Les boutiques du Tottenham Hale Retail Park rutilent. Toutes les devantures ont été changées il y a un an, après les émeutes dont le détonateur s’était enclenché dans ce quartier. Le 4 août 2011 sur Ferry Lane, non loin de ce grand centre commercial pillé dans la nuit du 6 au 7 août, Mark Duggan, présenté par certains médias comme « un gangster bien connu des services de police », était abattu d’une balle dans la poitrine par un policier dans des circonstances qui font toujours l’objet d’une enquête. La mort de ce jeune métisse, père de quatre enfants, plus une marche en sa mémoire dégénérant avec, notamment, la rumeur qu’une jeune fille de 16 ans aurait été frappée par la police, vont allumer la mèche d’une guérilla urbaine. De Tottenham Hale, elle allait très vite s’étendre à d’autres quartiers de Londres avant de se propager jusqu’au 11 août, à de nombreuses villes de Grande-Bretagne causant cinq morts et des millions de livres sterling de dégâts et de destructions.

Un an après, de Tottenham jusqu’à Wood Green qui avait aussi été le théâtre de nombreux pillages et affrontements entre habitants et forces de l’ordre, quasi plus aucune trace visible du chaos d’août 2011. A Wood Green, il n’y a bien que le passage de la flamme olympique le 25 juillet qui semble perturber le train-train de ces nord londoniens. Non loin du Tottenham town hall, William*, la quarantaine, accepte de se poser une heure pour revenir sur ces émeutes qui ont secoué son quartier et placé le pays sous les feux des projecteurs médiatiques internationaux, mais à une condition : celle de rester anonyme et que ni son identité, ni sa profession ne soit révélée.

Les « riots », il s’en souvient très bien même s’il était en vacances à la campagne quand son district était en proie aux flammes, et les a suivi à la télévision. Pour lui, cette explosion de violence fut le résultat d’une combinaison de problèmes entre les jeunes et la police. A Tottenham, il affirme que beaucoup ont un sentiment anti-police très développé mais que les forces de l’ordre en sont les seules responsables par leurs attitudes et comportements envers la population. Il admet pourtant que la situation s’est améliorée depuis les années 1970. Il a une pensée pour David Omawale, un Nigérian qui aurait été tué par des policiers en avril 1973 et le corps jeté dans la Tamise… Mais s’il a la dent dure contre la police de son pays, il n’en défend pas pour autant Mark Duggan. Il ne se réjouit pas de sa mort, mais selon lui « Mark Duggan était aussi un criminel car il vendait de la drogue aux jeunes du quartier… ». William n’est d’ailleurs pas tendre avec la jeune génération, qui pour lui, s’éduque par la télévision : « Cette génération n’a pas de respect envers elle-même, envers les adultes ni envers les lois de ce pays. Elle veut tout et tout de suite sans effort… »

William, tout au long de la discussion, jette un regard sombre sur le monde qui l’entoure. Il critique la police comme les jeunes. Pour lui, rien n’a changé ou ne s’est amélioré depuis un an, à une exception près : il trouve que la police est  moins provocatrice… Et quand on lui demande si depuis son lieu de vacances, il a eu peur que son logement parte en fumée, il répond sans sourciller ; «Non, il n’y avait pas de raison. Si ça devait arriver et bien ça serait arrivé. Je suis désolé pour ceux qui ont perdu leur appartement pendant les émeutes mais c’était la guerre, la guerre sociale, et dans toutes les guerres, il y a des injustices…»

William ne s’arrête pas là dans son plaidoyer teinté d’amertume : selon lui le racisme gangrène la société britannique. William est noir et il estime que certains jobs ne seront jamais occupés par des Blacks comme les postes à très haute responsabilité dans la police par exemple. Il pense même que la majorité des jeunes « looters » (pilleurs) qui ont volé dans les magasins pendant les troubles étaient des Blancs. Mais selon lui, les médias auraient surtout diffusé les images montrant les Noirs…

William ne vote pas. David Cameron, le premier ministre du Royaume ou aucun autre politicien ne trouvent grâce à ses yeux. « Cameron est un millionnaire qui roule pour les siens : les riches…Ni lui ni les autres ne me représentent… » Même les JO ne le font pas rêver. A part certains athlètes comme Usain Bolt dont il regardera les courses, il aurait préféré que l’argent dépensé pour cet événement soit consacré à créer des jobs à Tottenham, qui font cruellement défauts à tellement d’habitants… Malgré le tableau qu’il dépeint, William n’est pas si « hopeless ». Car dans son quotidien, il  s’investit pour sa communauté et participe régulièrement à des actions favorisant le vivre-ensemble. On le quitte sur cette image d’un homme généreux que les coups donnés par la vie ont rendu pessimiste…

En retournant vers le Tottenham Hale Retail Park, dans un café d’une rue perpendiculaire à Antill Road, on croise Sydney pour s’inviter à sa table. Ce « quinqua et plus ! » d’origine jamaïcaine est l’anti-thèse de William. Il cherche autant la célébrité que William l’anonymat et applaudit la venue des JO dans sa bonne ville de Londres. Cet artiste (poète, performer radio, peintre aquarelliste, etc.) croque la vie à pleines dents et regarde avec optimisme la moitié pleine de son verre de jus de pomme. Sur les riots aussi, son point de vue est aux antipodes de celui de William. Uncle Syd comme il se fait appeler, est dégoûté pour ceux qui ont perdu leurs biens pendant les émeutes et pour lui, la société britannique actuelle n’est pas à blâmer. « Des émeutes, il y en a toujours eu et il y en aura toujours… Vous connaissez un monde sans guerre ou sans affrontement, vous ? La police doit faire son travail pour protéger la population… Les scènes de pillage qu’on a vues pendant ces émeutes sont le résultat de comportements individuels inexcusables… »

Pour Uncle Syd, la crise économique par exemple ne peut pas expliquer de telles actions : « La crise économique, ça fait des années qu’elle sévit dans nos quartiers, c’est pas nouveau non plus… ». Mais Sydney a tout de même une requête à adresser à son gouvernement pour améliorer la vie dans son pays, lui qui vote et ne rate aucune élection : « En ce moment, il a des coupes budgétaires qui concernent des bourses scolaires ! Or il n’y aura pas de paix sans un gros effort d’éducation. Pour un pays avec la paix sociale, il faut plus de moyens pour l’éducation ! » Mais assez parlé politique pour Uncle Syd, poète 2.0 accro à ses profiles MySpace mais surtout Facebook ! Dans le brouhaha du Café N15, entre des clients qui donnent de la voix et les toasts du traditionnel English breakfast virevoltant en cuisine, le show man tient à déclamer un de ses poèmes favoris, My life . Carte postale sonore depuis un petit coin chaleureux de Tottenham, cet hymne à la vie rappelle combien elle est précieuse, résonnant comme un message à l’adresse de tous ces jeunes qui empruntent parfois des voies dangereuses. Elle sonne aussi comme un hommage subliminal à ceux qui risquent de perdre la leur dans une mort prématurée comme ce fut le cas de Mark Duggan qui n’avait pas 30 ans quand il tomba sous les balles de la police…

Sandrine Dionys

*Prénom modifié

Publié le 12 août 2012

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