Partie III – Mauvais esprits

Il y a des loups en Écosse ? Je vous avouerai que je me suis posé la question, quand mes deux amis de l’amitié m’ont abandonné en haut d’un rocher planté au milieu d’une vallée à 52 kilomètres du village le plus proche. « Idir,  prends nous en photo avec le lac et le couché de soleil en arrière-plan, prends de la hauteur. Encore un peu plus. Plus haut ! Voilà c’est parfait… » Tout ce que j’ai pris en photo, c’est une main balançant mon sac sur la route, juste avant que Mama-San et la grande Zoa filent en cinquième au volant du seul engin à moteur à 15 lieues  à la ronde.

Le coup du berger ! C’est désormais le nom que les Bondynois donnent au coup de pute placé à l’international. Souvenir, sans doute, d’une nuit passée dans la cabane d’un chevrier en attendant en vain le retour de mes copains.

J’ai saigné du pétrole tellement ils me l’ont mis profond. J’aurais dû ramener des pâtes. Avec ce nouveau trou qu’ils m’ont fait dans le dos, je peux les égoutter, c’est devenu une passoire. La nuit est venue vite, la vraie, celle sans lampadaire que je découvrais. Miracle de la nature, on y voit comme à travers un Zaïrois. Dans le noir complet, l’homme de la ville devient con. Seul comme une minijupe à Kaboul, recroquevillé en boule dans mon refuge de berger, la peur des loups fit place nette à celle des Jnounes, les mauvais esprits. J’en ai oublié ma colère et ma vessie. Les quelques contre-sorts enseignés par ma mère pour faire fuir les revenants de la nuit ne peuvent être très efficaces ici : les terribles fantômes en kilt de la bataille de Stirling ne parlent pas kabyle.

Alors, en dernier recours, j’ai utilisé contre eux la bombe H : le Saint Coran. J’ai prié Dieu de toute mes forces pour qu’Il me protège des entités obscures de l’inframonde, lui promettant absolument tout : mosquée tous les vendredis, ne plus jamais casser le ramadan accroupi dans un buisson à midi, et surtout, mise à la corbeille des 750 Gigas de films de cul cachés dans mon fichier secret C:/programs files/ Windows/système 32/Coccinelle.

J’avais beau m’être retrouvé dans cette galère en suivant le plus grand buveur d’alcool qu’il n’ait jamais créé, Dieu a dans son infinie bonté, exaucé mes prières. Toutefois, vu  mon « dossier scolaire », le Créateur de l’univers sembla juger qu’il y avait matière à punition. Il trouva ses anges vengeurs dans la faune locale. Là encore, la Kabylie était battue. J’ai toujours pensé que pour les punir, Dieu avait réincarné les pilotes de Luftwaffe en moustiques algériens. Ces bêtes ont le mal en eux, tous les étés un tonnelet de mon sang part dans leurs bombardements nocturnes. Cette nuit-là, dans cette cabane ouverte aux quatre vents des Highlands, ma délicate peau rencontra leurs maîtres tout puissants : les midges, les moustiques écossais. Dans le monde du vampirisme, c’est le sommet de la technologie, Star Wars, la flotte impériale pilotée par des piranhas. J’ai été leur putain, ils m’ont violé. Vidé comme une bouteille de Banga à un goûter d’anniversaire. Mes globules devaient avoir pour eux un petit goût exotique, toute la nuit, le Blitz se déchaîna sur chaque centimètre de mon enveloppe charnelle. Ces Messerschmitt du règne animal me laissèrent au matin avec un visage qui ne voulait absolument rien dire de concret. Si les hommes pouvaient faire des enfants avec les betteraves, ils auraient eu cette tête-là.

Deux litres de sang et deux amis en moins, mais toujours mes deux jambes. Elles m’ont porté toute la matinée jusqu’au village le plus proche. Petit homme boursouflé voguant dans la solitude des vallons écossais. Vu du ciel, je devais ressembler à un bouton d’acné entre les pectoraux de Hulk. Même l’Ecosse se payait ma tronche en grumeaux : j’ai trouvé deux  trèfles à quatre feuilles en chemin, mais j’ai également perdu ma chaussure dans la tourbe et ma peau ressemblait tellement à du papier à bulles qu’elle  fût une tentation trop grande pour un essaim de frelons, dont le plus petit aurait pu défier Supercoptère au bras de fer.

« Les Français ont-ils tous une troisième joue ? » me demanda le marchand de journaux d’Aberfoyle, petit bourg que j’ai rallié après une matinée dans la peau de Phidippidès, un Athénien qui  avala 240 kilomètres à pied pour demander à Sparte de filer un petit coup de main contre l’Iran.  Epuisé, meurtri et affamé, ma première action dans la civilisation fut pourtant d’acheter le canard local. « China humble Scotland ! »,  la Chine humilie l’Ecosse, titrait l’Aberfoyle Post. L’article relatait la soirée bien arrosée du XV d’Ecosse en villégiature dans la région : «Ce soir-là, le ballon ovale n’était pas dans leurs mains mais plutôt dans leurs ventres. Nos joueurs se sont comportés comme des femmes enceintes le matin au réveil, la cinquième tournée à peine entamée, ils ont eu la nausée. Un surfeur aurait trouvé son bonheur sur la vague de vomi qui déferla alors sur le plancher du Pub des époux Mac Connolly. Épais comme un colibri, le touriste chinois qui défia nos gars, poussa l’injure jusqu’à finir leurs verres après les siens. Puis il quitta tranquillement le pub, frais comme un saumon, laissant derrière lui 15 corps gisant la gueule dans le bois du parquet ».

Je reconnus la patte d’Abdenour dans les pages Culture : « Hier soir, la façade de la Royal Marshals a eu les égards d’un artiste de talent, malheureusement anonyme. De belles lettres rouges fuchsia d’un pied de long, tracées à la bombe d’une main sûre et inspirée, décorent l’édifice d’une somptueuse fresque empruntée au style underground. Le tout forme une harmonie parfaite de mots donnant un son latin qu’on tient d’autant mieux en bouche qu’elle est la profession de foi de notre nation : « Nique sa mère l’Angleterre ! » L’art brut français dans ce qu’il a de plus admirable.

Mes bourreaux vivaient pleinement leur rêve écossais alors que le mien était partie en fumée dans ma cabane de berger. J.K Rowling ne lira jamais mon Harry Potter marocain, ni personne d’ailleurs, à part peut-être la couche d’ozone.  Il a nourri le feu que j’ai fini par allumer la nuit dernière, pour éviter de mourir dans le froid et la  peur.

Même Gandhi aurait réclamé vengeance, un couteau de boucher entre les dents. Moi j’ai décidé de faire ça à la kabyle, avec un gourdin. Une bûche, dont le bout brûlait encore, empruntée à la cheminée de l’auberge de jeunesse d’Aberfoyle. Comme le petit-déjeuner était gratuit jusqu’ à 11 heures, soit dans deux minutes, je savais où trouver les deux filles du Boulevard Ney  qui m’avaient lâché sans vivres en pleine jungle écossaise.

A suivre…

Idir Hocini

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Avoir 30 ans dans les Highlands 1/4

Avoir 30 ans dans les Highlands 2/4

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