La crise sanitaire frappe fort et nous fait réfléchir. Le 13 avril dernier, Emmanuel Macron a annoncé qu’il allait supprimer la dette des pays africains à la France. Est-ce de la générosité ? Non, pas vraiment et même pas du tout. Une fausse générosité, un leurre de générosité, nous verrons plus tard pourquoi. Or, nous sommes dans le même bateau. En l’état actuel des économies, une aumône ne vaut pas les sacrifices auxquels on nous appelle et les destructions qui en découleront.

Pour leur permettre de faire face aux événements actuels, monsieur le Président, il faut surtout rendre du « possible » aux pays du Sud. Suivez la formule du grand philosophe que fut Gilles Deleuze : « Du possible, sinon j’étouffe ». Si je le cite, c’est pour vous dire de ne pas étouffer une fois encore, une nouvelle fois, vos amis africains, au moment même où le coronavirus  fait tache d’huile partout dans le territoire africain et dans le monde entier. Pour vous dire d’essayer d’inventer un monde plus juste et équitable au service des peuples. Dans votre allocution, vous annonciez que le monde ne sera plus jamais le même. Pour l’Afrique, cela me paraît évident. Et ce n’est pas une illusion, c’est faisable, mais si et seulement si vous sortez vos mains de l’économie africaine ou vous repensez radicalement votre implication.

Qu’est-ce qui a été promis exactement ? D’annuler la dette ? Non, d’annuler la dette pour un an. Ce simple report ne permet pas aux pays du Sud de sortir de la pauvreté. Pourquoi une année ? Pourquoi pas définitivement ? Seule l’annulation de la totalité de la dette donnerait aux États le pouvoir de disposer des ressources supplémentaires pour sauver des vies dans la lutte contre la pandémie, pour assister les ménages les plus pauvres et relancer certains secteurs de l’économie aujourd’hui en situation de faillite.

Puisque, vous le reconnaissez, il est nécessaire d’aider les pays africains à faire face à ce virus, la solution est simple. Il suffit que les politiques d’ajustements structurels imposées par le Fonds monétaire international (FMI) ou la Banque mondiale, le pillage des ressources par les multinationales et le libre-échange sauvage soient abolis. Pour vous, la décision prise lors du dernier G20 est historique et «  c’est une première mondiale », comme vous l’avez affirmé sur les ondes de RFI. Mais M. Macron, il faudrait commencer par dénoncer les accords de partenariat économique entre l’Union Européenne et les pays de la zone Afrique-Caraïbes dont la conséquence est de ruiner la petite paysannerie et de mettre en danger la sécurité et la souveraineté alimentaire des pays concernés.

Aujourd’hui, le danger est extrême et il ne faut pas l’aggraver. La seule manière de régler la dette des pays africains, surtout en période de bulle financière, c’est de revoir les contrats et les traités d’une manière enfin juste et équitable. Parce que c’est ce qui va permettre, au moins à ceux qui ont emprunté, de ne pas être défaillants avec tous les risques d’effondrement que cela comporte.

C’est la première chose à revoir mais qui ne rentre nulle part dans votre politique vis-à-vis du continent africain. Rompez avec l’absurde « règle d’or » financière qui nous gouverne sans tenir aucun compte des effets de cycles économiques des pays du Sud. Si vous n’en finissez pas avec elle, ce qui va se passer, c’est la poursuite et l’intensification de ce que nous vivons depuis maintenant plus de cinq ans : ces centaines de milliers de jeunes qui passent par la Méditerranée et qui veulent rejoindre l’Europe parce que, chez eux, ils n’ont plus d’espoir, plus de « possible ».

M. le Président : en Afrique, partout, les États reculent, les services publics reculent, vidant de son sens même l’existence des nations qui ne peuvent être rien d’autre qu’une communauté de solidarités. Je vous invite, vous et vos homologues européens, sans oublier vos homologues asiatiques, à arrêter cette politique d’austérité, à arrêter cette machine à perdre et à tuer. C’est une urgence absolue.

Kab NIANG

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