Ce mercredi 1er novembre, Sunsara Taylor pose fièrement devant notre appareil photo, le New York Times solidement tenu à sa main gauche. Cette pleine page du grand journal américain annonçant la grande manifestation qu’elle et ses acolytes organisent ce samedi, ils l’attendaient comme on s’impatiente d’un cadeau tant espéré. Un cadeau qui a coûté des dizaines de milliers de dollars, selon la porte-parole du mouvement « Refuse Fascism ». Une pleine page qui tombe à pic, trois jours avant le début de leur grande mobilisation anti-Trump. Rien de mieux pour requinquer les troupes. Ce soir-là, une vingtaine de militants du mouvement, toutes générations et origines confondues, se retrouvent dans une salle du centre LGBTQ de New York pour affiner les derniers détails avant la grande journée de samedi 4 novembre.

Sunsara Taylor, porte-parole du mouvement « Refuse Fascism »

Manifestation dans 20 villes des États-Unis

Voici un an, quasiment jour pour jour, que Donald Trump a été élu président des États-Unis. La date du rassemblement n’a pas été choisie au hasard. Cet anniversaire, le mouvement veut en faire son évènement avec un message on ne peut plus clair : « Le cauchemar doit s’arrêter, le régime de Trump et de Pence doit démissionner. Tout commence le 4 novembre« . Ce sont ces mots qui apparaissent en grandes lettres noires capitales en page 5 du New York Times ce mercredi.

Au total, les manifestations sont prévues dans 20 villes du pays : la quasi totalité sont des bastions progressistes et démocrates comme New York, Los Angeles, San Francisco, Chicago, Boston. Les villes républicaines sont quasi inexistantes exceptée Indianapolis. Leur objectif : continuer les manifestations régulièrement ces prochaines semaines jusqu’au départ du président Trump et du vice-président Pence. « Ils doivent partir. Ce n’est pas quelque chose qui ne concerne que les Américains. C’est au nom de l’humanité. Ils représentent un danger catastrophique pour la planète entière », explique, sans concession, Sunsara Taylor.

« Refuse Fascim » draine des gens de différents horizons : écolos, démocrates, militants antiracistes, activistes pour les droits LGBTQ, jeunes et étudiants originellement non politisés, communistes… De cette dernière catégorie, Sunsara Taylor en fait partie, figure connue du militantisme américain, membre du Parti révolutionnaire communiste.

« Le régime de Trump est fasciste et dangereux. Il doit être arrêté avant que cela ne soit trop tard »

C’est dans les années 90 que l’engagement politique de la jeune femme charismatique, originaire du Minnesota, commence. Elle rejoint le mouvement pour le droit à l’avortement dans les cliniques privées. À cette époque, sept médecins et employés pratiquant l’avortement sont assassinés par des fondamentalistes chrétiens. Elle traverse le pays entier pour défendre les femmes à disposer de leur corps et les professionnels médicaux à pouvoir pratiquer l’IVG. La lutte contre les violences policières et la protestation contre la guerre en Irak en 2003 vont constituer deux autres de ses engagements politiques. « Depuis, je me bats contre les injustices et crimes du système capitaliste », explique-t-elle.

Pour la militante, la situation actuelle est sans commune mesure. « Le régime de Trump est fasciste. Il a fait ouvertement sa campagne en tant que suprémaciste blanc, en tenant des propos de haine contre les femmes comme dire ‘Il faut les traiter comme de la merde’, comme affirmer que les femmes qui avortent doivent être punies. C’est une dictature de la terreur à la tête de l’État ». Sunsara assume parfaitement les substantifs. Et de rappeler les évènements de Charlottesville du 12 août 2017 durant lesquels une manifestante antiraciste de 32 ans a été tuée par une voiture conduite par un jeune homme de 20 ans, sympathisant des néonazis. « Devant le monde entier, Donald Trump a affirmé ‘qu’il voyait des gens bien’ dans la foule, s’indigne Sunsara. Voilà où nous en sommes. Un Président qui soutient ouvertement des militants racistes et suprémacistes ». 

