À 2h15, Zohra Ben Miloud se lève pour aller à France Télévision. À 2h45, elle retrouve Samuel Étienne devant l’ascenseur. « Les présentateurs arrivent avant les chroniqueurs », explique-t-elle. « Une fois au bureau, on se pose toujours la même question : “On ouvre sur quoi ?” » Voilà sa routine depuis qu’elle a rejoint la matinale de France 2 – France Info, en janvier 2023, après dix ans passés à France 24.

Le rythme est rude, « presque militaire ». Pas de quoi la dégoûter du métier. Loin de là. « On prend énormément de plaisir ! », s’enthousiasme-t-elle. « On est les premiers à donner les infos du jour. Comme on part d’une feuille blanche, on a vraiment l’impression de tout créer dès le début. »

Le sommeil, ça n’a jamais été son truc de toute façon. C’est même grâce à ça que naît sa vocation de journaliste. Troisième d’une sororie de quatre, Zohra Ben Miloud naît à Villeurbanne de parents algériens.

Diagnostiquée hyperactive, elle est très agitée à l’école. Le soir, la jeune Zohra refuse de dormir. Ses parents se lèvent tôt. Sa mère est femme de ménage, son père ouvrier. Ils se résignent à laisser leur fille devant la télé quand ils partent se coucher. Elle découvre Soir 3. « J’arrivais à l’école le lendemain, j’étais aux faits de l’actu », se souvient-elle en souriant. « À 6-7 ans, j’ai su que je voulais être journaliste. »

 

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« L’image, le son et le sourire »

Aujourd’hui encore, la télévision est son média favori. « J’ai toujours été amoureuse de l’image », confie la journaliste. « La télé est accessible. Beaucoup de gens la regardent parce que c’est ce qu’ils comprennent », analyse-t-elle. « Avec l’image, tu prends quelqu’un par la main et tu l’emmènes vers quelque chose. Tu as l’image, le son et le sourire de la personne qui présente. »

En grandissant, elle suit la décennie noire en Algérie, le 11 septembre 2001 à New York… « L’actualité me fait vibrer. J’ai envie de comprendre. » Bac en poche, elle s’inscrit dans une école privée de journalisme à Lyon. « Pendant tout ce temps, je n’avais jamais parlé de mon projet de devenir journaliste », confie-t-elle. Elle cumule les jobs étudiants pour financer son école. Le Moyen-Orient l’intéresse. Pour son stage, elle part au Liban durant trois mois.

Pour faire son réseau et se faire connaître quand on débute, il faut y aller franchement 

À Beyrouth, le stage qu’elle trouve à la radio ne lui plaît pas. Son rêve, c’est d’intégrer le grand quotidien francophone L’Orient le jour. Et pour se faire recruter, elle y va au culot. Elle regarde l’adresse de la rédaction dans l’ours du journal et se rend sur place, CV sous le bras. Elle prétend avoir rendez-vous avec Nagib Aoun, le directeur de la publication, pointure de la presse écrite au Liban. « Je fais illusion. L’agent de sécurité me laisse passer alors que je ne connais même pas le visage de Nagib Aoun ! »

Un homme l’informe que le directeur de la publication n’est pas encore là. Il accepte tout de même de faire passer un entretien rapide à l’apprentie journaliste, en attendant l’arrivée du chef. Il la questionne sur l’actualité. On est en 2011, Ben Ali vient de tomber en Tunisie. Zohra Ben Miloud repart avec sa convention signée. Avant de sortir, elle se fend d’un audacieux : « Passez le bonjour à M. Aoun ! » Depuis son bureau, son mystérieux interlocuteur répond calmement, en recrachant la fumée de sa cigarette : « Je suis Nagib Aoun. » Comme dans un film.

L’amour du terrain

La leçon à tirer : « Pour faire son réseau et se faire connaître quand on débute, il faut y aller franchement », préconise-t-elle. « Tant que tu ne fais de mal à personne ou que tu ne mens pas sur tes intentions, tu peux forcer. Juste, ne fais pas ça à 40 ans parce que tu n’as plus ta petite tête inoffensive de jeune adulte », tempère-t-elle en riant.

« Envoyer un seul CV ne suffit pas. Il ne faut pas sous-estimer le côté humain, en allant voir quelqu’un pour dire qu’on est motivé », insiste la matinalière. « Mais il faut assurer après ! »

Zohra Ben Miloud tombe amoureuse du Liban. Elle travaille trois mois en faisant du local. L’année suivante, elle retourne au pays du Cèdre pour son stage de six mois qui validera son diplôme, toujours à L’Orient le jour.

Mais elle doit revenir en France en urgence. Ses parents sont atteints d’un cancer. Désespérée, elle pose une candidature spontanée à France 24. « J’envoyais un mail toutes les heures », raconte-t-elle. « Il fallait que je travaille. » La recruteuse, Carine Ramassamy, la reçoit et, bingo, l’engage. Elle lui fera quand même une remarque : « Je crois qu’il y a un bug avec votre adresse, on n’arrêtait pas de recevoir le même mail. » 

« Quand une porte est fermée, tu dois trouver la fenêtre », justifie Zohra Ben Miloud a posteriori.

« En bas de l’échelle, sur le toit du monde »

À France 24, elle découvre les open space, les breaking news, et les plateaux. « C’est là-bas que j’ai tout appris », affirme-t-elle. « Au début du stage, j’imprime le programme, j’appelle les correspondants pour organiser les duplex », raconte la native de Villeurbanne. « J’étais en bas de l’échelle, mais je me sentais sur le toit du monde, parce que j’aimais ça. »

Elle commence à faire du terrain en couvrant l’attentat du marché de Noël de Strasbourg en 2018. Elle apprécie particulièrement l’exercice. « Rien de mieux que d’avoir une caméra et de construire un reportage », estime la journaliste. « Le présentateur ne fait que lancer le sujet de quelqu’un. » Les reportages qui l’ont marquée : sa couverture de l’explosion du port de Beyrouth en 2020, et son reportage auprès de réfugiés sur l’île de Lesbos en Grèce.

À France 24, tout ce que je pouvais prendre, je le prenais. C’est comme ça que j’ai fait mon trou

Zohra Ben Miloud a appris en pratiquant. « En stage, on progresse mille fois plus vite qu’en cours. Ça vaut pour tous les métiers », considère-t-elle. Quelques conseils pour tirer profit d’une expérience en rédaction : « À la fin d’un stage, demandez à faire un bilan. Poser toutes des questions : “Comment c’était ?”,  “Quels points à améliorer ?”, “Où est-ce que je pourrai trouver un autre stage ?” », explique-t-elle. « J’ai parfois regretté de ne pas avoir demandé des conseils, des pistes ou des contacts. »

Après son stage, elle enchaîne en tant que pigiste avant de passer en CDI. Assistante rédaction, assistante d’édition, rédactrice, JRI, présentatrice… Elle a tout fait à France 24. « Tout ce que je pouvais prendre, je le prenais. C’est comme ça que j’ai fait mon trou. »

Là-bas, elle rencontre des mentors comme Salima Belhadj, aujourd’hui éditrice en chef AFP à Washington. Au contact de ses modèles, elle se fera sa définition de ce qu’est une bonne journaliste. « Être la plus juste possible. Ne jamais se déconnecter des autres. Quand on part de zéro, il ne faut pas faire tomber l’échelle derrière soi. » Aujourd’hui, elle s’efforce de correspondre à cet idéal. Tout ça parce qu’elle ne voulait pas dormir quand elle était petite.

Hadrien Akanati-Urbanet

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