Pendant des semaines, les Brésiliens ont retenu leur souffle, suspendus aux résultats du duel opposant Jair Bolsonaro et Luiz Inàcio Lula Da Silva. Une tension plus palpable encore pour les peuples autochtones. « La politique du gouvernement Bolsonaro entraîne la mort de peuples autochtones », lançaient des voix des droits de l’homme et de la justice au Brésil, dans une tribune en 2021.

Des peuples autochtones ont, elles, demandé à la Cour pénale internationale de lancer une enquête contre Jair Bolsonaro pour « génocide ». Elles visaient « la politique anti-autochtone » menée par le président d’extrême droite. En encourageant les politiques d’exploitation des ressources naturelles en Amazonie, Bolsonaro menaçait directement la vie de ces communautés.

Mais l’élection de Lula suffira-t-elle à garantir la survie des peuples autochtones ? Marie Ndenga Hagbe, chargée de communication presse et des médias de l’ONG Survival France, œuvrant pour la défense des peuples autochtones, répond à nos questions. Interview.

Des leaders autochtones amazoniens manifestant contre le projet de méga-barrage de Belo Monte sur le fleuve Xingu, au Brésil, en avril 2010 © Leandro Silva / Survival

Qu’est-ce que l’élection de Lula représente pour les peuples autochtones  ?

Il est difficile de parler au nom des peuples autochtones, aujourd’hui. Mais de nombreuses organisations autochtones le soutiennent. Elles voient en lui l’espoir d’un changement et d’un dialogue possible. Dans ses propos Lula met en avant une volonté de reconstruire ce que Bolsonaro a détruit. Il promet aussi une vraie reconnaissance des droits des peuples autochtones.

Faites-vous confiance à Lula sur la question des droits de ces peuples ?

Pour Survival, Lula était la meilleure option. Il faut tout de même rester vigilant car, par le passé, il n’a pas toujours été juste sur les droits des peuples autochtones.

Lula doit vraiment aller plus loin que sous son premier mandat. À cette époque, il y avait quand même eu le Belo Monte. Un barrage sur la rivière du Rio Xingu. Cela a été une atteinte très grave aux droits des peuples autochtones qui étaient sur place. D’un point de vue juridique, ce projet n’a pas respecté la Convention 169 de l’OIT.

Lors de son premier mandat, Lula n’a pas énormément soutenu la protection des territoires autochtones

Cela a profondément affecté les conditions de vie des peuples qui vivaient autour de la rivière. Le courant a été pollué alors que ces peuples vivaient principalement de la pêche. Aussi, Lula n’a pas énormément soutenu la protection des territoires autochtones et il n’a pas poussé à la démarcation des nouveaux territoires. Un enjeu fondamental pour la survie des ces populations.

Lula envisage de créer un Ministère des Affaires Indigènes qui serait dirigé par un représentant de la communauté autochtone. Qu’en pensez-vous ?

Le fait qu’il veuille créer un Ministère est une avancée importante dans la reconnaissance.

Cela témoigne d’une sincérité mais ce ne sera pas suffisant pour faire face aux nombreux défis pour protéger les territoires et reconstruire ce que Bolsonaro a détruit. Il faut vraiment plus que ce ministère.

Nous attendons une vraie volonté de protéger les territoires de la part du gouvernement. Cela nécessite de continuer la démarcation des territoires autochtones et respecter les lois qui existent déjà.

Le gouvernement Bolsonaro a été le gouvernement le plus anti-autochtone depuis la dictature militaire

Après quatre ans avec Bolsonaro au pouvoir, quelle est la situation pour les peuples autochtones ?

À l’heure actuelle, pour ces peuples, nous parlons d’un génocide. Le gouvernement Bolsonaro a été le gouvernement le plus anti-autochtone depuis la dictature militaire. Jair Bolsonaro voyait ces peuples comme un frein au développement du Brésil, notamment en Amazonie.

Selon lui, ces peuples empêchent l’exploitation de l’Amazonie pour l’agro-industrie, pour l’exploitation minière ou pour l’exploitation forestière. Il a essayé de mettre en place des lois ou de contourner la loi par des décrets pour permettre l’invasion de ces territoires.