La jeune femme s’indigne aussi lorsqu’elle évoque le cas de ces cinq hommes, quatre Afro-Américains et un Latino, condamnés à tort et sans preuve en 1989 à l’âge de 14 et 16 ans, pour le viol d’une jeune femme à New York. À l’époque, Donald Trump, déjà magnat de l’immobilier, avait acheté une pleine page dans le Daily News de New York pour écrire à leur sujet : « Je veux haïr ces agresseurs et meurtriers. Ils devraient être forcés à souffrir et, quand ils tuent, ils devraient être exécutés« . En 2002, les cinq hommes sont innocentés après que le violeur a confessé le crime. « Cela n’a pas empêché Donald Trump de déclarer après son élection qu’ils devaient être encore en prison. Donald Trump bafoue l’État de droit, s’assoit sur des décisions de justice, fait comprendre que ‘peu importe ce que la justice décide, voilà ce que je veux’. On pourrait donner des centaines d’exemples qui prouvent que le régime de Trump est un régime fasciste. Ce n’est pas qu’un homme réactionnaire, c’est un fasciste dangereux qui doit être arrêté avant que cela ne soit trop tard ». 

Avant les manifestations du 4 novembre, un an de préparation

C’est en décembre 2016 que « Refuse Fascim » a pris forme, juste après l’élection de Donald Trump. Un premier évènement est organisé au Copper Union à New York. Plusieurs personnalités avaient répondu présentes comme PZ Myers, biologiste blogueur populaire aux États-Unis ou encore le journaliste d’investigation et co-fondateur de The Intercept, Jeremy Scahill. L’objectif  : empêcher l’investiture de Donald Trump de janvier 2017. « Nous avons malheureusement échoué mais nous étions persuadés que le combat méritait d’être poursuivi », explique Sunsara Taylor. « Ce combat, il fallait le porter pour les femmes, les minorités, les musulmans, l’environnement, pour les habitants de la Corée du Nord menacés par Trump ». 

Pour mener à bien la campagne, le mouvement récolte des dons uniquement de particuliers, assure Sunsara Taylor. « Nous faisons un appel aux dons individuels. La plupart sont surtout des dons avec des petits montants ». Le mouvement refuse de donner les montants des sommes récoltées depuis décembre 2016.

Reneigh Jenkins, 25 ans, a rejoint Refuse Fascism en décembre 2016. C’est la première fois qu’elle s’engage en politique

C’est à ce moment-là que Reneigh Jenkins, éducatrice de 25 ans pour adolescents défavorisés à New York, a rejoint le mouvement. « C’est la première fois que je m’engage politiquement. Comme beaucoup je ne prenais pas Donald Trump au sérieux. Mais lorsque j’ai lu, lorsque j’ai écouté des personnalités sur les conséquences de sa politique, j’ai eu une prise de conscience ». Reneigh se rend à Charlottesville en août pour manifester aux côtés des antiracistes. « J’ignorais ce que voulait dire le mot « fascisme ». J’ai été sur Google et j’ai compris que c’était exactement ce qu’on était en train de vivre : un État de droit bafoué, un racisme comme politique d’État, un nationalisme exacerbé, des discriminations, une attaque systémique de la presse, des fake news. Lorsque nous parlons de fascisme pour Trump ce n’est pas des paroles en l’air, c’est concret ».

Frederico est sans emploi. Aujourd’hui, il consacre l’ensemble de son temps à militer pour le mouvement. « Nous avons normalisé le racisme et le fascisme de Trump et de son administration. Et plus le temps avance, et plus il sera difficile de s’en défaire. L’histoire est connue, des périodes fascisme se sont déjà produites à des époques encore récentes. Les exemples ne manquent pas« .

« Les médias sont complices de cette situation. Ils nous ignorent volontairement »

Sur les réseaux sociaux, dans les médias, le mouvement prend difficilement. Pour les partisans, il y a un manque évident de prise de conscience de ce que Trump dit et fait. « Beaucoup d’Américains savent et disent que Trump est dangereux mais les gens ne se rendent pas compte à quel point ce régime a déjà fait du mal« , explique Sunsara Taylor. La faute en partie aux grands médias américains. « Ils sont complices de cette situation. Ils ont construit Donald Trump. Ils l’ont traité au départ comme si c’était une blague, ne l’ont pas pris au sérieux, l’ont sous-estimé mais ils l’ont normalisé et normalisé sa politique. Mais comment est-ce possible avec tous les propos qu’il a tenus et tout ce qu’il a fait depuis qu’il a été élu ? »

