Une petite foule s’est rassemblée aux abords de l’Assemblée Nationale à Paris, ce mardi 8 décembre. Alors que le président égyptien, le Maréchal Al-Sissi, est accueilli par Emmanuel Macron depuis deux jours, une vingtaine d’organisations interpellent les autorités françaises.

Ces associations dénoncent le partenariat franco-égyptien qui, selon elles, « sacrifie les droits de l’homme au nom de la lutte anti-terroriste ». Plus de 60 000 opposants politiques seraient actuellement détenus dans les geôles égyptiennes. Sans mentionner les achats d’armes réguliers de l’Égypte à la France, dont l’exécutif est resté bien silencieux face aux nombreuses alertes des organisations pour les droits humains.

Sur la place du 7ème arrondissement, après différentes interventions politiques, Céline Lebrun-Shaath a pris la parole. Son mari, Ramy Shaath, a été arrêté par des agents du gouvernement égyptien le 5 juillet 2019. Elle même été expulsée d’Égypte ce soir-là. Depuis, la professeure d’histoire-géographie de trente ans n’a jamais revu son époux. En un an et demi, le couple a échangé à deux reprises par téléphone. Ramy Shaath n’a jamais été jugé, n’a pas eu droit à un procès. Sa détention « provisoire » a été renouvelée à dix-neuf reprises.

Céline Lebrun-Shaath a vécu au Caire durant sept ans et a vu le pays se refermer sur lui-même. Après les espoirs suscités par le soulèvement populaire place Tahrir, les militaires ont depuis repris la main avec en point d’orgue l’élection d’Abdel Fattah al-Sissi en 2014. En marge du rassemblement parisien, elle a évoqué avec le BB le cas de Ramy Shaath et la situation en Égypte.

De nombreuses personnes se sont réunies devant l’Assemblée Nationale le 8 décembre pour alerter sur le sort des dizaines de milliers de prisonniers politiques égyptiens.

BB : Quels souvenirs gardez-vous du 5 juillet 2019 ?

Céline Lebrun-Shaath : Des agents des forces de sécurité cagoulés et lourdement armés ont débarqué chez nous, sans se présenter. Ils ont commencé à fouiller l’appartement. Je me suis opposée à ce qu’ils saisissent mes affaires. Ils n’avaient pas de mandat. J’ai demandé à contacter mon consulat en tant que ressortissante française.

Leur réponse a été : « Puisque tu veux appeler ton consulat, tu as dix minutes pour faire ta valise. On t’emmène à l’aéroport ». Ramy m’a dit de faire ce qu’ils disaient pour qu’ils ne me fassent pas de mal. J’ai donc fait une valise et au moment où je m’apprêtais à lui dire au revoir, ils lui ont fait signe en lui disant : «Tu viens avec nous, aussi ». C’est là qu’on a compris qu’il était en train d’être arrêté. On nous a mis tous les deux dans des fourgons séparés. Je ne savais pas où ils l’emmenaient.

Quelles sont les charges qui sont retenues contre lui ?

Comme c’est le cas avec tous les défenseurs des droits humains, militants politiques, avocats, journalistes qui sont aujourd’hui emprisonnés, on lui reproche d’appartenir à un groupe terroriste. Il est en détention préventive depuis dix-sept mois sur la base d’un dossier secret auquel ni lui ni nous, sa famille, ses avocats, n’avons pas accès. Il n’est pas inculpé. On ne sait pas s’il y aura jamais un procès.

Lorsqu’il a été interrogé 36 heures après son arrestation, le procureur lui a notifié les accusations de terrorisme mais ne l’a pas questionné à ce propos. Le procureur lui a demandé pour qui il avait voté aux dernières élections, a voulu savoir s’il avait participé aux manifestations de 2013.

C’est donc son engagement politique qu’on lui reproche…

Oui. Depuis cet interrogatoire avec le procureur, il n’a pas été questionné une seule fois. Aucune chance ne lui est donnée pour se défendre. Sa détention préventive est renouvelée de manière quasiment automatique tous les 45 jours. En fait, tous les mois et demi, il est emmené au tribunal avec d’autres détenus. Certains jours d’audience, ils sont plus de 300. Mais il n’y a que son avocat dans la salle d’audience. Ramy est maintenu dans les souls-sols du tribunal du Caire. Il n’est donc pas entendu par le juge. Mais cela ne modifie en rien sa décision de maintenir Ramy en détention.