Et au-delà de ça, son discours anti-autochtone et pro-invasion de l’Amazonie, donne un sentiment d’impunité à tous les envahisseurs illégaux. Dans le territoire de Yanomami, par exemple, 20 000 orpailleurs sont présents illégalement. Les invasions illégales ont explosé depuis le début de sa présidence.

Vous parlez de génocide institutionnalisé et vous pointez la responsabilité de orpailleurs. Le retour de Lula permettra-t-il une reconnaissance voire des poursuites judiciaires ?

Oui, il y a un vrai génocide institutionnalisé et législatif avec les lois que Bolsonaro essayait de pousser. Le gouvernement est clairement responsable, aussi par son inaction. Les crimes commis restent souvent impunis.

Entre 2019 et 2020, les assassinats de personnes autochtones ont augmenté de 61%

Entre 2019 et 2020, les assassinats de personnes autochtones ont augmenté de 61%. Sur les poursuites judiciaires, la question est : « Que se passera-t-il pour les crimes passés ? ». Il devrait y avoir pour la première fois, le jugement des meurtriers d’un gardien de l’Amazonie : Paulo Paulino Guajajara tué en 2019. Cela ouvrirait peut-être le pas à d’autres jugements.

Mais il faut d’abord que Lula reconstruise tous les organes institutionnels qui ont été détruits. Comme la Fondation Nationale de l’Indien (FUNAI) ou l’IBAMA qui était l’organe du gouvernement chargé de la protection de l’environnement. Il faut faire en sorte qu’il n’y ait plus de sentiment d’impunité.

Il y a un génocide en cours depuis 500 ans. Si des gens sont encore là, c’est parce qu’ils se sont battus

J’insiste sur le terme génocide, il n’est pas galvaudé. Il y a un génocide en cours depuis 500 ans. Si des gens sont encore là ce n’est pas parce qu’il n’y a pas une volonté de génocide, c’est parce qu’ils se sont battus. Ces peuples ont une résistance incroyable pour faire face.

Bolsonaro a assumé cette politique. En 1998, il avait notamment dit : « Quel dommage que la cavalerie brésilienne ne se soit pas montrée aussi efficace que les américains, eux, ils ont exterminé leurs indiens ! ».

L’un des nombreux sites d’extraction illégale d’or sur le territoire Yanomami. 2019 © FUNAI

Dans vos campagnes vous parlez de « peuples non contactés », qu’est-ce que cela veut dire ?

Les peuples non contactés sont des peuples autochtones qui évitent tout contact avec les personnes extérieures. Notre campagne vers eux ne se limite pas au Brésil. Si la majorité des peuples non contactés se trouvent en Amazonie brésilienne, ils sont aussi présents au Pérou, en Bolivie ou encore en Colombie.

Ces peuples font face à l’exploitation et à l’invasion illégale de leurs territoires. Beaucoup de personnes essaient de forcer le contact avec eux sous couvert de prosélytisme religieux. Bolsonaro avait notamment placé à la tête du département des autochtones non contactés, un missionnaire évangélique extrémiste. On s’était battu aux côtés des organisations autochtones pour qu’il soit démis de ses fonctions.

Ces groupes prétendent agir pour « leur apporter le développement », leur position officielle est : « S’ils avaient accès à nos écoles, nos hôpitaux ; ils seraient bien plus heureux ! » Mais en réalité, leur but est d’exploiter leurs territoires.

L’écrasante majorité des peuples contactés ont été décimés à cause des maladies

La conséquence des contacts forcés est connue, c’est la mort ou la marginalisation. L’écrasante majorité des peuples contactés ont été décimés à cause des maladies.

Quand ils intègrent notre société majoritaire, ils l’intègrent au plus bas de l’échelle. Parce qu’ils n’ont pas ce que nous considérons comme valorisant dans notre société : des diplômes, de l’argent. Quand on leur fait perdre leurs territoires et leur autosuffisance, ça n’a que des conséquences dramatiques. Et malgré l’élection de Lula, le danger est toujours là.

Propos recueillis par Fanny Larade

Image de Une : Manifestants contre le barrage de Belo Monte se sont rassemblés à Altamira, au Brésil, le 19 août © Karen Hoffmann

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