Un film documentaire sur l’Algérie dont le titre est « La Chine est encore loin », peut sembler un peu incongru au premier abord. Néanmoins, la curiosité l’emporte et je me retrouve plongé dans ce qu’on peut appeler le trou perdu de la Creuse algérienne. Le réalisateur Malek Bensmaïl a posé sa caméra à Ghassira, dans les Aurès, durant tout une année, et a suivi le quotidien des enfants du village. On est face à un véritable documentaire, sans voix off pour nous prendre par la main et nous dire quoi penser, le montage est posé et prend son temps, et la caméra s’attarde souvent sur les visages des enfants, captant les regards pleins de malice, de vie, de gène, et parfois de honte.

On les suit à l’école, on les voit s’amuser sur un terrain vague, ensuite récitant des sourates à l’école coranique, et puis c’est tout. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’on a l’impression d’avoir fait un bond de plusieurs décennies en arrière, tant la modernité est aux abonnés absents dans ce village. Seule une irréductible antenne parabolique résiste, et encore, elle est du genre à être manipulée à la main pour changer de chaîne !

La femme est également peu présente, mais la seule qui a souhaité s’exprimer devant la caméra vole en quelque sorte la vedette aux autres protagonistes, tant son long monologue de fin sur sa vie entière faite de sacrifices et de souffrances silencieuse nous met les larmes aux yeux.

Ce n’est pas une fiction, et on se le prend en pleine face. Le temps est suspendu à Ghassira, le passé hante le présent, on y découvre que la guerre d’Indépendance a débuté par un drame tragique qui s’est déroulé à l’école du village, et le monde moderne semble être une contrée lointaine. Ce passé est dévoilé au travers de témoignages des anciens. Arrive le twist du film : les instituteurs de l’école n’étaient pas au courant d’un drame qui s’était produit ici le 1er novembre 1954, considéré comme le signal de départ de la révolution algérienne, l’exécution de l’instituteur Guy Monnerot. La Chine n’est peut-être pas si loin que ça, finalement.

Au début de l’année scolaire, les élèves filles avaient le visage découvert, mais la puberté est passée par-là entre-temps, et à la fin, on les découvre voilées. Le film s’achève sur le voyage de fin d’année, on sort enfin de Ghassira, découvrant une Algérie moderne, pleine de ressources naturelles. Toute la classe se retrouve à la plage, les garçons les pieds dans l’eau, et les filles s’échangeant des recettes de cuisine sur le sable fin.

Le traditionalisme et le nationalisme ont encore de beaux jours devant eux à Ghassira. Je ne sais pas si j’ai vu un film optimiste ou pessimiste sur cette jeunesse de l’Algérie profonde, mais en tout cas, j’ai découvert des personnages attachants et une partie de l’histoire contemporaine de ce pays qu’on ne trouve pas dans les livres d’histoire de terminale. « La Chine est encore loin », c’est un peu « Entre les murs » à Ghassira, et ça devrait suffire pour vous convaincre à aller voir le film, d’autant plus que les documentaires sur l’Algérie sont une denrée rare.

Arnaud Huynh

La guerre contre les Français : horizon indépassable

« Recherchez le savoir, jusqu’en Chine s’il le faut », dixit Le Prophète Mohamed. Cette citation introduit le film « La Chine est encore loin ». Ce documentaire sur l’Algérie contemporaine est un mélange de mémoire, de révolte, de combat pour l’indépendance, de langues qui s’entrechoquent, de présent. Le 1er novembre 1954, un couple d’instituteurs français et un caïd algérien sont victimes d’une attaque meurtrière près d’un village de l’est algérien. Cet acte marquera le début de la guerre pour l’indépendance algérienne.

La qualité de l’image m’a laissé croire qu’il s’agissait d’images anciennes, mais non. Le réalisateur a posé sa caméra 50 ans après l’attaque, à Ghassira, petit village chaoui qui vit encore loin de la technologie et des appareils high-tech de notre France. On aurait pu se dire que la France a laissé là des traces, mais non, hormis dans les souvenirs des villageois ou dans les cours de français enseignés à l’école.

