Que s’est-il vraiment passé le 8 mai 1945 ?

Chaque année à cette date, on célèbre la victoire des Alliés sur l’Allemagne nazie. De l’autre côté de la Méditerranée en Algérie, ce jour de gloire est un jour de deuil. Ce jour-là, une manifestation a lieu à Sétif, seconde ville du Constantinois, pour célébrer la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, l’Algérie est française. Dans la liesse de la victoire, les Algériens qui descendent dans les rues de Sétif revendiquent leur volonté d’indépendance. Ils réclament la fin du colonialisme et la libération d’un leader nationaliste, Messali Hadj, arrêté quelques semaines plus tôt. « Tout le monde fait la fête en France à ce moment-là (…) Les nationalistes algériens reprennent le rythme de l’Histoire, leur rythme de l’Histoire. Ils se disent : ‘Quelle occasion merveilleuse que de réclamer à ce même moment notre liberté’ », décrypte Pascal Blanchard, historien spécialiste du fait colonial et directeur de recherche au CNRS.

Cette manifestation est autorisée sous plusieurs conditions : elle ne doit pas être politique et aucun drapeau à part ceux de la France et de ses Alliés ne doit apparaître. Pourtant, en tête du cortège, devant les 10.000 personnes rassemblées, un scout musulman brandit le drapeau algérien. Les forces de l’ordre se précipitent. Début d’une bousculade. Un jeune homme, Bouzid Saâl, s’empare du drapeau. Il est abattu par un policier. Plus rien ne pourra alors arrêter l’escalade. La police, prise de panique, tire dans la foule. La manifestation dégénère et les quelques milliers de personnes se retournent alors violemment contre les premiers Européens qu’elles croisent, en tuant une trentaine. C’est le début d’un soulèvement spontané qui va s’étendre à d’autres villes algériennes.

L’escalade de la violence

Guelma, Kherrata, La Fayette, Oued Marsa,… Le mouvement ne se limite pas à Sétif et atteint les villages alentours. L’armée intervient et emploie les grands moyens. La répression dure jusqu’au mois de juillet. « Les autorités organisent une véritable guerre des représailles qui tourne au massacre. Fusillades, ratissages, exécutions sommaires parmi les populations civiles se poursuivent durant plusieurs semaines » explique l’historien, spécialiste de la guerre d’Algérie, Benjamin Stora.

L’historien américain Todd Shepard, auteur de 1962 : Comment l’indépendance algérienne a transformé la France ajoute : « Une véritable folie meurtrière s’empare du Nord-Est algérien, avec par exemple, la constitution de charniers à Kherrata. La République française entre alors en état de guerre (…) elle arme directement les colons, ceux qu’on appelle les ´Européens’. » Ces événements sont considérés comme les prémices de la guerre d’Indépendance.

Un nombre de morts controversé

Le bilan est très difficile à établir, du moins côté algérien. « Si on connaît le chiffre des victimes européennes, celui des victimes algériennes recèle bien des zones d’ombre », reconnaît l’historien algérien Mohammed Harbi, pour qui « la guerre d’Algérie a commencé à Sétif ».

Entre 102 et 110 Européens sont tués. Dès 1945, les nationalistes algériens avancent le nombre de 45.000 morts, d’autres sources françaises parlent de 15.000 à 20.000 victimes. « Les historiens discutent depuis à peu près une cinquantaine d’années sur ces chiffres. L’armée en reconnaît peu. L’Algérie parle de centaines de milliers de morts. Je pense qu’autour de 40 à 50.000 personnes ont été tuées, essentiellement des civils, parce que nous ne sommes pas dans un conflit militaire. La répression a touché la population civile -enfants, femmes, adultes-dans les campagnes, des gens qui souvent n’avaient même pas été partie prenante de ces manifestations », rappelle Pascal Blanchard.

La reconnaissance de la France

Le massacre de Sétif a longtemps été passé sous silence par les autorités françaises. Pas de reconnaissance officielle de l’État français. Premier pas en 2005 lorsque l’ambassadeur de France à Alger, Hubert Colin de Verdière, parle de « tragédie inexcusable ». En 2008, son successeur condamne ces massacres.

En avril dernier, pour la première fois, un membre du gouvernement français, le secrétaire d’Etat chargé des anciens combattants Jean-Marc Todeschini, s’est rendu en Algérie pour commémorer « les événements de Sétif ». Une telle visite symbolique n’avait jamais eu lieu. Selon l’historien Todd Shepard, « elle a indéniablement marqué les esprits en Algérie et semble être très bien accueillie, au moins dans la presse francophone ».

Témoignages de Mohamed Doudou, âgé de 17 ans, le 8 mai 1945 et de Debah Hamani, qui lui en avait 13. Ils ont été les témoins de ces massacres. Ils racontent au Bondy Blog ce qu’ils ont vu :

Leïla Khouiel et Randa Berbouche

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