Fatiguée, mitigée, oui, mais surtout changée. En une phrase, voilà comment résumer l’état d’esprit de Sonia à son retour de Madagascar. Si, à chaud, elle se dit « contente d’être rentrée chez [elle] », elle se rend compte quelques mois plus tard que « ce n’était pas des vacances comme les autres. C’était le début de quelque chose. »

D’un point de vue familial, elle parle du début d’une belle relation avec certain.es de ses cousin.es, avec ses grand-mères aussi. Pour honorer ces liens, elle se rend à Madagascar à 4 reprises après son premier voyage. Les liens se solidifient tant que lorsqu’une de ses cousines tombe enceinte, elle va la voir à la fin de sa grossesse. Elle devient d’ailleurs la marraine du nouveau-né, « c’est un truc que j’aurais pas pu imaginer » raconte-t-elle avec émotion. En ce qui concerne sa culture, la jeune femme n’est plus passive et cherche à en apprendre plus d’elle-même : « La nourriture, j’adorais déjà avant d’y aller. Mais maintenant, je n’attends plus l’occasion d’en manger. Je cherche des adresses. Là, je viens de recevoir du riz rouge que j’ai commandé. »

Avant son premier voyage, elle se savait loin. Maintenant, elle se sent loin.

Même si elle sait qu’elle n’est pas une Malgache « née et fabriquée à Madagascar », elle affirme nourrir un attachement patriotique à son pays d’origine. Lors de la Coupe d’Afrique des Nations de football 2019, elle va soutenir son équipe dans les fan zones, elle qui n’est pourtant pas du tout friande du ballon rond. Personne ne l’aurait cru, mais Sonia est désormais la personne de sa génération à aller à Madagascar le plus souvent. Et cela ne lui suffit pas : si le voyage était plus court et moins onéreux, elle s’y rendrait deux fois par an. Avant son premier voyage, elle se savait loin. Maintenant, elle se sent loin. Et la différence est de taille.

Qui mieux que Fatma peut comprendre le ressenti de Sonia ? Depuis son premier voyage au Soudan en tant qu’adulte, la jeune femme fait tout pour y retourner le plus souvent possible : « La priorité c’était même plus de payer le loyer, la priorité c’était d’aller au Soudan » raconte-t-elle. L’état de son père s’empire, ses années sont comptées et il faut qu’il foule sa terre natale le plus possible. En 2018, il décède et est enterré là-bas, ce qui semble mettre du baume au cœur de sa fille. La dernière fois que Fatma se rend au Soudan, c’est en 2019, lors du dernier soulèvement. Il faut croire que le lien entre sa famille et les révolutions est indestructible.

Maintenant, Fatma n’a qu’un seul objectif : avoir un pied-à-terre et/ou habiter là-bas. Toujours objective, elle se sait face à plusieurs difficultés. Le fait de ne pas avoir de maison est handicapant car elle n’est pas toujours à l’aise avec sa famille. Et puis, trouver du travail sur place ne sera pas de tout repos. Sans parler des « challenges politiques », autrement dit : comment reconstruire le pays après le soulèvement de 2018-2019 ? D’autant plus que la jeune femme a bien compris qu’elle s’était habituée à la vie en Occident. Cela ne lui fait pas peur – « les babtous ils peuvent très bien aller vivre n’importe où ils veulent dans le monde, rappelle-t-elle. Nous, c’est pas parce qu’on s’est habitué.es à l’Occident qu’on peut pas se réintégrer dans nos pays. » – mais elle est consciente que se réadapter à la vie soudanaise ne sera pas aisé.

En tout cas, malgré les obstacles, elle n’abandonne pas son projet. Il lui tient trop à cœur : « Quand j’ai quitté le Soudan la première fois j’avais 5 ans. Aujourd’hui j’ai 36 ans et c’est toujours la même histoire d’attachement. J’essaie de trouver des solutions pour avoir un chez-moi, pour pouvoir travailler là-bas, vivre là-bas. » L’envie, voire le besoin est là et elle est déterminée à l’assouvir.