En regardant ce film, je pensé aux histoires que ma grand-mère algérienne me racontait : la guerre, l’indépendance, ce qu’elle a dû faire pour échapper aux mains sadiques de certains militaires français et d’autres choses horribles dont elle a été témoin. C’est probablement la raison pour laquelle des personnes dans le film expriment par des dessins notamment cette haine envers les soldats français. Ma grand-mère est originaire des Aurès, région où se trouve Ghassira et elle m’a toujours dit que là-bas, c’est le désert, qu’il n’y a pas grand-chose à faire. Je n’ai jamais été en Algérie mais ce que j’ai vu dans le film correspond parfaitement à ses descriptions ainsi qu’à celles que m’a faites ma mère.

Ce film est un excellent documentaire prouvant qu’au 21e siècle, des méthodes artisanales voire archaïques perdurent quelque part dans le monde. Que des jeunes enfants peuvent répéter les avis de leurs parents même s’ils n’ont pas vécu les massacres de naguère, et surtout que la France, c’est pour certains une honte et pour d’autres, un rêve…

Inès El Laboudy

Des automates et des perroquets

Un générique en trois langues (arabe, berbère et français) nous emmène dans un paysage rempli de désert. On suit un homme. Un peu comme dans « Bagdad Café ». Dans la chaleur, il marche sur le bord d’une route qui conduit au village (Ghassira) : du sable, des bâtiments inachevés ou à l’abandon, quelques ruines. On ne sait pas si c’est une fiction ou un documentaire historique qui revient sur l’indépendance de l’Algérie.

Ni l’un ni l’autre. Direction l’école. La caméra est immergée chez des enfants d’une classe de 6e (ce qui correspond au CM2 en France) dans les Aurès, et filme les cours de mathématiques, d’arabe et de français. Elle nous montre aussi l’école coranique, où vont les élèvent quand ils sèchent l’école, les rackets et les amitiés, la préparation de l’examen de la fin de l’année, Rachida la femme de ménage de l’école, et l’ennui, le temps qui passe, cette impression que depuis l’indépendance rien ne bouge.

C’est l’Algérie d’aujourd’hui, du moins celle d’un bled perdu. Les professeurs enseignent le programme tels des automates, les enfants répètent comme des perroquets, peu importe qu’ils comprennent la matière ou non. Lors du cours sur l’indépendance de l’Algérie, l’instituteur recueille les témoignages des élèves qui racontent comment leur famille a vécu la guerre d’indépendance. Une première transmission, familiale.

Le cours fait office de deuxième transmission, officielle et institutionnelle. Les instituteurs rencontrent les vétérans qui racontent 1954, le meurtre de l’instituteur et du caïd, la femme de l’instit blessée, des anciens élèves témoignent. Les maîtres d’école, transmetteurs de l’histoire officielle, rencontrent les acteurs historiques, incarnation de l’histoire fondatrice. C’est à ce moment que l’on saisit l’ampleur de l’ignorance. Ignorance, refus de voir. L’Algérie, indépendante depuis 1962, semble être ce personnage errant du début du film. Figée dans le programme officiel, aveugle à elle-même, à ce qui constitue sa culture identitaire et sourde aux besoins de perspectives de sa population.

Malek Bensmaïl (photo) a réalisé un film d’un peu plus de deux heures, en 35 mm, qui représente deux ans de préparation, six mois de repérage dans plusieurs écoles de la région, un an de tournage à différentes périodes de l’année scolaire, 150 heures de rushs, deux ans de montage. On n’évoque même pas le budget, encore moins le retour sur investissement : Philippe Avril, le producteur en France, confie que « c’est une catastrophe. Notre erreur a été de croire qu’on recevrait l’intégralité des financements algériens, et pourtant il a fallu terminer le film. »

La demande de visa d’exploitation a été déposée auprès des autorités algériennes. En attendant la réponse, il est possible de voir le film à Paris, Ivry (le 19/05, séance unique), Bobigny (le 26/06), La Courneuve, Aubervilliers (12/05), Saint-Denis (16/05), Boulogne (12/05) et Arcueil (19/05). Et dans le reste de la France.

Juliette Joachim

A Paris, actuellement à l’affiche au cinéma Saint-André-des-Arts, Paris 6e.

Arnaud Huynh

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