Trente-cinq degrés en plein mois d’octobre. C’est ce qu’indique le thermomètre cairote depuis mon arrivée il y a quinze jours. Pas une goutte de pluie, ni un nuage dérangeant. Ciel bleu et soleil tapant. Les seules gouttelettes d’eau que l’on reçoit sur la tête sont celles qui jaillissent des climatiseurs fixés sur les façades des immeubles, arrosant en même temps les trottoirs secs du centre-ville. L’atmosphère suffocante de la capitale contraste avec l’air hyper-conditionné des bureaux, banques et autres boutiques.

En ces jours de forte chaleur, les Egyptiens ne jurent que par le tekif (climatiseur) : ceux qui en possèdent un à la maison le font fonctionner en permanence, fiers de ce que la technologie apporte dans leur chaumière ; les autres avouent rêver de s’en procurer un. En sortant de l’aéroport du Caire dimanche 27 septembre, j’ai été comme prise par un choc thermique : il était une heure du matin et l’air dehors était pourtant très chaud. A la sortie, les chauffeurs de taxi se ruent vers les voyageurs. J’avais décidé de prendre le bus, moins cher et plus aventurier. Sauf que le guide que je m’étais procuré ne précisait pas que les bus de nuit, se dirigeant vers le centre, ne passaient que toutes les heures.

Après une heure d’attente et une résistance accrue aux chauffeurs de taxis tentant de me persuader de la sécurité de leur véhicule, le bus numéro Ɛ• • , 400 en chiffres indiens (en Egypte, comme dans d’autres pays arabes, on utilise les chiffres indiens), pointe enfin le bout de son nez. Déjà plein. Etre une fille a son lot de privilèges : j’ai l’honneur de pouvoir m’installer près du conducteur, assise sur mes bagages. Dans le véhicule, beaucoup de jeunes hommes en route ou de retour de leur travail.

Première immersion dans le monde populaire de la capitale égyptienne : celui des transports. Peu de femmes présentes. De ma place, je profite de la vue panoramique du Caire tandis que les jeunes hommes debout à mes côtés me lancent des regards aguicheurs tout en plaisantant avec le chauffeur. Parano que je suis, je me dis qu’ils doivent se moquer de mon allure ! Une forte odeur d’essence me titille les narines. Qu’importe, je suis au Caire, en Egypte, pour un an. Je bouillonne déjà devant l’immensité de l’aventure. Non, je ne suis pas en Egypte pour les vacances mais j’ai eu la chance d’être sélectionnée pour une bourse d’études de la langue arabe.

Comme me lancera d’un ton provocateur quelques jours plus tard un vieil Egyptien, rencontré dans les rues de « La Victorieuse » (Al Qahira, Le Caire en arabe, signifie La Victorieuse) : « Les Européens ont la chance d’être payés pour étudier ! » Jusqu’en juin 2010, je vais profiter de cette expérience pour jouer les correspondantes au Caire pour le Bondy Blog. Le trajet menant au centre-ville dure une trentaine de minutes. Pas d’arrêt de bus : les passagers informent le chauffeur de l’endroit précis où ils souhaitent descendre.

Une demi-heure plus tard, le bus me dépose à Meydan Abdel Moneim Riyad, une grande place du centre-ville, et après vingt minutes de marche, me voici arrivée à l’hôtel Ramsès II, où je vais élire domicile pendant quelques jours le temps de trouver un appartement. Le foundouk (hôtel en arabe) est un petit hôtel pour routards, confortable mais sans prétention. L’auberge est située au 12e étage d’une tour délabrée du centre-ville. De la terrasse de l’hôtel, on aperçoit les hauteurs de la capitale : clochers des églises du centre, toits des grands hôtels de la ville, drapeaux égyptiens flottant et linge étendu aux fenêtres des habitations d’en face.

Ici, de n’importe quel coin de la ville, les klaxons fusent sans arrêt. De ma vie, je n’ai jamais vu autant de voitures : rouges, blanches, jaunes, bleues ; cabossées ou flambant neuves; 4X4 contemporains ou vieux bolides américains. Le Caire est le paradis des automobilistes en tout genre. Ou l’enfer lorsque, dès 17 heures, les embouteillages n’en finissent plus de boucher les grandes artères de la ville et les ponts qui enjambent le Nil. Entre piétons et conducteurs, un combat permanent se joue : les premiers traversent effrontément les voies, frôlant les voitures qui déboulent à toute allure ; les seconds tentent d’avoir le dernier mot. Des pots d’échappement des véhicules, s’envole une fumée noire et épaisse que l’on respire à longueur de journée.

La vie au Caire ne s’arrête jamais : le soir, les jeunes couples se promènent dans les rues commerçantes du centre-ville, main dans la main, observant les vitrines alléchantes des boutiques ouvertes jusque tard dans la nuit. Les familles prennent l’air en dégustant les cornets de glace vendues pour quelques guinées tous les dix mètres sur Talaat El Harb, une des avenues les plus dynamiques de la capitale. A minuit, le centre-ville est encore noir de monde et le grand centre-commercial toujours pris d’assaut.

Un peu plus loin, sur la corniche longeant le Nil, les garçons tentent d’arracher les numéros des jeunes Egyptiennes tandis que les loueurs de « fellouques » (bateaux à voile sur le Nil) se jettent sur les badauds pour un tour musical sur le grand fleuve. La plupart des jeunes filles et des femmes sont voilées, rares sont celles qui ne portent pas le hidjab : coptes ou filles de bonne famille seulement. Les différentes manières dont elles entourent leur visage d’un voile mériteraient à elles seules un long article. Les hommes, eux, pour la plupart se baladent avec dans leur main trois objets précis : un téléphone portable, un briquet et un paquet de cigarette. Fumer est un sport national ici. Le narguilé bien sûr mais la cigarette surtout.

Les Egyptiens se rassasient l’estomac de jour comme de nuit : les fast-foods proposent sandwichs occidentaux et spécialités locales. A chaque grand carrefour de la ville, les policiers égyptiens tout de blanc vêtus, s’ennuient à mourir à faire la circulation sous un soleil de plomb. Même les milliers de chats que compte la capitale, semblent avoir plus à s’occuper. 450 guinées c’est ce que touche un policier, m’informe l’un d’eux rencontré dans la rue. Soit 60 euros à peine.

En parcourant les rues de la capitale, j’ai l’impression que les Egyptiens travaillent 24 heures sur 24. De mon hôtel vers 23 heures, on entend encore les bruits des instruments des ouvriers. En fin de soirée, dans les rues du Wast el Balad (centre-ville en dialecte égyptien), les distributeurs de journaux mettent sur leur dos des dizaines d’exemplaires des quotidiens du soir qu’ils amènent à pied aux kiosques, pris d’assaut le lendemain par les lecteurs. Mardi 6 octobre, pourtant jour férié, tout ou presque était ouvert (hormis les administrations) et jusque tard dans la soirée.

Quinze jours que je suis ici. Mes cours d’arabe ont déjà commencé. L’accueil des Egyptiens est un bonheur : je ne compte pas le nombre de thés que je me suis vu offrir et les sourires des gens à m’entendre balbutier quelques mots de ‘amia (dialecte). J’ai hâte d’en savoir sur la société égyptienne, en pleine ébullition. Je ne manquerai pas de vous faire partager mes aventures.

Nassira El Moaddem

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