Lampedusa fait déjà partie du passé pour Bachir. Pourtant, les camps d’infortune de l’île italienne semblent l’avoir suivi jusqu’à Paris. « Cela fait un mois et vingt jours que je suis arrivé ici », raconte ce Tunisien de 26 ans, originaire de Tunis. Tout en regardant la queue qui s’allonge pour un repas chaud, il parle de la « chambre » qu’il occupe dans un foyer de la capitale depuis presque deux semaines, de l’ambiance cosmopolite qui y règne : « Il y a des clandestins de tous les pays, des Pakistanais, des Egyptiens et des Tunisiens, mais pas trop. »

Interpelé par ces propos, un camarade de galère lui demande de répéter ce qu’il vient de dire : « Toi, tu habites dans un foyer ? Depuis quand le Parc de la Villette est un foyer ? » Gêné par cette remarque, Bachir préfère rester silencieux. Pour retrouver sa confiance, quelques questions sur sa famille et sa vie à Tunis. Après un moment, il sort de son mutisme et parle « d’honneur et d’orgueil ». « J’ai dû vendre un lopin de terre hérité de mon père, mon scooter et risquer ma vie en mer pour pouvoir arriver en France et maintenant, je suis obligé de dormir dans la rue comme un vagabond et manger sur le trottoir. Ce n’est pas ce que j’avais prévu. »

Tawfiq, un Tunisien de Zarzis, ville du sud-est du pays, veut également témoigner en attendant sa soupe : « Il faut dire la vérité pour que les gens sachent que nous sommes des victimes. Jusqu’à présent, beaucoup de personnes se sont enrichies sur notre dos ; j’ai donné 1200 euros pour faire 26 heures de bateau et 700 euros à un passeur pour rejoindre la France. Avant j’étais chômeur mais maintenant, je suis chômeur, clandestin et je vis dans la rue. J’aurais mieux fait de rester chez moi. Je suis ici pour trouver du travail, rien de plus. Je ne veux pas rester en France. »

Hier soir à la station de métro Stalingrad, ce sont plus de 300 repas qui ont été servis par Une chorba pour tous. « Chaque jour depuis une semaine, nous voyons le nombre de migrants tunisiens augmenter », explique Lakhdar Lakhdari, vice-président de l’association. « Nous avons reçu une subvention exceptionnelle de plusieurs dizaines de milliers d’euros de la mairie de Paris pour faire face à cette nouvelle demande. Certains nouveaux arrivés participent également à nos cours d’alphabétisation en attendant de trouver un emploi », précise-t-il.

Malgré la précarité de la situation, ces jeunes Tunisiens ne perdent pas de vue la raison de leur présence en France. Peintre de formation, Tawfiq a entendu dire que le secteur du bâtiment recrutait et qu’il pourrait travailler sur des chantiers « à la journée ». Après plusieurs jours de recherches, il désespère : « C’est toujours la même chose, on me demande mes papiers et une adresse. »

De son côté, l’Italie a décidé d’attribuer aux migrants tunisiens des titres temporaires de séjour. Cette mesure a permis de limiter le nombre de migrants sur son sol. Avec ce sésame, les portes de l’espace Schengen leur ont été ouvertes. Bachir et Tawfiq s’interrogent : « Pourquoi Berlusconi aide-t-il les Tunisiens et pas Sarkozy ? » Discrètement, Bachir montre du doigt les trois cars de police stationnés sur le trottoir d’en face. « C’est ça la France, le pays des droits de l’homme ? Ils viennent nous trouver au moment de la soupe… Nous avons besoin de papiers pour travailler. Juste quelques mois. Le temps de mettre assez d’argent de côté pour rentrer en Tunisie et monter une petite affaire. Au lieu de nous donner des papiers, Sarkozy nous envoie la police. »

Rêves, avenir… Les deux hommes restent modestes et souhaitent adresser ce message à Nicolas Sarkozy : « On ne demande rien d’extraordinaire ; nous voulons juste pouvoir travailler quelques mois en attendant que la situation dans notre pays s’améliore. Est-ce normal qu’un homme se fasse entretenir par son père à 33 ans ? »

Mona Choule

Photo: île de Lampedusa (crédit : Sylvain Liechti)

Paru le 28 avril

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