En sortant du métro, j’aperçois un rassemblement, en dessous d’une banderole « 1 toit 1 droit » qui me fait réaliser que ce n’est pas celui que je cherchais. Comme les garçons juchés sur leurs rollers, je tourne autour de la statue devenue mausolée de Charlie depuis le 7 janvier. Et je trouve enfin les personnes venues pour le Kenya. Un drapeau me le confirme, au pied de la statue où plus nombreux sont ceux qui profitent des rayons du soleil.
Les organisateurs, le collectif Active génération, déroulent une large bande de papier. Alors qu’ils commencent à répartir et allumer des bougies, j’entends un petit garçon demander ce que font ces gens et l’homme qui pourrait être son grand-père lui répondre que même si c’est loin, on est tous concerné par le terrorisme qui a tué au Kenya.
Le rassemblement grossit petit à petit. Les premiers arrivés commencent à maculer la toile blanche des empreintes de leur main gantée puis trempée dans la bassine de peinture rouge. Une femme détourne la consigne et laisse courir sa main sur le papier pour dessiner une trace semblant représenter le sang des étudiants.
IMG_20150408_184920Ils sont venus dire non à la barbarie, non au terrorisme, non à la terreur. Et non au non-traitement médiatique de certains sujets. Pour Karima, jeune trentenaire, c’était important d’être présente. Elle est extrêmement choquée du peu de médiatisation qu’il y a eu autour de ce drame. Mais pour elle ce n’est pas nouveau : « Il y a quelques semaines de cela, un village nigérian a été décimé. Je suis sûre que si on demande aux gens dans la rue, ils sont incapables de s’en souvenir. Est-ce qu’ils en ont même entendu parler ? ». La manière dont sont traités ces événements la pousse à s’interroger sur un potentiel profil à avoir pour susciter l’indignation. Elle compare alors la médiatisation des attentats de Tunis et leurs victimes majoritairement occidentales et le massacre de Garissa et ses étudiants africains. « 148 personnes, des jeunes, des étudiants, ça n’est quand même pas rien ».
Un autre révolté interpelle à son tour sur le contraste entre les rassemblements pour Charlie et pour les victimes africaines alors que l’origine de ces drames est la même : le terrorisme. Ce quinquagénaire blâme, lui, les pompiers pyromanes que sont à ses yeux les gouvernements et instances occidentales. Pendant que les personnes rassemblées s’expriment avec crayons et peintures, un des organisateurs prend le micro pour remercier les présents de leur soutien. Il démarre ensuite le décompte macabre des victimes et pour qu’elles ne soient pas uniquement un numéro, #147NOTJUSTNUMBER, il donne leurs noms et prénoms. Chaque identité révélée est suivie d’applaudissements. Certains ferment les yeux pour mieux rendre hommage aux victimes, mais le claquement de leurs mains ne faiblit pas. Alice, Thomas, Emma, Peter, Caroline… La liste s’arrête prématurément. Tous n’étant pas encore connus, ils ne peuvent aller jusqu’à la 147e victime. Et c’est une longue salve d’applaudissements qui rendra hommage aux inconnus.
« On devait le faire. Il n’y a pas eu de réponse adéquate des citoyens face à cette horreur »
Le discours reprend sur l’absence de personnalités politiques invitées par les organisateurs, à l’instar de chacun des députés à qui ils ont envoyé un mail. Viennent ensuite les remerciements aux associations présentes avec ou sans étiquette. Puis un petit mot pour les médias qui « sont excusés car présents aujourd’hui ». L’ambassadrice du Kenya en France prend à son tour la parole pour remercier les personnes présentes au nom du Kenya.
IMG_20150408_193057Pour Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, un des organisateurs du rassemblement, « on devait le faire. Il n’y a pas eu de réponse adéquate des citoyens face à cette horreur. On s’est dit qu’il fallait qu’on bouge. Pour leur dire qu’ils ne réussiront pas à nous imposer la peur et leurs idéologies ». Pour lui, que l’on soit à 6000 kilomètres ou à 6 mètres, on est concerné. Toutes les victimes se valent et c’est la citoyenneté internationale qui prime. « Je suis tchadien, Amadou Sénégalais. C’est fini les frontières ».
Rachele n’est pas kenyane non plus, mais elle se sent comme telle aujourd’hui. Elle explique sa présence par le fort soutien qu’elle souhaite apporter aux Kenyans. Parce qu’elle est africaine et qu’elle se sent pleinement concernée par ce massacre. Le recueillement continue avec l’hymne national chanté par les Kényans d’origine, la main sur le cœur, au-dessus de la musique qui adoucit quelque peu l’ambiance. Puis un cahier circule pour laisser quelques mots ou signer la pétition de soutien. Et le micro passe de main en main pour que chaque volontaire puisse exprimer son hommage.
De ce même micro, l’invitation à la poursuite de la mobilisation retentit. Un rassemblement est prévu au Trocadéro ce dimanche à 16h, par l’association Nous sommes Un, déjà organisatrice d’un événement similaire pour le Nigeria lors du massacre d’un village en janvier. Quelques centaines de personnes rassemblées place de la République aujourd’hui. C’est plus que les 25 présents lundi dernier ici même. Ou ce mardi place de la Sorbonne, sur laquelle une cinquantaine de personnes s’étaient rassemblées. Les étudiants organisateurs réitèrent ce rassemblement place de la Sorbonne ce jeudi 9 avril à 13h, pour qu’étudiants et enseignants se mobilisent face à ce drame survenu au sein d’une université.
Rouguyata Sall

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