Les militants de « Refuse Fascim » en sont sûrs : « Les médias nous ignorent volontairement », assure Sunsara Taylor. Contactés par le Bondy Blog, aucun des journalistes américains n’a donné suite à nos mails. « Nous ne correspondons pas aux standards des mobilisations politiques classiques. Un journaliste d’un grand média américain, dont je tairai le nom, avait fait un reportage sur notre action. Son rédacteur en chef lui a dit qu’il ne fallait pas qu’il donne un écho à notre mouvement, arguant que nous ne valions pas mieux que les mouvements d’extrême droite. Cette rhétorique, c’est exactement celle utilisée par Donald Trump qui nous assimile à des activistes violents. Dans ce pays, les mouvements comme celui des droits civiques et des Freedom rides n’ont pas attendu une élection pour agir. Ils se sont emparés de la rue, de l’espace public, des bus pour dire « stop » au racisme et aux discriminations ». 

En ligne, fake news, menaces graves et attaques contre « Refuse Fascism »

Plusieurs sites conspirationnistes et d’extrême droite qualifient le mouvement Refuse Fascism d' »action violente » appelant « à la guerre civile »

Les médias classiques étant aux quasi abonnés absents, sites d’extrême droite, pages conspirationnistes et plateformes vidéos s’en donnent à cœur joie. Certains, extrêmement influents, qualifient le mouvement « Refuse Fascism » de violent, preuve selon elles de l’apocalypse. Certains n’hésitent d’ailleurs pas à parler de guerre civile à venir. C’est le cas du site Infowars, l’une des plateformes conspirationnistes les plus influentes aux États-Unis, dirigée par Alex Jones, soutien de taille dans la campagne de Donald Trump. En décembre 2015, Alex Jones l’a même interviewé pendant une demi-heure, vidéo qui cumule plus de 2, 7 millions de vues à ce jour. Lors de cette interview, Donald Trump a affirmé que le gouvernement américain était impliqué dans les attaques terroristes du 11 septembre. Il ajouta à propos d’Alex Jones. « Votre réputation est incroyable. Je ne vous laisserai pas tomber ».  L’association conservatrice « Jon Birch Society, a, quant à elle, récemment posté une vidéo sur Youtube, déjà visionnée près de 300 000 fois où elle demande aux Américains de « rester à la maison avec leurs enfants ».

« Ces accusations de violence sont ridicules, rétorque Sunsara Taylor. Début octobre, nous avons écrit un texte pour répondre à ces rumeurs et fausses informations. Notre message est clair : il s’agit d’une mouvement et d’un appel à la mobilisation non violente ». 

Les militants de « Refuse Fascism » ont reçu de nombreuses menaces, parfois de mort et de viol très explicites  sur Facebook. «  Nous avons pourtant signalé ces publications et leurs auteurs à Facebook qui n’a pas suspendu les comptes. Pourtant, plusieurs de nos publications ont été supprimées par Facebook, notamment une vidéo de certains de nos bénévoles à Los Angeles, dans la rue, genou à terre, en protestation contre l’idéologie suprémaciste. Facebook l’a supprimée arguant qu’elle offusquait des personnes en raison de leur race. C’est incroyable ! » 

« Ces menaces ne nous font pas peur », poursuit Sunsara Taylor qui espère que ce 4 novembre sera le début d’une grande prise de conscience et d’une mobilisation à grande échelle. « Mon exemple : une mobilisation exceptionnelle de plus d’un million de manifestants en Corée du Sud qui a conduit au départ de la présidente Park Geun-hye fin 2016. C’est la rue qui s’est exprimée et qui a fait tomber le régime ». Et après ? La réponse est bien moins claire. « Je suis communiste, d’autres du mouvement sont d’anciens soutiens de Barack Obama, d’autres sont des écolos. Nous ne savons pas ce qu’il se passera demain mais ce que nous savons c’est qu’aujourd’hui, le régime fasciste de Trump doit partir. Maintenant ». Donald Trump n’aura pas l’occasion de voir les manifestations depuis la Maison Blanche. Il s’est envolé ce vendredi pour une tournée en Asie avec une étape mardi… en Corée du Sud.

Nassira EL MOADDEM (à New York)

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