A l’aube de la Coupe du monde de football 2014, le Brésil connaît des manifestations de rue, les plus importantes depuis 20 ans. Henrique, un étudiant de 22 ans a lui aussi manifesté à Rio. Contacté par Skype, il témoigne.

Du travail et de l’argent avant les buts et la coupe. » « Si on est dans la rue aujourd’hui c’est pour lutter contre les injustices. » « On en marre de payer, assez, assez ,assez ! »  Le message est clair. C’est ce qu’on pouvait lire sur les pancartes agitées par les manifestants brésiliens. Rio de Janeiro, Brasilia, Sao Paulo, Belo Horizonte, Porto Alegre… Tout le pays est secoué depuis des jours par des manifestations sociales. Des centaines de milliers de manifestants défilent tous les jours dans les rues des grandes villes brésiliennes. La contestation, débutée à la suite d’une annonce d’augmentation des tarifs des transports publics, monte d’heure en heure, malgré les violentes répressions. Et c’est à Rio, à un an du Mondial de football, que la revendication a été la plus forte, avec des scènes de guérilla urbaine. Au total, près de 200 000 personnes sont descendues dans la rue.

V__4F6AV__4F6AComme déjà évoqué en décembre dernier lors de mon dernier séjour au Brésil, le pays est en proie à des difficultés économiques, en pleine préparation de la prochaine Coupe du Monde qui aura lieu en 2014 dans douze villes, et des JO 2016 à Rio. Les dépenses engagées sont lourdes et le peuple ne comprend pas cette décision d’investir dans des stades tandis qu’à quelques mètres, des milliers de citoyens vivent dans des conditions déplorables, parfois même dans la rue. Rio est l’une des villes qui m’a marqué par son nombre de SDF. Le contraste richesse/pauvreté est frappant dans cette ville remplie de favelas. Une récente mesure s’ajoute au mécontentement ambiant : elle consiste à augmenter les tarifs des transports publics. Il est très facile de joindre des Brésiliens et plus particulièrement des Cariocas (habitants de Rio) tant la mobilisation est énorme sur les réseaux sociaux. Toutes les personnes que j’ai pu rencontrer lors de mon séjour sont dans mon Facebook. Et depuis lundi, mon fil d’actualité est alimenté de statuts pro-manifestants. C’est d’ailleurs par ce biais que j’ai été informé de la mobilisation.

La mobilisation est énorme. Beaucoup de jeunes ne sont pas prêts de baisser les bras et ranger les pancartes. Le gouvernement peut  craindre le pire, d’autant plus que les interventions des autorités ne vont pas calmer la colère des indignés brésiliens. Le bilan fait déjà état de plusieurs centaines de blessés, dans des conditions parfois surréalistes. Alors que les prochains mois devaient être synonymes de fête, un profond malaise s’est installé à mesure que les habitants ont pris conscience des nombreuses réformes sociales et économiques que le pays se devait d’entreprendre pour recevoir la Coupe du monde 2014.

Henrique est un étudiant de 22 ans qui vit à Rio, il est originaire de Sao Paulo. Il étudie l’équivalent de l’AES (administration économie et social) à l’université fédérale de Rio. Il fait partie des 100 000 personnes qui ont manifesté lundi dernier. Comme tout les autres manifestants, il a le sentiment d’un développement du Brésil à trois vitesses. « Tout est parti de l’augmentation du prix du billet de bus , ils ont fixé le prix à 2.95 au lieu de 2.75, soit une augmentation de 20 cents, ça peut paraitre ridicule de manifester pour ça mais c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase, le service de transport est mauvais, nous n’avons pas de nouveaux bus, rien n’explique et ne justifie cette augmentation. Les riches sont toujours plus riches. Et ceux qui sont au milieu ont le sentiment de ne pas avancer au même rythme ».

V__3218Il est resté dans les rues avec sa pancarte jusqu’à la fin. Malgré lui, il s’est retrouvé en plein coeur des débordements. « Il y a un vrai ras-le-bol général de se sentir volé par le gouvernement », me dit-il d’un air vraiment impliqué par l’évènement. « On a des charges énormes, on paye de gros impôts, mais on ne voit aucun retour pour la population. On aime le football, mais la priorité c’est de nouvelles écoles, des investissements pour notre éducation, et pas pour la Coupe du monde. On nage dans la corruption », s’indigne l’étudiant. Pour le jeune homme, il est encore trop tôt pour savoir s’il y aura de vraies répercussions sur l’événement sportif, prévu en 2014, mais « des groupes sur Facebook qui veulent boycotter l’événement ont déjà été créés ».

« Tout avait bien commencé, insiste Henrique, mais tout a débordé à la fin. Un groupe de quelques dizaines de manifestants a pris d’assaut le parlement de l’Etat de Rio, avec des cocktails molotov et des pierres. Les policiers anti-émeutes les ont finalement dispersés dans la nuit, avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Vingt policiers et sept manifestants ont été blessés, dont deux par armes à feu, au cours des échauffourées. Les rues se sont bien dégradées, rappelant un vieux tableau de guerre, avec des poubelles, des voitures enflammées, des vitrines de banques cassées, des distributeurs et des commerces pillés. La marche était à 90 % pacifique, c’est une petit groupe de personnes qui a fait chauffer les événements. Des manifestants ont essayé de les stopper. Les policiers nous ont tous mis dans le même sac.  » De l’avis de Henrique, ce mouvement risque de s’amplifier. « Aujourd’hui à Rio, demain à Sao Paulo. Et il ne faut pas oublier que les manifestations ont eu lieu dans onze villes du pays. Pas seulement à Rio et à Sao Paulo ». Pour tenter de dissiper le mouvement, plusieurs villes ont fait machine arrière. Porto Alegre, Recife et d’autres villes brésiliennes ont déjà annoncé mardi des réductions de prix des transports publics.

Henrique s’insurge surtout contre les violences policières : « Quand j’ai vu vraiment que ça dégénérait, j’ai voulu éviter le cœur de la manifestation, j’ai donc emprunté un raccourci. Je suis un étudiant très sérieux, qui étudie ici loin de ma famille, j’essaie de m’en sortir comme je peux, j’ai voulu manifester pacifiquement, j’étais en train de me balader dans un endroit à environ vingt minutes du stade Maracana. Un policier de la troupe de choc est passé. J’étais sans arme et sans écharpe. Le policier m’a regardé et m’a aspergé de gaz lacrymogène dans les yeux ». Pour Henrique, on ne peut pas parler de guerre civile au Brésil. « C’était essentiellement pacifique, on n’est pas venu pour causer des dégâts. La plupart des manifestants prônaient la non-violence » insiste-t-il.

Malgré cela, il retournera aujourd’hui manifester aux côtés du million de participants attendus. Il n’a pas peur, reste confiant et est persuadé que la mobilisation sera beaucoup plus forte que lundi. « Les brésiliens en ont marre, il y a un espoir, on veut faire passer un message. On est tous motivé à aller jusqu’au bout. C’est toute la jeunesse qui se mobilise. On est sorti de Facebook et on est descendu dans la rue pour crier, partager, hurler nos idées et contester. On n’a rien dit pendant longtemps, mais ça c’était avant ! On va essayer de réveiller et de faire venir tout le pays avec nous dans la rue. »

Mohamed Mezerai

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