Je n’ai pas de date précise de la première fois que j’ai vu du foot à la TV et c’est dommage. Cependant, je sais situer mes premiers souvenirs. Je me souviens de l’infirmière à Hôtel Dieu qui me félicitait de ne pas avoir pleuré lors d’une piqure pour un vaccin, il me revient très bien ce moment où elle m’a tendu la figurine d’un joueur de l’équipe de France, réplique minimaliste de Basile Boli.

Le foot du milieu des années 90, j’en ai des souvenirs flous, liés à l’intimité familiale de mon jardin de gone des bords du Rhône, l’époque des « cages en cages », des ballons Corner aux trajectoires loufoques, des « 180 » avec gages, tout ce qui m’a permis de voir mon quartier comme un immense parc d’attraction. Le terrain de foot était dans nos têtes, il nous faisait faire parfois des conneries, nous conduisaient vers le risque inconscient de traverser la route pour prendre la balle sous les klaxons du trafic, on revenait chez nous les genoux arrachés par l’asphalte.

Le délire pendant un temps, c’était de frapper le plus fort possible de l’extérieur de notre pied fort pour viser la valve car on avait vu Roberto Carlos le faire à Gerland, et on s’en foutait que la cage n’existait pas, elle était là, inventée avec pierres, cartables et pulls. Il  fallait le faire apparaitre, ce foutu terrain car l’école fermait et l’été au quartier allait être un gouffre d’ennui, grande mission que le foot avait, de canaliser cette immense rouille.

Les grands venaient parfois jouer en bas de chez moi, j’étais noyé dans l’euphorie quand j’entendais « je prends les deux 50 centimes » : ça voulait dire que j’étais pris dans une équipe de grands avec un autre gone de mon âge, en gros à deux on valait comme un joueur. On ne valait peut-être pas grands chose mais on valait quelque chose dans un collectif autre que la famille pour la première fois de notre vie.

Mon premier voyage au bled à l’été 1994 – autre épisode initiatique bouleversant. Cette finale de Coupe du Monde, Italie – Bresil, 0-0, match dégueulasse mais regardé avec des yeux d’enfants. Le penalty loupé de Roberto Baggio, c’est paradoxalement le moment qui a rassemblé tout le monde chez moi. Le bled était encore tout frais, jamais vu une montagne de ma vie, la frontière tuniso-algérienne pas encore digérée, je parlais peu car peur de mal parler, ne comprenais rien de qui était le cousin de qui chez moi. Cette finale, c’était la première pour ma conscience troublée, c’était un bordel parabolique dans un village à proximité d’une frontière austère, finale coupée du monde au cœur d’un paysage aride loin du Rhône bleuté par la canicule. Cet été m’a permis de comprendre que ma famille n’était ni tunisienne ni algérienne mais auriverde.

L’impression bizarre de ne plus rien ressentir, ni joie ni colère

En primaire, ma mère m’avait ramené du marché de Charpennes une réplique du maillot de ce même Roberto Baggio du Milan AC floqué du numéro 18. Un truc à mes yeux inestimable que j’ai fini par perdre comme un con. Dans cette brume de souvenirs que je vous balance vite fait, mon entrée dans la culture foot s’est faite quatre ans plus tard de manière brutale. 2 coups de tête pour une arrivée dans une nouvel univers et un big bang collectif ce 12 juillet 98. Une hystérie nationale, c’était terminé, j’étais piqué pour la vie. C’est ce que je croyais.

J’ai eu la chance de grandir à Lyon, dans une période on va dire un brin favorable pour aimer ce sport : du collège à la fac, j’ai vu mon équipe rouler sur la France, je ne dis pas que ça a joué mais il y a forcément eu une identité foot qui s’est construite avec cette époque. J’ai vécu des grands moments de Coupe d’Europe. A Gerland, le petit con que j’étais a envahi le stade à la fin du dernier match de Sonny Anderson, pour prendre un bout de pelouse et le mettre dans sa poche. Premier trouble quand je me rendais compte que le stade n’était pas si grand que ça au milieu du terrain, avec l’impression d’être trahi par les plans TV et mon imaginaire. Mais j’étais heureux d’y être. J’ai embrassé ce sport avec toute sa complexité, son injustice, sa grâce et sa connerie. J’ai les mêmes souvenirs que beaucoup, et aujourd’hui l’impression de n’avoir que ça.

Au milieu de ce stade Gerland, le petit Saïd était peut-être là, criant à la gloire de Cris et Caçapa

En fait, au début, je pensais que c’était lié à ma vie, je n’avais plus de concentration et de temps de cerveau disponible à donner pour ce sport, je me disais que, peut-être aussi, j’avais grandi. Il m’arrive parfois de causer foot, avec le daron, les potes, et depuis quelques mois voire quelques années j’avais l’impression de parler dans le vide, sans connaitre, comme un twitto qui commente un article qu’il n’a pas lu. Une impression bizarre de ne plus rien ressentir vis-à-vis de ce sport, ni joie ni colère. Rien, juste la sensation que tout est fade, une distance quasi-dépressive.

