Ce matin en me levant, j’hésitais entre faire mon marché ou me rendre à cette invitation rédigée en ces termes : Charles H. Rivkin, Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique prie Monsieur Hocini Idir d’assister à un petit-déjeuner post-électoral à la résidence de l’Ambassadeur rue je ne sais plus où. J’hésite vraiment. Allez, soyons fou, j’achèterai un pot de mayonnaise demain.

Vous voyez comment c’est dans les séries américaines, quand il y a une campagne électorale, pour élire le maire, le gouverneur, ou le président des élèves d’un lycée du Dakota ? C’était tout comme ça à l’ambassade. Des drapeaux frappés à la bannière étoilée partout, des chapeaux, des ballons, des étendards à l’effigie du parti démocrate ou républicain et même un orchestre avec un banjo. C’est qu’à l’heure où je pointe mon nez pour le petit-déjeuner, les amerlocs de l’ambassade, ils ont une nuit électorale dans les pattes.

Il y a une télé dans chacune des pièces de ce somptueux hôtel parisien mais quand même moins grand que ma maison d’immigré au bled. Des écrans sur lesquels, le scrutin présidentiel a été suivi toute la nuit. «Comme l’élection s’annonçait serrée, on pensait que les résultats tomberaient vers 4-5 heures du matin. Une heure à peine, avant le petit déj, c’était top planning. Mais on a su qu’Obama avait gagné bien plus tôt » confie un préposé au buffet avec qui j’aie disserté une bonne demie heure sur l’art du Baggel, alors que Manuel Valls, ministre de l’Intérieur papillonnait autour de moi dans la foule d’invités, sans même que j’ai pensé à l’interviewer. C’est ça qui est bien avec les Américains, un chiendent pourri de mon espèce ou un ministre c’est pareil pour eux, c’est la France, on est tous dans le même panier dans la maison des States.

Il y avait du gratin à l’ambassade. Karim Zeribi, tout récent député européen, par exemple, qui vous ferait avaler la lune avec son beau phrasé du sud. Ce type c’est du Pagnol à écouter. Il se dit soulagé de la victoire d’Obama même s’il aurait aimé «  qu’il aille plus loin sur la politique étrangère » et constate « que l’engouement autour d’Obama n’est plus le même qu’en 2008 ». Il le sait, il était aux states cette année-là.

Le soulagement pour les uns, le choix du moins pire pour les autres, 4 ans pour finir ce qu’il a commencé, les Français présents à l’ambassade sont tous acquis à la cause du nouveau gagnant malgré une pointe de critique, parce qu’il n’a pas changé le monde après 2008.

Qu’en pensent les Américains ? Caché dans les buissons du parc, avec 15 minis-croissants repartis entre mes doigts et mes gencives, j’en épie deux, un garçon, une fille, en train de papoter. Antony, jeune homme dans la vingtaine, est également soulagé de voir Obama victorieux : « Les sondages les donnaient tellement serrés que j’ai eu peur que ce soit Romney qui l’emporte. C’est peut-être pour ça que j’ai voté d’ici par courrier ». Mais on sent aussi qu’Antony n’est pas trop content : «  En 2008, Obama a fait campagne dans la peau d’un progressiste, puis il a gouverné comme un centriste, c’est souvent comme ça dans le système américain. Il a par exemple échoué a fermé Guantanamo, il a utilisé plus que de raison les drones qui ne font que rarement la différence entre terroristes et population civile. Dans la logique de guerre, je pense qu’il est allé presque plus loin que Bush. » Vous pensez bien qu’avec mon anglais de fennec du zoo de Tizi-Ouzou, j’ai rien compris à ce qu’il m’a dit. Heureusement Lorraine, qui est finalement une Française, a dû bécoter Shakespeare à pleine bouche dans une autre vie tellement elle en maîtrise bien la langue. Elle a fait la traduction et tenu mes minis-croissants pendant que je notais. Le temps de les compter pour voir si elle ne m’en a pas chouravé un, la fête était finie. A 11h00, c’est comme si quelqu’un avait dit avec un accent américain « Cassez-vous la France ! », parce que tout le monde a pris ses affaires pour rentrer.

Et c’est là qu’on reconnaît les gens classes des bouseux. Ces derniers ont tous pris une photo entre les deux statues de carton à l’effigie des candidats qui trônaient à l’entrée avant de partir. Alors que les gens comme moi, le haut du paquet pour ainsi dire, on ne se serait jamais abaissé à un tel manque de retenue…

Idir Hocini

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