En 2012, François Hollande avait promis de mettre fin au placement d’enfants dans des centres de rétention. Cinq ans plus tard, la promesse n’est toujours pas tenue. La France a été sanctionnée par la Cour européenne des droits de l’homme pour mauvais traitements à plusieurs reprises. La situation est alarmante, en particulier à Mayotte.

Tirsa, 10 ans, seule. Face à elle, un magistrat. Ce tête-à-tête improbable se déroule dans une salle d’audience du Tribunal de grande instance de Mamoudzou, à Mayotte, 101ème département français. Le crime de l’enfant ? Avoir traversé en « kwassa kwassa » (petits canots de pêche) les quelques kilomètres de mer qui séparent l’archipel des Comores de Mayotte, en novembre dernier. Elle a été arrêtée avec deux autres jeunes filles mineures, Nadjima, 16 ans, et Salima, 14 ans, et un homme adulte. Rien ne vient attester qu’elles le connaissent.

Comme souvent, pour ne pas dire toujours, selon Maître Ghaem, avocate au barreau de Mamoudzou, lorsque des mineurs se trouvent sur un canot avec un majeur, on les rattache à ce dernier même sans avoir la preuve d’un lien de parenté entre eux. Ainsi, les mesures prises à l’encontre du majeur se répercutent directement sur les mineurs qui lui sont rattachés. Pratique, notamment lorsque l’on notifie au majeur une obligation de quitter le territoire français (la célèbre OQTF).

Petits arrangements avec le droit des étrangers

L’article L 221-5 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose que lorsqu’un mineur étranger non autorisé à entrer en France arrive sur le territoire, un administrateur ad hoc doit être désigné afin d’assister le mineur dans toutes ses démarches. À Mayotte, cette disposition n’est pas appliquée. Toutes les personnes arrivant en « kwassa kwassa » sont envoyées directement en centre de rétention. Pas de passage par la zone d’attente alors qu’il s’agit de la procédure classique en cas de mineur isolé étranger sur le territoire. Rattachées à l’adulte, les trois jeunes filles ne sont alors pas considérées comme mineures isolées. La procédure classique ne s’applique donc pas pour elles. Tout le monde est placé en centre de rétention administrative.

Il y a pourtant eu la promesse de François Hollande dans une lettre adressée aux associations lors de la dernière campagne présidentielle : « Je veux prendre l’engagement, si je suis élu à la présidence de la République, de mettre fin dès mai 2012 à la rétention des enfants et donc des familles avec enfants ». Cette promesse fait suite à l’arrêt « Popov » de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) condamnant la France pour des traitements inhumains et dégradants dans le cadre de la rétention administrative en janvier 2012. Depuis, l’engagement n’ayant pas été honoré, pas grand chose. Alors il y a eu d’autres condamnations de la CEDH au mois de juillet 2016. Cinq arrêts venant punir la France pour violation de l’article 3 de la Convention Européenne des droits de l’Homme car « nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ».

« Un enfant mineur ne peut être maintenu seul en rétention administrative »

Sur l’affaire des trois mineures originaires des Comores, l’avocate a saisi le Tribunal administratif d’une requête en référé liberté pour la plus âgée, Nadjima, afin de freiner la mise à exécution de la mesure d’éloignement pour l’ensemble des enfants, arbitrairement rattachés à l’adulte. Un référé liberté a pour avantage de suspendre l’exécution de la mesure d’éloignement en attendant la décision du juge. Parallèlement, un autre magistrat, le juge des libertés et de la détention (JLD), est saisi de ce qui semble être un cas de détention arbitraire. « Un enfant mineur ne peut être maintenu seul en rétention administrative », rappelle Me Ghaem. Résultats de la procédure : pour Nadjima, le magistrat a contourné la question de la détention arbitraire et s’est interrogé sur ses conditions de vie aux Comores. Pour Tirsa, le JLD a tenu une audience sans désigner un administrateur ad hoc censé veiller aux intérêts d’une mineure isolée. Voilà comment la gamine s’est retrouvée seule dans une salle d’audience du Tribunal de grande instance de Mamoudzou en tête-à-tête avec le vice-président.

La rencontre n’a pas déstabilisé le magistrat qui a opposé à Tirsa un moyen d’ordre public : celui de l’irrecevabilité de la requête. Un moyen qui met fin à l’audience puisqu’il empêche d’analyser la requête au fond étant donné que celle-ci n’est même pas recevable. Selon lui, la requête formée par Tirsa est hors délai. Elle aurait dû la faire dans les 48 heures à partir du moment où la mesure a été prise à son encontre. Quel enfant de dix ans ne sait pas cela ? « Comment un vice-président du TGI  peut agir ainsi ? s’agace l’avocate. Ça ne peut pas s’arrêter là, tu ne peux pas soulever un moyen d’ordre public à une enfant qui ne peut pas se défendre. Même l’avocat de la préfecture n’a pas soulevé l’irrecevabilité de la requête ».

Tirsa est donc renvoyée au centre de rétention pour 24 heures supplémentaires. Elle y a déjà passé quatre jours. Ces deux ordonnances sont frappées d’appel. La CEDH est également saisie en urgence de la situation des deux jeunes filles. Il faudra attendre les audiences d’appel pour que le cadre procédural qui s’impose soit respecté. Un administrateur ad hoc sera désigné par le magistrat afin de représenter la jeune Tirsa, reconnue mineure isolée sur le territoire. C’est la première fois en cinq années d’exercice dans le département que l’avocate voit un administrateur ad hoc désigné pour représenter un mineur isolé entré sur le territoire en « kwassa kwassa ». En appel, la détention arbitraire est constatée et la mesure de rétention administrative annulée. Ni le juge des libertés et de la détention ayant relevé d’office une irrecevabilité dans l’affaire concernant Tirsa, ni le préfet n’ont souhaité s’exprimer.

« Les récents arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont parfaitement ignorés »

« À chaque fois que la question des mineurs en rétention est soulevée, la simple apparence d’impartialité semble faire défaut, constate l’avocate, dépitée d’avoir autant à se battre pour de telles situations. Pourtant, la loi demande aux magistrats de juger avec impartialité. Les garanties minimales ne sont pas offertes à des enfants mineurs qui devraient mériter toute l’attention des autorités judiciaires et administratives. Les récents arrêts rendus par la Cour Européenne des Droits de l’Homme sont parfaitement ignorés ». De son point de vue, les autorités et les magistrats ne seraient plus dans l’ordre du droit mais celui de la morale. Ils jugeraient les parents qui envoient leurs enfants seuls à Mayotte en étant persuadés qu’ils ne pourront pas être expulsés.

Selon la CIMADE, association venant en aide aux étrangers, en 2015, à Mayotte, 4 300 enfants sont passés par un centre de rétention. Les textes de loi devaient paraître lointains à Me Ghaem quand, juste après cette affaire, elle s’est rendue à une journée d’études organisée par le GISTI (groupe d’information et de soutien des immigrés). Son intitulé ? « La faillite de l’État de droit : le symptôme de l’étranger ».

Latifa OULKHOUIR

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