Je me sentais, on va dire, un peu crado dans mon âme de suiveurs de presque faire semblant de tenir une conversation pour la forme. Il y a des victoires, des défaites, des évènements que j’ai consommés dans la rue, c’était un coup d’un soir. Le soir de la deuxième étoile, ce qui m’a le plus excité pour être franc, c’était l’idée de craquer un fumi comme un loubard avec mon pote Naim loin des gens sur le bord du Rhône. Je sais que je n’ai pas beaucoup discuté foot ce soir-là, concentré sur mes petites stories Instagram pour faire rire la galerie, et surtout pour montrer que j’existe. Avec toujours au fond de moi cette impression de me mentir. Je n’étais absolument pas dedans.

J’ai plein de trucs qui me crispent quand je regarde ce qu’il y a autour du foot, je vous arrête tout de suite ce n’est absolument pas le fric, je hais ceux qui chouinent parce qu’il y a trop de blé, c’est le monde dans lequel on vit qu’il faut changer avant d’uriner sur les salaires des joueurs. C’est tellement facile de mépriser des gens qui gagnent un EuroMillions du talent, surtout quand on accepte les plus grandes carottes autour de nous. Bref, revenons à ma crispation.

Le foot 24h/24 m’a lassé

Les giga œillères des pseudos journalistes suiveurs qui font globalement des analyses d’enfants de CM2 autour de débats qu’on nous sert par tous les supports jusqu’à en vomir ; voilà une autre crispation. Rare sont les bonnes analyses objectives autour des matchs, je peux par exemple citer le podcast « Vu du banc » qui effectue un travail poussé. Mais l’ensemble est plutôt poussif.

La facilité d’accès à tout, tout le temps, tous les jours, 24 heures sur 24, m’a personnellement lassé. Je ne parle même pas des droits télés dispatchés pour mieux nous pigeonner, je ne parle même pas de la « super-ligue » européenne qui est actuellement débattue et qui va me faire définitivement quitter ce sport si elle devient réalité.

Allégorie de Saïd regardant Leipzig-Sarre Union sur beIN Max 4 en se demandant ce qu’il fait là

Je n’ai pas de moments charnières qui m’ont fait déchanter, j’aurais pu faire le bouffon et parler de Knysna mais en vrai, j’étais mort de rire. Non, l’affaire Benzema ne m’a pas tant touché que ça avec du recul (dixit le mec qui a écrit une lettre à l’époque). J’ai juste progressivement été fané par ce sport, qui se résume être un fond d’ambiance quand je vais à la chiche. Ce qui m’arrive par contre de faire, c’est de voir les gens regarder, je sais que c’est bizarre mais je zoome sur leur réaction j’essaie de capter un truc marrant, un sentiment, un geste brusque… Je me rends compte que je n’arrive absolument plus à me concentrer sur 90 minutes de match avec ou sans smartphone à coté. Je trouve le temps long.

Peut-être que ma crispation vient aussi de mes nombreux questionnements.

Je me demande si les gamins d’aujourd’hui aiment le foot d’un amour sincère, est ce qu’ils aiment l’odeur de l’herbe et le délire des équipements ?  Je me dis que c’est malheureusement un peu plus dur d’avoir un amour, une passion authentique avec des enjeux économiques qui s’invitent au premier bon dribble… Et je dis ça après avoir fustigé ceux qui critiquent le fric dans ce sport. Oui, j’assume mon paradoxe, je suis dedans coincé dans une génération qui ne rêvait pas d’intégrer un centre de formation pour sortir la famille de la hess. On rêvait de lucarne. Est-ce que mon neveu va rêver de lucarne ? Je me pose ce genre de questions très sérieusement.

Je n’ai pas de date précise de la dernière fois que j’ai pris du plaisir à regarder un match de foot.  Pour le moment, je me dis que c’est un simple passage à vide. Je me force à continuer à croire que j’aime toujours ce sport avec sa fausse justice sociale, son lot de scandales qu’il faut fourguer à toutes les sauces et malgré l’amertume du temps qui m’a rendu plus nostalgique qu’enthousiaste. Peut-être que l’amour est encore là car les souvenirs sont beaux, intacts et innocents ou peut-être que je vois véritablement ce sport comme il faut le regarder, sans rêver avec une virilité mal placée qui m’assure une certaine crédibilité dans un cercle de suiveurs. Dans les deux cas, on n’évite pas de devenir un vieux con.

Saï2larbre

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