Ramy a joué un rôle important dans les manifestations de 2011 qui ont permis le départ du président Moubarak.

Votre mari est connu pour être une figure militante de la gauche égyptienne, quelle place occupait-il dans le paysage politique ? 

Ramy a joué un rôle important dans les manifestations de 2011 qui ont permis le départ du président Moubarak. Puis il a contribué au lancement de partis politiques et de coalitions tentant ainsi d’œuvrer à la transition démocratique du pays. Dix jours avant son arrestation, il a critiqué publiquement le fameux « deal du siècle » et la conférence de Bahrein (en juillet 2019, la conférence de Bahrein était consacrée au versant économique du plan américain pour la paix au Proche-Orient porté par l’administration Trump, NDLR).

Il a critiqué la participation de l’Égypte à cette conférence. En regardant la chronologie des faits, on peut se dire que cela a précipité son arrestation. Ramy critiquait de manière publique le gouvernement égyptien et participait à la campagne BDS (la campagne Boycott Désinvestissement Sanctions a été lancée en 2005 par la société civile palestinienne pour promouvoir le boycott économique, politique, culturel d’Israël tant que les droits des Palestiniens ne seraient pas respectés, NDLR).

Après 2013, j’ai vu une chape de plomb s’abattre sur l’Égypte.

Vous avez vécu sept ans en Égypte, entre 2012 et 2019. Quelle est votre perception de la situation sur place ?

Ces dernières années, toutes les personnes qui ont joué un rôle dans le soulèvement de 2011, et ont participé à la tentative de transition démocratique, ont été arrêtées. Après 2013, j’ai vu une chape de plomb s’abattre sur l’Égypte. Nous avons de nombreux amis qui ont été emprisonnés, puis relâchés, puis arrêtés à nouveau.

Qui vous aide dans votre lutte pour la libération de votre époux ?

Ma famille et mes proches me soutiennent. De nombreuses organisations de défense des droits humains sont à nos côtés ainsi que des centaines de parlementaires français, européens et américains, des personnalités publiques, des artistes comme Roger Waters des Pink Floyd… C’est ce  soutien que nous recueillons dans le monde entier qui donne le courage de se battre.

Ramy Shaath, est emprisonné depuis le 5 juillet 2019 au Caire. 

Quels sont vos espoirs quant à l’évolution de la situation, notamment dans la perspective de cette visite de Sissi à Paris ?

Le 7 décembre il y a eu un entretien entre Emmanuel Macron et le général Al-Sissi, pour sa visite à Paris. La situation de mon mari a été évoquée. Ça donne de l’espoir de voir les choses se débloquer mais je reste prudente. On m’a déjà fait des promesses par le passé. Je n’y croirais que quand je verrais Rami libre et que je pourrais le serrer dans mes bras.

En effet, la question de la réunification de notre famille se pose aussi. Parfois, des détenus sont relâchés mais leur emprisonnement se poursuit d’une autre manière. On peut par exemple leur interdire de quitter le territoire. En avril dernier, Ramy a été rajouté à la liste des terroristes par les autorités égyptiennes. On lui a confisqué son passeport.

Vous-même, vous ne pouvez plus vous rendre en Égypte ?

Jusqu’à présent, oui. Le mois dernier, l’ambassadeur d’Égypte à Paris s’est engagé auprès du Ministère des Affaires étrangères à m’octroyer un visa d’une semaine pour visiter Ramy. Mais je ne sais pas encore quand ce sera, ni dans quelles conditions pourra se faire cette visite. Aujourd’hui, il a seulement le droit à une visite par mois de vingt minutes.

Je n’ai pas vu mon mari depuis dix-sept mois. Après une si longue séparation, ce serait extrêmement cruel de n’être autorisée à le voir que pendant vingt minutes, sans aucune intimité, avec un officier qui se tiendrait entre nous pour prendre des notes sur notre échange.

Propos recueillis par Mejdaline Mhiri

Photographie à la Une © Mejdaline Mhiri

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