L’amour à distance

Pour Wassia, c’est l’inverse de Sonia. Elle rentre de Côte d’Ivoire avec des étoiles plein les yeux. A son retour, elle se rend compte de l’importance de connaître son pays d’origine. Elle essaie même de convaincre sa grande sœur qui, elle aussi, avait délaissé la Côte d’Ivoire après l’épisode paludisme : « Il faut absolument que t’y retournes parce que, vraiment, on rate un truc. Et moi je VEUX que mes enfants aillent en Côte d’Ivoire et qu’ils s’y sentent chez eux. Je ne veux pas être une étrangère dans mon pays d’origine ». Assurée, elle affirme que sa sœur aura le déclic un jour, qu’elle retournera en Côte d’Ivoire et qu’elle « regrettera de ne pas y être allée plus tôt ». En tout cas, Wassia ne veut plus attendre : elle se fait la promesse d’y aller tous les 2 ans.  Pleine d’ambition au début, elle se laisse finalement happer par la vie « à la française ». La jeune femme avoue alors se retrouver « un peu comme avant d’être partie » mais avec ce réconfort de savoir qu’elle y est allée quand même et qu’elle y retournera dès que possible.

Une fois rentrée, Shérazade est elle aussi pressée de repartir. Son impatience est d’autant plus forte qu’elle se sent coupable. Bien que comblée par son séjour, le contexte de ce premier voyage lui laisse tout de même un goût amer : « J’ai trouvé ça dommage d’avoir attendu ce moment particulièrement triste pour y aller » avoue-t-elle.

Heureusement, elle n’est pas la seule à ressentir ce sentiment doux-amer. Ses cousin.es, les enfants de sa tante décédée, se sentent appelé.es par l’Algérie car, en y allant, ils trouvent un moyen de faire vivre leurs parents. On ressent dans le récit de Shérazade quelque chose de très symbolique. Elle a envie de retourner sur le sol algérien parce qu’elle a aimé son séjour, certes, mais surtout parce qu’elle se sent investie d’une mission qui la dépasse. Aller en Algérie relève pour elle du respect, de l’hommage et lui permettrait de « se rattraper ». Malheureusement, son prochain voyage – prévu pour juin 2019 – a été annulé suite à la crise sanitaire. Même s’il était d’une importance capitale pour elle – « j’espère vraiment que ce voyage en juin va se faire inchAllah. C’est très important pour moi » – elle n’est pas dépitée. D’abord, elle s’en doutait : « J’étais très superstitieuse avec ce voyage. Je ne sais pas pourquoi mais j’avais peur qu’il ne se fasse pas. » Ensuite, elle approuve les raisons : « Je suis tellement hypocondriaque que je ne m’imagine pas voyager pour le moment. » Shérazade aurait évidemment préféré se tromper, mais elle attend patiemment de pouvoir prendre l’avion en toute sécurité.

C’est plus une identité de premier degré que de deuxième degré

Du côté d’Arno, la définition d’« amour à distance » doit être comprise différemment. Le jeune homme n’a eu ni coup de cœur – comme pour Wassia ou Shérazade par exemple – ni possibilité de réessayer – comme pour Sonia. Mais cela ne veut pas dire qu’il rentre chez lui intact. En effet, ce séjour lui permet de se réconcilier avec ce qu’il nomme « la déconnexion ». Chez les Iranien.nes, le fait de ne pas être totalement connecté.es à l’Iran est chose normale puisque beaucoup d’entre elleux appartiennent à la diaspora. L’expérience iranienne est donc, bien souvent, une expérience diasporique, une expérience à distance. Aussi, il mentionne la « personnalisation de son identité ». Désormais, son identité iranienne est la sienne : « c’est plus une identité de premier degré que de deuxième degré » explique-t-il. La relation qu’il entretient avec lui-même est plus personnelle, plus intime. Les communautés iraniennes diasporiques la façonnent moins.

Quoi qu’il arrive, il semblerait qu’on ne revient pas de son premier voyage au bled inchangé.e. Si ce premier séjour n’est pas forcément bouleversant, ni même plaisant, il permet de mieux se connaître. Parfois même d’être plus en phase avec soi-même. Et ce n’est pas rien. Au-delà du fait qu’on aime toujours en apprendre plus sur soi-même, le lien avec le racisme ambiant en France semble évident. C’est sûrement pour ça que presque tous.tes les témoignages l’évoquent. Le fait de se sentir étranger ici, alors qu’on ne devrait pas, crée un sentiment d’étrangeté vis-à-vis de soi-même. Contrairement à ce que les pro-assimilation veulent faire croire, tous ces témoignages montrent bien que la France ne traite pas tous.tes ses enfants pareil. Mais aussi qu’il n’y a rien de mal à s’approprier son pays/sa culture d’origine, à l’aimer, à la revendiquer, encore moins dans un contexte raciste.

Sylsphée BERTILI

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