livre à l’autre  inaugure la 9° édition du salon du livre jeunesse afro-caribéen. Un événement qui met à l’honneur les contes, la mythologie et les légendes afro-caribéennes.

À travers cette édition, Fatou Dramé tente de faire vivre un patrimoine peu mis en avant dans la littérature jeunesse en France. Il s’agit également de diffuser des ouvrages qui représentent tous les enfants. « Ne pas représenter un enfant, c’est nier son existence », justifie la fondatrice D’un livre à l’autre.

Les éditeurs pensent qu’il n’y a pas de public pour des livres avec des protagonistes non-blancs

Sur les étals des créateurs, les livres ne sont pas édités par Nathan ou L’école des loisirs. Seules les maisons d’édition indépendantes, comme les éditions des Éléphants, exposent leurs œuvres.

« Les maisons d’édition se représentent le client comme une personne blanche avec un enfant blanc, affirme Marion Demoniere, membre de l’association Diveka qui promeut des ouvrages littéraires représentatifs. Les éditeurs pensent qu’il n’y a pas de public pour des livres avec des protagonistes non-blancs. » 

Diffuser une image juste de la société

En 2017, une étude britannique du CLPE (Centre for Literacy in Primary Education) établit que seulement 4 % des livres jeunesse présentent un personnage issu des minorités. Le pourcentage tombe à 1% quand l’on cherche des personnages principaux non-blancs.

Et en France ?  « On manque de visibilité et de recherches universitaires sur le sujet », constate Fatou Dramé. Actuellement, une étude sur la représentation des minorités dans la littérature jeunesse est menée par un collectif de sociologues, dont Lila Belkacem fait partie.

« Il faut savoir combien de personnages minorisés, perçus comme non blanc sont représentés dans les albums jeunesse. Mais plus encore, quelle représentation d’eux est véhiculée par le texte et l’image », explique la sociologue, Lila Belkacem. À ce stade, elle observe que les ouvrages proposés dans les écoles font la part belle aux personnages masculins et blancs, issus de la classe moyenne ou supérieure. Des livres qui répondent très souvent aux normes hétérosexuelles.

« Le manque de représentation engendre la perte de confiance en soi, voire le désamour de son identité »

Dans l’article, « Figures et représentations de l’enfant noir dans les albums pour la jeunesse », les sociologues Nathalie Thiery et Véronique Francis insistent sur la fonction formatrice de la littérature jeunesse. Ces ouvrages font la promotion de normes et de valeurs qui évoluent en fonction des époques. Les personnages principaux de ces livres aident l’enfant à se construire une identité.

« Le manque de représentation engendre la perte de confiance en soi, voire le désamour de son identité », abonde Marion Demoniere. Le désamour, justement, reste l’élément marquant du documentaire Noirs en France, d’Alain Mabanckou. Dans une séquence devenue virale, l’écrivain reproduit « le test des poupées », réalisé la première fois aux États-Unis.

L’expérience met à contribution des enfants noirs à qui l’on propose deux poupées. L’une est noire, l’autre est blanche. Deux questions leur sont posées : « Quelle poupée préfères-tu ? Pourquoi ? » Tous les enfants disent préférer la poupée blanche parce qu’elle est plus jolie. Une fillette ajoute même : « Quand je serai grande, je mettrai de la crème pour me blanchir et lui ressembler ».

Seulement 1% de héros racisés !

La demande d’ouvrages diversifiés se fait sentir chez les Français. Certains parents se procurent des livres provenant d’Amérique du Nord ou du Royaume-Uni. Selon une étude de la sociologue, Sarah Ghelam, seulement 173 livres avec un personnage non blanc ont été publiés entre 2010 et 2020.

Des œuvres qui se trouvent très souvent être des traductions de livres publiés à l’étranger. Parmi ces ouvrages, seulement 53 apportent un récit qui n’est pas en lien avec la race à la couleur de peau du personnage. Dans ce paysage, le salon du livre jeunesse afro-caribéen apparaît comme le meilleur endroit où trouver ces rares ouvrages. Un salon bien moins onéreux qu’une traversée de l’Atlantique.

Fiona Slous 

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